« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

L’nterreligieux: la rencontre des autres: de la peur à l’estime

27, Nov 2016 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Dialogue,Spiritualité     , , ,   No Comments

 

L’estime de la foi des autres, une nécessité…

Un musulman peut-il avoir une vraie estime, un vrai respect pour ce que le chrétien vit dans sa foi ? Un chrétien peut-il avoir une vraie estime et un vrai respect pour ce que le musulman vit dans sa foi ? Peut-on considérer que ce que vit l’autre, grâce à sa foi, est dynamisant pour la société et pour nous-mêmes ? Peut-on considérer que sa prière et sa pratique religieuse, même si elle est différente de la nôtre, a toute sa valeur auprès de Dieu ?

Si l’on veut construire ensemble une société plus fraternelle et contribuer à bien vivre ensemble, la réponse ne peut être qu’affirmative, impérative. Je crois que c’est non seulement une nécessité, mais que c’est aussi un chemin sur lequel Dieu nous attend. Les personnes que Dieu nous donne de rencontrer sont aussi celles à travers lesquelles Il veut nous enrichir et nous faire grandir dans notre propre foi. Quelle image de Dieu aurait-on si l’on pensait qu’il ne s’intéressait qu’à la part d’humanité que nous représentons ?

Notre mémoire collective est chargée de siècles de conflits et de polémiques qu’il nous faut surmonter pour accepter de regarder l’autre tel qu’il est et non pas tel que nous l’imaginons. Assez spontanément, chrétiens comme musulmans ‒ chacun considérant que sa révélation est l’ultime révélation ‒ ont tendance à regarder la religion de l’autre comme un « sous-produit » de sa propre religion : « Ils sont comme nous, sauf qu’il leur manque ceci ou cela, et qu’ils ont rajouté ceci ou cela… » Tant que l’on raisonne ainsi, on ne découvrira pas l’autre. Car l’autre est tout simplement différent.

La reconnaissance nous enrichit

L’expérience humaine fondamentale de toute relation nous montre que c’est la reconnaissance de la différence qui nous enrichit. En fait, il faut accepter que Dieu parle différemment à chacun. Il ne s’agit pas de renoncer à la vérité de Dieu nous révèle, mais de prendre conscience que nul n’est maître de cette vérité. La vérité est un nom de Dieu et nous avons besoin les uns des autres pour en percevoir la grandeur et la profondeur.

Il s’agit, non pas de parvenir à un accord sur nos différences ‒ c’est Dieu qui le fera à la fin des temps ‒, mais au moins de chercher à comprendre l’autre. Même les points de divergence sont sans doute à comprendre à nouveau frais. Par exemple, pour un musulman, découvrir d’une manière nouvelle ce qu’un chrétien croit quand il affirme que Jésus est « fils de Dieu » et voir dans quelle mesure cela ne s’oppose ni à la sourate al-Ikhlâs, ni à l’unicité de Dieu. Pour un chrétien, découvrir qu’un musulman peut penser que le Coran est la Parole incréée de Dieu tout en percevant la nécessité d’interpréter le Message dans notre contexte actuel. Il est temps de nous rencontrer vraiment pour sortir des polémiques qui, depuis quatorze siècles, empoisonnent nos relations.

Je rêve d’une société française où, profitant de notre belle diversité culturelle et religieuse, nous puissions prendre le temps de nous écouter et de nous enrichir mutuellement et témoigner ensemble que nos religions sont porteuses de fraternité. La société sécularisée, n’a pas fait disparaître la quête de sens et de bonheur ; et je crois qu’un vrai dialogue entre nous pourra permettre d’y contribuer s’il est vraiment sincère et ouvert. N’est-ce pas cela que Dieu attend de chacun de nous ?

Henri de La Hougue, ancien directeur de l’Institut de science et de théologie des religions (ISTR) au sein de l’Institut catholique de Paris, coprésident du Groupe de recherche islamo-chrétien (GRIC). Dernier ouvrage paru (avec Saeid Jazari Mamoei) : Dieu est-il l’auteur de la Bible et du Coran ? (Éd. Salvator, 2016). Première parution de cet article dans Salamnews, n° 58, juin-juillet-août 2016.

Mercredi 23 Novembre 2016 sur http://www.saphirnews.com/Interreligieux-l-estime-de-la-foi-des-autres-une-necessite_a23140.html

 

L’a priori de bienveillance dans la rencontre avec des musulmans

Certains peuvent facilement être idéalistes et penser qu’il suffit d’un peu de bonne volonté pour être fondamentalement bons, tolérants et ouverts aux autres. Et pourtant la réalité montre tout le contraire. Les bons sentiments ne suffisent pas.

Lorsque nous sommes face à certaines catégories d’ « autres », spécialement si cet autre exprime son altérité « chez nous », nous pouvons avoir rapidement peur, et cette peur peut nous mettre mal à l’aise, sur la défensive, voir nous rendre agressifs.

Les populismes de tous genres, surfant sur ces peurs et se développant dans de nombreux pays européens à l’heure actuelle le montrent bien. C’est pourquoi avant même de chercher à être « bienveillants », ou plutôt afin de pouvoir l’être de manière authentique sans faire violence ni à soi-même, ni à qui que ce soit, il s’agit dans un premier temps de prendre conscience de ces peurs qui nous habitent et de les reconnaître, sans nous culpabiliser ni stigmatiser les victimes des populismes, mais au contraire, après avoir reconnu humblement les siennes propres, de les désarmer et d’aider chacun à faire de même.

Comment procéder ? La peur, c’est bon. Sans la peur, nous serions tous morts ! Nous serions en effet incapables de prendre la mesure de dangers réels et de nous en protéger. Mais la peur peut aussi être cause de comportements aberrants qui font du tort à nous-mêmes et aux autres, car elle n’est pas un guide infaillible. Quand nous réagissons à un danger perçu, cela ne veut pas dire que ce danger soit réel. La peur doit être moralisée par la sympathie, c’est-à-dire par le souci du bien-être de tous. La peur vient en effet de l’égoïsme, elle est une forme d’attention exacerbée, mais autocentrée. La peur résiste à une idée plus large du bien.

Trois grands principes qui, dans ce contexte, peuvent préparer et aider à développer de manière sereine un a priori de bienveillance, aussi bien envers soi-même qu’envers autrui :

(1) des principes politiques témoignant d’un égal respect de tous les citoyens ;

(2) une pensée critique rigoureuse qui permette de déceler et de dénoncer les contradictions, en particulier celles qui consistent à faire une exception pour soi, c’est-à-dire à « voir la paille dans l’oeil du prochain et non la poutre dans le sien » en projetant sur l’autre l’obscurité que l’on refuse de voir en soi ;

(3) enfin et surtout, le recours systématique au « regard interne » c’est à dire à cette capacité qui nous permet de voir le monde du point de vue d’un autre, et qui est le principe le plus important. Comme en témoigne le fait que les régions qui votent le plus pour l’extrême droite sont celles où le nombre « d’étrangers » est le plus faible, c’est la relation personnelle avec l’autre qui aide développer l’empathie nourrissant l’a priori favorable. Ici la Communication Non Violente développée par M. Rosenberg peut se révéler particulièrement utile, (…) Car c’est seulement dans la mesure où je rentre en communication vraie avec l’autre que je pourrai être délivré de mes peurs et lui « vouloir du bien »… et qu’il pourra faire de même envers moi.

Jean-Marc Balhan s.J.

Cet article est le résumé d’un texte de 8 pages mis en ligne sur Lumen Vitae online (http://www.lumenonline.net) à l’adresse : http:// www.lumenonline.net/courses/ BQDOC2/document/ documents_classes_par_themes/ Enjeux_d_humanite/2016.08_TheWay-

extrait de « La lettre de La Pairelle », octobre-décembre 2016