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Mario Giro : « Face aux Ukrainiens, les Européens se sont réveillés »

31, Mar 2022 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Droits humains,guerre ou paix,International,Migrants     No Comments

La guerre en Ukraine a poussé des millions de réfugiés sur les routes. Comment l’Europe peut-elle faire face à cette crise inédite ? Pour l’ancien ministre italien Mario Giro, responsable des relations internationales pour la communauté chrétienne Sant’Egidio, il faut faire confiance aux citoyens européens. Interview Sixtine Chartier Publié le 30/03/2022 dans l’hebdomadaire français La Vie

Depuis le début de l’invasion russe, 10 millions d’Ukrainiens ont fui leur foyer, soit un quart de la population du pays. Plus de 3 millions sont partis à l’étranger, selon l’Onu. Que vous inspirent ces chiffres ?

C’est la plus grande crise de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale en Europe. À l’époque, des dizaines de millions de personnes s’étaient déplacées. Aujourd’hui, l’Europe fait face avec une grande générosité à cette crise majeure, dont on ne connaît pas la durée. Tout le monde est aux côtés des Ukrainiens agressés qui souffrent.

Comment les réfugiés envisagent-ils la durée de cette crise ?

Les Ukrainiens que nous prenons en charge – en fait surtout des Ukrainiennes, car c’est un peuple de femmes qui fuit le pays, pourvues d’une grande dignité, accompagnées d’enfants et de personnes âgées – tendent pour le moment à rester le plus près possible de la frontière, parce qu’ils espèrent rentrer au plus vite.A lire aussi : Réfugiés ukrainiens : les ONG s’adaptent pour accueillir les nombreux enfants

Nous faisons tout ce qui est possible, avec nos communautés présentes en Ukraine, en Pologne, en Slovaquie, pour les loger et les garder là où elles veulent être. Une minorité a décidé de rejoindre d’autres pays où ils ont des parents, en Italie, en Allemagne, en France, en Grande Bretagne, etc.

Dans quelles conditions ces réfugiés arrivent-ils en Europe ?

Ils arrivent sans rien, avec leurs valises à roulettes et leurs animaux de compagnie. Ils sont partis à la hâte pour fuir des bombardements aveugles. C’est un peuple en fuite qui nous ressemble. Ils ont besoin de s’habiller, de manger et surtout de se soigner, en particulier pour les personnes qui étaient hospitalisées.A lire aussi : À la frontière slovaque, le bruit des roulettes de valise sur le béton ne s’arrête jamais

Quelles actions avez-vous mises en place pour les aider ?

Nous avons lancé une grande récolte de médicaments pour les hôpitaux ukrainiens d’Ivano-Frankivsk et de Lviv, qui manquent de tout en ce moment. Nous avons fait venir une cinquantaine de dialysés en Italie, et ça continue.

En Ukraine et dans les pays limitrophes (Slovaquie et Pologne), nos communautés locales ont organisé des lieux où les aides sont distribuées, comme à Lviv où un grand restaurant a été transformé en centre d’accueil. Elles continuent de nourrir les plus pauvres dont elles avaient déjà la charge avant la guerre et accueillent les réfugiés.

Certains déplorent que l’élan de solidarité actuel n’ait pas été déployé en 2015 pour les Syriens. Ils dénoncent un « deux poids deux mesures » teinté de racisme…

Cette polémique est inutile. Il est vrai qu’à l’époque l’Europe était fermée et que, pendant huit ans de guerre en Syrie, il n’y a pas eu de manifestations en Europe comme aujourd’hui. Des politiciens sans scrupule avaient créé un alarmisme social au sujet des migrants. Ce discours ne peut plus fonctionner aujourd’hui. Pas seulement parce que ce sont des Européens qui fuient, mais aussi parce que l’un des protagonistes de cette guerre est une puissance nucléaire.A lire aussi : Andrea Riccardi, le chrétien le plus influent du monde

La capacité destructive est bien plus massive que pour les autres guerres. Sant’Egidio, à travers l’appel de son fondateur Andrea Riccardi, se bat pour « Kiev ville ouverte », afin d’éviter les combats rue par rue comme cela a malheureusement été le cas en Syrie. L’émoi provoqué par la guerre en Ukraine signifie-t-il que les Européens se sont réveillés ? Je pense que oui. Après beaucoup de somnambulisme, ils se rendent comptent que quand la maison du voisin brûle, la leur est aussi menacée… Plutôt que de polémiquer, rendons-nous compte que la guerre est dangereuse, partout où elle éclate.

Cette crise peut-elle faire évoluer les mentalités européennes sur l’accueil de populations non-européennes ? En France, le maire de Béziers, Robert Ménard, hostile à l’accueil des Syriens, a prononcé un mea culpa…

C’est une évolution positive. Les Européens doivent prendre conscience que la seule manière de défendre la démocratie est de défendre la paix. On ne peut plus fermer les yeux sur les crises du voisin, même si elles semblent lointaines et qu’elles sont difficiles à comparer.A lire aussi : À Béziers, face à Robert Ménard, l’Église veut résister à la division

Je pense à la Syrie, à la terrible guerre au Yémen, qui dure depuis trop longtemps, mais aussi aux crises du Liban et de la Tunisie, à la portée de la France et de l’Italie, qu’il faut absolument résoudre. Ces deux démocraties, certes différentes des nôtres, doivent être défendues afin de préserver la paix dans la Méditerranée.

Quelle est la principale mesure à mettre en place pour pouvoir aider les réfugiés ?

La première chose est de leur trouver un logement digne et de leur donner accès au système de protection sanitaire et sociale. Du point de vue politique, il faut laisser la société civile européenne s’occuper de l’accueil. Contrairement à ce que nous ont raconté des politiciens sans scrupule, les Européens n’ont pas peur. Ils étaient prêts à la solidarité, même avant la guerre en Ukraine.A lire aussi : Accueillir un Ukrainien, mode d’emploi

Nous l’avons constaté avec les couloirs humanitaires. Les personnes ainsi accueillies ont un parcours d’intégration construit sur les offres de la société civile, sans coût pour l’État. Cette expérience nous a montré que les Européens pouvaient se montrer très généreux, quelle que soit la nationalité des réfugiés. Il faut avoir confiance : les Européens sont beaucoup plus ouverts qu’on ne l’imagine.

Quelle est l’étape suivante ?

Trouver un travail. À Varsovie, les 500 000 Ukrainiens arrivés depuis le début de la guerre veulent se rendre autonomes très vite. La plupart sont en train de trouver un travail.

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