« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Action non-violente contre le commerce des armes, à Londres

24, Jan 2018 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in International     ,   No Comments

 

Récit d’un blocage de route contre la grande foire annuelle de l’armement à Londres, en septembre 2017. Un groupe de Belges y ont participé, parmi lesquels un ami, Guillaume Chomé. Après un exposé très clair sur ce sujet et sur la motivation de l’action, les suites judiciaires de l’action. Interpellant!

Le 12 septembre 2017 à l’ExCel, un immense complexe d’exposition londonien, démarrait une des plus grande foire de l’armement au monde qui accueille près de 35.008 visiteurs, 2.759 délégations internationales et 1600 exposants venants de 54 pays : le « Defence and Security Equipment International » (DSEI)i. Cent dix pays y ont assistés, parmi eux, vingt sont considérés par le gouvernement anglais comme en guerres, sous régimes autoritaires ou comme contrevenants aux Droits de l’Hommeii. Sans divulgations officielles, cette foire bisannuelle contribuerait à générer plusieurs milliards de dollars dans le commerce à l’armementiii. C’est aussi l’occasion pour les groupes paramilitaires de se tenir au courant des nouveautés dans les méthodes « de surveillance et de sécurité »iv. À cette occasion, le mouvement antimilitariste anglais, Stop the Arms Fair (CAAT), a lancé un appel international à la solidarité.

Durant cette semaine de préparation de la foire, des citoyens ont manifesté, organisé des événements d’information, médiatisé l’événement, rencontré des membres du parlement et entamé des actions visant à perturber le déroulement de la foire. La police a procédé à 102 arrestations. Des volontaires belges sont revenus accusés d’avoir commis un acte criminel… Parmi eux, Guillaume Chomé est allé, comme 17 autres, jusqu’au bout de la procédure en plaidant non-coupable. Il nous raconte ici son périple et son positionnement.

Le commerce des armes, un crime légal et le déni de démocratie

Pourquoi s’opposer au commerce de l’armement ? Question souvent entendue et dont la réponse est rarement écoutée. Cette partie introduit le monde de la « défense » occidental, son financement et ses crimes aussi divers que les « produits » proposés.

Ce commerce est le fondement de politiques militaristes et il est principalement porté par les complexes militaro-industriels états-uniens et européens. L’ensemble de ces politiques publiques et privées pose de sérieuses questions sur les choix de société, sur l’état social, sur le coût social de ces décisions, sur la politique étrangère utilisant l’ingérence, sur le manque de diplomatie, sur les interventions militaires pseudo-humanitaires… Les dépenses militaires des membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) représentent deux tiers des dépenses militaires mondiales soit près de 918 milliards de dollars annuelsv. Malgré cela, l’OTAN exige de ses membres qu’ils augmentent leurs dépenses militaires annuelles à 2% de leurs Produits intérieur brut (PIB)vi. En plus de représenter un coût important en occident, cette politique maintient une course à l’armement international. Cette course est justifiée par des protagonistes comme la Russie et plus récemment la Chine, alors que ces derniers dépensent jusqu’à dix fois moins dans leurs arméesvii. Cette politique de financement des dépenses militaires aurait également comme objectif de lutter contre le « terrorisme ». Les interventions militaires occidentales ont contribué à accentuer les problèmes dans ce dossier. En outre, la Commission met en place un programme de subside pour la recherche et le développement d’armes de 40 milliards d’euros sur dix ansviii. Leur publicité mentionne explicitement l’avantage économique que cela représente pour les industries européennes de l’armement. Les armes comme centre mondial de la corruption

Outre ces aspects, généralement considérés comme des activités « légales », le commerce de l’armement contribue directement à la corruption des états vendeurs et acheteurs. Transparency International a estimé que 40% du montant total de la corruption mondial est lié au commerce de l’armement. Andrew Feinstein, de Corruption Watch UK, montre dans son livre ‘Shadow World’ à quel point le commerce de l’armement mine l’ensemble des processus d’autorisation et de contrôle des états vendeurs et acheteurs. En outre, dans les rares scandales de corruptions qui ont éclaté autour de ce commerce, aucun n’a mené à une action judiciaire, étatique ou internationale effective. Par exemple, sur les 502 cas avérés de violation des embargos de ventes d’armes promulgués par les Nation-Unies, seuls deux ont eu des suites judiciaires.

Les agences étatiques délivrent des autorisations (licences) de vente d’armes. Ces licences sont censées prévenir les ventes illégales. Cependant, ce système ressemble plus à des arguments de marketing. En effet, ces mêmes licences permettent la vente d’armes à l’Arabie Saoudite, au Bahreïn, à l’Égypte, à la Colombie… Des pays considérés par ces mêmes gouvernements comme contrevenants aux Droits de l’Homme, commettant des crimes de guerre ou comme étant sous dictature. Selon les lois anglaises et les traités internationaux ratifiés, la Grande-Bretagne ne peut pas vendre une arme à un pays susceptible de commettre des crimes de guerreix. À nouveau, le DSEI 2017 a invité l’Arabie Saoudite qui bombarde et bafoue les traités internationaux au Yémen et au Bahreïn. Les commerçants d’armes sont des criminels…

Le DSEI, non content de faire la publicité des armes et de la guerre, expose des armes illégales au sens de la législation anglaise. Les associations de paix et pour les Droits de l’Homme ont montré en 2005, 2007, 2009, 2011 et 2013 qu’ils faisaient la publicité d’armes illégales au sens de la législation anglaisex. La liste inclut notamment des instruments de torture, des mines anti personnelles et des armes à fragmentation. L’état anglais subsidie le DSEI et est directement responsable de son contrôle. Ces échecs à répétition laissent présager une complicité de l’Etat. En effet, ces expositions illégales ont eu lieu de façon répétée et sans conséquence pour les contrevenants. Pire, en 2015 et 2017, il n’a pas été possible de montrer une telle présence. La raison ? Les associations, telles qu’Amnesty International, ont été bannies d’entrée dans la foire. Ce sont ces ONG qui faisaient le travail fondamental d’investigation ayant abouti aux scandales répétés cinq fois.

Le commerce de l’armement contribue directement et indirectement aux déficits démocratiques nationaux et internationaux, en plus d’être l’origine et d’être le facilitateur de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de corruption. Les États vendeurs et acheteurs sont à la fois parties prenantes et complices. Les multiples actions citoyennes engagées en Grande-Bretagne pour prévenir ces dérives graves partent de la simple manifestation aux discussions au parlement anglais. Menées depuis des décennies, les discussions parlementaires sont « censurées » et n’ont jamais abouti sur une résolution. Ces mêmes parlementaires s’avouent impuissants face au commerce de l’armement, par définition classé secret défense, cf. le travail de Caroline Lucas (Green Party)xi. Le DSEI est un événement clé, plaque tournante d’un système de déni de la démocratie et de destruction de la paix. Dès lors, l’action citoyenne directe et non violente semble être une des voies à engager pour changer la vente d’armes.

La justice en action

La semaine du 4 septembre 2017, des citoyens se sont rendus à Londres suite à l’appel « Stop The Arms Fair ». L’appel vise à empêcher les industriels et les États de vendre et de faire la publicité sur les armes et sur les guerres. L’appel a rassemblé des militants de tous bords incluant les mouvements pour la fin de l’apartheid en Palestine, contre les armes nucléaires (CAAT, CND, Agir pour la Paix…) ou encore pour la paix des croyants (Quakers). Refusant qu’un tel événement puisse se dérouler sans contestation, nous sommes venus pour prendre part aux manifestations et aux événementsxii.

Dès le lundi, la police mena une politique répressive. La plus belle illustration est l’arrestation, le mardi, d’une vingtaine de Quakers, pourtant connus pour leur attitude ultra pacifiste. Les actions étaient scrupuleusement non-violentes et respectueuses des personnes, tant envers les passants qu’envers les policiers. La diversité de stratégie dans l’action directe citoyenne était de mise, incluant la communication du CAAT, des manifestations, des discours, des danses, des actions symboliques, des prières et des actions plus radicales, telles que des blocages. Puisque l’État protège les vendeurs d’armes par la répression, nous sommes plusieurs à choisir une option radicale : la désobéissance civile. J’ai motivé ce choix radical par deux éléments principaux. D’une part, le fait ignoble du commerce de l’armement et d’autre part la politique répressive de la police, qui réduit de plus en plus les droits fondamentaux à l’expression et au rassemblement. Ces droits fondamentaux sont actés dans les traités et dans les lois nationalesxiii. Il s’agissait de démontrer devant la justice que la loi et les politiques publiques dans le commerce de l’armement sont absurdes et qu’elles doivent changer. Cela impliquait d’aller de l’arrestation jusqu’au procès politique, avec comme objectif fondamental d’être nombreux à plaider non-coupable en dépit des risques tels que les amendes et les casiers judiciaire.

Les actions poursuivaient trois objectifs :

– Bloquer pour retarder/empêcher la foire.

– Médiatiser la situation de la vente des armes par la Grande-Bretagne et l’Europe.

– Forcer l’État à se positionner publiquement, notamment via la justice.

Notre tactique consistait à perturber la foire notamment en bloquant ses entrées et ses routes d’accès.

Mercredi 6 septembre, nous laissons nos possessions aux anges gardiensxiv. C’était le jour contre les armes nucléairesxv. Quelques minutes plus tard, nous nous m’attachions sur la route devant les convois d’armements qui devaient être livrés 200m plus loin. Nos bras étaient logés dans un tuyau de cheminée que nous avions transformé en lock-on. Après deux heures, l’équipe spéciale de la police réussit à couper notre lock-on et nous emmena en garde à vue. Après 8 heures de cellule, nous fûmes libérés sous conditions, avec interdiction de présence sur la partie Est de Londres autour du site de la foire. Nous avons également reçu une convocation à me présenter à une audience pour plaider coupable ou non coupable, début d’une potentielle procédure judiciaire. Le chef d’accusation est « wilful obstruction of the highway », un délit de catégorie H, pas de quoi tuer un homme… Grâce à nos actions, les stands de la foire ont eu deux à quatre jours de retard, avec 102 arrestations sur une seule semaine. Joli bilan !

L’action en justice

« Voici un bref compte rendu de mon procès fini vendredi 12/01/2018. Il fait suite aux actions visant à perturber et à bloquer le déroulement de la foire à l’armement DSEI 2017 où j’avais été arrêté début septembre. Nous partions avec un avis des avocats annonçant une très faible chance d’être acquittés, car le procureur a tout intérêt à empêcher d’autres cas de désobéissance civile même si reconnu comme légitime en termes de motivation. En effet, le procureur et la police ne veulent pas que les citoyens recommencent à manifester de façon efficace dans le futur. Pour cela, ils ont besoin d’une jurisprudence forte. Or, ils ont sous la main 11 procès consécutifs à condamner. C’est une barrière judiciaire efficace et quasiment indestructible dans le droit anglais. Cette jurisprudence leur sera aussi utile dans les manifestations très actives en Grande-Bretagne, notamment contre la fracturation hydraulique (gaz de schiste), contre le renouvellement de l’armement nucléaire, contre la pollution de l’air (Stop Killing Londoners et co.)… Ces autres dossiers concernent plusieurs centaines d’arrestations en 2017.

La conclusion est simple. Nous sommes reconnus coupables d’avoir bloqué la route de façon délibérée, avec deux reconnaissances :

– Nous sommes des citoyens engagés, conscients et honnêtes.
– Nos motivations étaient valides et d’importance pour la société et la démocratie. Le commerce de l’armement est immoral et justifie une action citoyenne et politique.

Ils ont reconnu que nous avons exercé nos droits conventionnels (Convention Européenne des Droits de l’Homme) à la liberté d’expression et de rassemblement. Cependant, il semble qu’il n’y ait pas encore assez de conventions, pas assez de droits.

Ceci-dit, nous avons eu une amende nulle (0 GBP) et des frais de justices à payer pour le procureur (200 GBP). Cela implique néanmoins un casier judiciaire. Drôle de verdict.

 

Ceux que cela intéresse peuvent demander le texte complet (avec notes et 2 photos) à Guillaume Chomé (guillaumechome@gmail.com)