« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Christine Pedotti : « Qu’avez-vous fait de Jésus? »

28, Juin 2019 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Foi chrétienne       No Comments

(éd. Albin Michel)

NDR : C’est vraiment une bombe que la théologienne lance dans l’Eglise catholique suite aux scandales répétés de pédophilie et de couverture de ces crimes par des prélats. La source en est le cléricalisme, comme l’a relevé justement le pape François. Christine Pedotti montre avec force les divers aspects de ce cléricalisme et sa cause profonde : la sacralisation du prêtre qui assure à celui-ci un pouvoir et un prestige moral exorbitants. L’article qui suit, de Jacqueline DE CAT, qui vient de paraître dans la revue « PAVES », décrit bien le contenu de ce livre-dynamite qui invite à une complète conversion des rapports entre clercs et laïcs, bref à un retour à l’évangile, tout simplement !

Faut-il encore revenir ‘ad nauseam’ sur ce sujet des abus sexuels sur mineurs par des membres du clergé catholique ?

L’intérêt de ce petit livre [1] « coup de poing » me semble que l’auteure ne se contente pas de dénoncer ces derniers avec fermeté et clarté, pointant principalement le silence complice des responsables hiérarchiques : elle cherche à en comprendre les causes, à expliciter les déviations dues au cléricalisme, et surtout, à ouvrir l’espoir mobilisant pour nous tous d’un au-delà de cette crise majeure.

Tout le texte de Christine Pedotti apostrophe les responsables de l’Église catholique : « Vous penserez que j’ai écrit sous le coup de la colère, et vous aurez raison. »

En dix points, chaque fois mis en regard de l’Évangile, elle décrit et questionne les dysfonctionnements du système hiérarchique qui a abusivement pris la place de la fraternité originelle que Jésus lui-même a fondée. Comment les responsables peuvent-ils croire qu’il suffit d’attendre que cela passe, et que tout reviendra comme avant ?

Pourquoi, à l’instar des fameux trois petits singes, n’ont-ils rien vu, rien entendu, rien dit ?

Qu’ont-ils fait de Jésus ?

Plus que les personnes qui le constituent, que cet ensemble devenu criminel a muselées, il faut interroger le système hiérarchique de l’Église, structure pyramidale exerçant au nom du sacré, et les dérives qu’il a entraînées.

Plutôt que d’incriminer l’évolution des mœurs, du haut de la prétention de l’église à être « experte en humanité », comme le disait Paul VI, ses responsables devraient voir que la cause des abus en question tient avant tout à leur incompréhension de la sexualité humaine. Lui assigner une finalité principalement reproductive, marquée de chasteté, aboutit à un grand système de prohibition du sexe, où tout ce qui en déborde est péché ! Leur vision repose sur le respect de concepts abstraits plutôt que sur le respect des personnes. Ainsi, ignorer le consentement entre partenaires, alors que nos sociétés le considèrent comme essentiel dans la moralité d’un acte sexuel, voir dans le viol une atteinte à la chasteté et la justice, avant d’y voir un crime contre la personne victime.

Qu’ont-ils fait de Jésus, lui qui fait passer la vie avant la loi, qui confond les accusateurs de la femme adultère, qui lie l’amour du prochain et l’amour de Dieu ?

Leur pensée abstraite, avec leur souci placé à la rédemption des coupables plus qu’à la protection des victimes, les a amenés à ignorer la justice civile et la réparation. Et pour comble, à évoquer d’abord l’Église blessée et le pardon… Cet aveuglement est criminel.

Une autre source majeure de confusion abusive se trouve dans l’usage d’appellations paternelles pour s’adresser depuis le Pape jusqu’aux prêtres, malgré l’interdiction ferme et explicite de Jésus. De même, la figure maternelle de l’Église, introduite au Moyen Âge, induit régression et conflit de loyauté. Cela aide à comprendre le refoulement très profond de bien des victimes d’abus. Quel contraste entre cette symbolique douteuse et l’attitude de Jésus, « l’homme frère, ami des hommes, des femmes et des enfants, entretenant avec eux une relation d’égal à égal, invitant à le suivre, jamais à lui obéir » !

Même constat d’incohérence avec l’Évangile concernant le pouvoir du clergé dans l’Église : est-ce être serviteur comme Jésus que de l’exercer sans partage, comme participant d’un ordre sacré, à part du commun ? Au point d’ignorer la régulation externe de la justice civile. Et que dire du scandale, celui des crimes commis d’abord, mais ensuite celui tellement choquant d’avoir voulu éviter leur révélation !

Christine Pedotti veut une réforme en profondeur. « … je veux que tout cela change ! J’ai bien dit ‘tout’ : […] un système, un ensemble de hiérarchies, de relations, de pratiques, de discours. » Elle se réfère aux mots mêmes du Pape François, qui parle de « culture de l’abus », déclinée en trois types dans le cléricalisme qu’il dénonce : abus sexuel, abus de pouvoir, abus de conscience. À la courageuse analyse qu’il fait, la seule réponse est une réforme radicale des rapports entre clercs et laïcs. Notre auteure regrette que dans l’Église, les paroles fortes du Pape soient édulcorées, et elle inclut in extenso en annexe de son livre la lettre de celui-ci au Peuple de Dieu, datée d’août 2018.

Quels sont les freins à une telle réforme ? Christine Pedotti, qui va jusqu’à envisager avec angoisse que l’Église ne survive pas au désastre actuel, a choisi de s’en prendre à ses responsables, qu’elle ne ménage pas. Même si elle ne s’adresse qu’aux plus aveugles d’entre eux – je trouve difficile de les mettre tous à la même enseigne, et de ne pas croire que beaucoup sont aussi lucides qu’elle – ces personnes persuadées de leur bon droit vont-elles seulement la lire ? Ou alors n’est-ce qu’un artifice de forme, et le lectorat visé est d’abord celui des laïcs, à la base, ou au moins, de l’ensemble du Peuple de Dieu, comme s’adresse le Pape ? Car pour faire bouger un système figé depuis des siècles, et reconstruire, tous doivent changer de mentalité, quitter les vieux modèles, arrêter de se laisser conduire comme des moutons sans cervelle, prendre des responsabilités, se mettre en cohérence avec l’Évangile aujourd’hui.

Ce petit livre apporte un bel encouragement, et sa conclusion, c’est que si quelque chose est en train de mourir dans cette grave crise, la foi nous dit que la mort est le début de la résurrection.

Jacqueline DE CATHOLIQUE

(1]  Christine Pedotti, Qu’avez-vous fait de Jésus ?, 192 pages, Albin Michel 2018.

NDR : cet article gagne à être complété par un autre, le témoignage d’un missionnaire en Amazonie qui met le doigt sur le fait que le plus nécessaire et urgent n’est pas simplement l’ordination d’hommes mariés, mais le changement profond de nos idées sur ce que devrait être une communauté chrétienne et sur son fonctionnement, et donc sur le type de « ministres » (serviteurs) que cela demande pour qu’elle soit vraiment une communauté de frères et de sœurs où tous les charismes peuvent s’exercer à égalité de considération, comme Jésus le demandait. (Matt. ch. 23, en particulier v. 4 à 12).  Le témoignage de ce missionnaire se trouve sur https://reli-infos.be , «l’ordination d’hommes mariés risque de renforcer le cléricalisme »

Sur le même sujet, la revue PAVES signale l’étude très approfondie de Marie-Jo Thiel, L’Église catholique face aux abus sexuels sur des mineurs, 720 pages, Novalis, avril 2019. On en trouve une présentation par l’auteure elle-même sur le site suisse  www.cath.ch/newsf/marie-jo-thiel-les-pretres-abuseurs-ne-sont-pas-des-monstres-ni-des-fous/

Ainsi que Un moment de vérité, de Véronique Margron, 192 pages, Albin Michel, mars 2019. Voir la présentation sur http://paroissiens-progressiste.over-blog.com/2019/03/crimes-sexuels-au-sein-de-l-eglise-le-livre-coup-de-poing-de-soeur-veronique.html