« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Journée du CISMOC le 27-8-2016 à Louvain-la-Neuve

29, Août 2016 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Articles personnels,Islam Belgique     , , , , ,   No Comments

Cette journée d’étude conclusive de la Summer School « Islams et mondes contemporains », intitulée:  » Musulmans et non musulmans : Relations et perspectives  » avait pour but de réfléchir aux actions à mettre en œuvre pour construire positivement les sociétés multiculturelles, à partir de l’expérience d’acteurs ancrés dans les réalités belges.

(NDR: j’ai pensé que mes lecteurs habituels seraient heureux de recevoir des échos de cette journée que j’ai trouvé particulièrement intéressante. Ceci a été rédigé à partir de mes notes prises au vol et non vérifiées, ni par enregistreur, ni par les intervenants. Veuillez donc ne pas diffuser au-delà, l’idée est qu’au-delà des détails de mes perceptions subjectives, vous puissiez saisir quelques problématiques et que vous soyez encouragés à lire les auteurs mêmes de ces exposés qui sont ici très résumés et donc forcément sans leurs nuances d’origine. Philippe de Briey)

  1. Comment penser les relations entre musulmans et non-musulmans? Entre conflits, tensions et actions positives (9h15-12h30 )

Brigitte Maréchal (directrice du Cismoc)

Elle présente la dernière étude du cismoc « Musulmans et non-musulmans en Belgique : des pratiques prometteuses favorisent le vivre-ensemble » (éd Fondation Roi Baudouin).

– Certains camouflent la question du religieux sous le label du culturel. C’est une erreur, car on constate un maintien, voire un accroissement des référentiels religieux. Il est essentiel de pouvoir en débattre, y compris dans les écoles. Certains ont peur des questions « qui fâchent », or les conflits font avancer les idées, du moment qu’il y a un respect de personnes. On doit pouvoir dire qu’on n’est pas d’accord. Et il faut permettre au moins le dialogue entre les personnes, dans une classe par exemple. (J’ai noté un accord unanime des intervenants sur ce point. Mais une enseignante a relevé que ceci nécessite une formation spécifique pour animer un vrai dialogue entre les personnes et une écoute respectueuse des autres.)

  • il faut éviter les accusations réciproques et les généralisations. Par exemple « l’islam est archaïque » ou « l’Occident, c’est la société matérialiste de consommation ».
  • le poids des imaginaires : par exemple autour du voile pour les uns, ou de l’alcool pour les autres.
  • On entre alors dans la spirale de la séparation.

 

Michaël Privot (musulman à Verviers, directeur de l’ENAR – The European Network Against Racism )

  • la 3ème génération n’est pas plus apaisée que la 2ème
  • il y a un besoin de marquer son identité, cela rassure dans une société où l’on est sans cesse questionné (ex : le foulard). (le regard qu’on a sur autrui, sachons qu’autrui le sent, le perçoit).
  • Il y a aussi le sentiment d’appartenir à une communauté de plus d’un milliard d’humains sur la planète, avec des références communes.
  • Ces deux points favorisent l’entre-soi, les séparations, d’autant plus que certains vont dans la surenchère, par exemple du hallal (vacances hallal, vêtements hallal, etc.).
  • L’islamophobie, forme de racisme, favorise cela aussi évidemment, ainsi que l’occidentalophobie.

 

Kim Lecoyer (musulmane, doctorante à Gand et animatrice de l’ass. Karamah.org)

– Il y a aujourd’hui un discours fondamentaliste qui influence tous les musulmans et rend difficiles des positionnements indépendants et critiques. Chaque personne est complexe, mais il y a une identité musulmane qui est mise en avant, une assignation identitaire, une hypertrophie des normes de la charia et de sa légende, ainsi que des images stéréotypées de « l’autre ». on se sent obligé de choisir entre « eux » et « nous ». Le champ du religieux est dominé par le traditionalisme.

Il faudrait pouvoir redéfinir une identité belge cosmopolite.

  • A l’assoc Karamah, il y a des groupes de paroles. Beaucoup de musulmanes se sentent seules et isolées dans les entreprises où elles se trouvent et sans cesse questionnées. C’est lourd à porter, il faut toujours se justifier face aux stéréotypes.
  • Les rencontres inter-religieuses ou interconvictionnelles ne suffisent pas, il faut des rencontres interpersonnelles où on peut se dire dans sa complexité et où on ne se sent pas regardé comme représentant du groupe d’appartenance.
  • Il faut aider les personnes à dépasser les positions idéologiques du groupe (musulman ou non-musulman) à l’aide des valeurs profondes qui nous animent et nous sont communes. Il faut apprendre à accepter la multitude de discours et renoncer à tout suprématisme à l’égard des autres.

 

Après ces deux interventions, Felice Dassetto a exprimé 3 questionnements à Michaël Privot :

  • sur le concept de minorité : n’est-on pas dans une société pluraliste ? C’est des deux côtés qu’on se sent dominé.
  • Réponse : Ce qui favorise le ghetto mental, ce sont les discriminations à l’égard de la minorité musulmane, notamment dans le logement, l’emploi. Face à ce qu’il faut bien appeler un racisme systémique, il faudrait une vraie stratégie de la part des responsables politiques, des projets concrets menés avec les musulmans.
  • L’entre-soi est créé par certains acteurs qui définissent l’islam comme seule religion valable : les Frères musulmans, les salafistes et les Etats identitaires. Ceux-là sont organisés et l’emportent sur les individus indépendants isolés.
  • Rép : c’est vrai, mais le contexte insécurisant joue un rôle aussi important.
  • Il existe une insistance excessive sur la question de l’islamophobie qui favorise la généralisation « la Belgique, l’Europe est islamophobe ».
  • Rép. de Kim Lecoyer: dans les faits, il y a une asymétrie des relations aux pouvoirs. Il y a ceux qui définissent les règles et les interdictions et ceux qui doivent s’y soumettre. De la part des autorités religieuses, mais aussi des pouvoirs politiques. Il y a donc là des processus de domination qui pèsent sur les musulmans.

Séance de l’après-midi : Après les attentats quelles perspectives d’action contre la radicalisation? Bilan et points de vue (14h-16h30)

Felice Dassetto, professeur émérite de sociologie à l’UCL et fondateur du Cismoc

Il souligne la gravité de la situation actuelle : on est dans une sorte d’impasse, il y a un profond malaise de part et d’autre. On n’a pas vu, après le 11-9-2001, l’ampleur de l’enjeu et on a laissé se développer une spirale négative. Il faut un plan global d’action positive, une mobilisation pour :

  • la connaissance et la reconnaissance mutuelles
  • la confiance mutuelle
  • l’agir ensemble.

Il y a 4 enjeux majeurs :

  • une autocritique dans le monde musulman pour une adaptation de l’islam au monde contemporain
  • un effort des familles pour répondre aux questions et besoins des jeunes
  • une interrogation de notre société sur ses propres évidences. Et notamment sur son système d’enseignement et ce qu’elle propose aux jeunes comme valeurs et comme avenir.
  • Les relations entre musulmans et non-musulmans.

Il faut une large mobilisation et de longue durée. Les pouvoirs publics devraient aider et valoriser tout ce qui se fait déjà et arrêter de dissocier le cultuel et le culturel. Il faut une laïcité ouverte aux religions. Il faut en finir avec les obsessions et les discriminations et soutenir les groupes musulmans dans leurs efforts d’éducation, notamment des filles.

Il faudrait aussi que les médias acquièrent plus de compétence dans ce domaine et revoient leurs priorités.

 

Véronique Herman, animatrice de groupes interculturels et directrice du CEFOC (Centre de formation Cardijn)

Elle relate ses expériences de groupes de dialogue, notamment en concertation avec l’ass. de musulmanes « Sagesse au quotidien » à Bruxelles, dans lesquels on croise les expériences de vie des personnes, mais on analyse aussi le contexte, ainsi que les textes de référence convictionnelle des participants.

Au Cefoc, après une période où l’objectif était surtout la compréhension mutuelle, on s’est aperçu qu’il ne fallait plus écarter les questions qui fâchent, les conflits, car c’est à ce moment que le dialogue fait vraiment avancer les personnes. Il ne sert à rien d’écarter la question religieuse, même s’il faut partir de ce qui est commun et puis voir comment c’est vécu dans les communautés..

Il faut une lecture complexifiée des questions et croiser les dimensions politique, économique et idéologique. Et la psychologie dans tout cela.

Pour de véritables changements de regards, il faut la durée, le temps nécessaire ainsi qu’un cadre qui permette une écoute en profondeur de chaque personne.

Les attentats ont favorisé un repli sur soi. Par exemple, dans un quartier de la région, des tensions sont apparues qui n’existaient pas auparavant, à cause d’un discours salafiste rigoriste. De même, des écoles de devoirs sont créées maintenant dans des mosquées à tendance salafiste.

4 appels aux pouvoirs publics :

– aider plus les femmes

– Des financements structurels plutôt que par projets ponctuels

– donner aux travailleurs de terrain des outils pour traiter des convictions

– envisager les convictions comme des ressources plutôt que comme des problèmes

Tout cela est décrit dans un petit livre de 122 pages « Musulmans et non-musulmans : rencontres et expériences inédites » (Cefoc éditeur) par V. Herman et Laila Amahjour.

 

Mohamed Ramousi, théologien et professeur de droit musulman et auteur de « Citoyenneté : clef d´une contribution civilisationnelle des musulmans d’Europe »

(âgé de 31 ans, M. Ramousi est théologien et acteur associatif ; il a étudié l’arabe classique et la théologie musulmane à l’I.E.S.H – Château-Chinon, actuellement en Maîtrise à la faculté de Théologie de l’U.C.L. Il est également professeur de droit musulman comparé à Verviers (Belgique). Il mène des recherches sur la question des musulmans d’Occident en tentant d’allier des positions théologiques référencées avec la pensée musulmane contemporaine).

Voici quelques points que j’ai retenus de son exposé qui m’a paru des plus intéressants et courageux :

  • il y a une évolution dans le désir de formation des musulmans : des simples conférences vers les formations continues.
  • Evolution aussi dans l’enseignement musulman. Par exemple, le Centre islamique du Cinquantenaire à Bruxelles admet maintenant la pluralité dans l’islam et le besoin de réformes.
  • Le problème du communautarisme est lié à l’idée de « l’islam global » qui place l’individu dans un statut de soumission à des normes, empêchant ainsi leur émancipation autonome.
  • Ceci s’explique par l’histoire de l’islam et notamment :
    • la « grande discorde » (fitna) au début de l’islam qui a mené à exclure désormais les divergences d’opinions.
    • La guerre aux apostats après la mort du prophète.
    • Les grandes conquêtes ont favorisé l’idée que la guerre peut avoir quelque chose de positif et ne doit pas être seulement défensive.
    • L’institution très rapide de l’islam a créé un fossé entre les théologiens et juristes (un clergé qui ne se dit pas) et le peuple qui était analphabète. Avec l’idée que les gens sont des « mineurs » qui ont besoin de tuteurs pour penser. Il y a aujourd’hui beaucoup d’imams autoproclamés avec un discours « réponse à tout » qui apprend aux gens à ne pas réfléchir par soi-même.
    • Depuis deux siècles il y a un discours islamique militant né en opposition à la colonisation occidentale, prônant l’idée de « l’islam global » (notamment les frères musulmans). On n’en est pas encore sorti.
  • Le défi majeur est que les individus sont quelque part étouffés dans leur ouverture d’esprit à d’autres pensées. Des essais de réforme non militants (par exemple Mohammed. Abdou) ont été étouffés par ce conformisme excommunicateur.
  • Il y a aujourd’hui une aspiration de beaucoup de gens à libérer la réflexion critique et à briser certains tabous, notamment entre hommes et femmes, comme par exemple, même pour des conférences et cours, l’habitude de les séparer en deux groupes bien éloignés l’un de l’autre.
  • On souffre aussi d’une sacralisation extrême du passé, et notamment de la langue arabe.

En conclusion, Brigitte Maréchal, directrice du Cismoc, annonce que le Cismoc qui était surtout voué à la recherche organisera désormais davantage d’initiatives de formation du public. Elle invite notamment à consulter les publications du Cismoc et la très abondante documentation rassemblée dans le « CISMODOC » par Naïma El Makrini.

Philippe de Briey, Louvain-la-Neuve, le 28-8-2016. (à partir de notes prises au vol et non vérifiées par les intervenants)