« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
22, Jan 2017 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Islamisme,terrorisme Daesh, islam, islamisme, radicalisme No Comments
La journaliste et activiste franco-marocaine Zineb El Rhazoui réaffirme « la nécessité absolue » de « prendre position ». Elle plaide pour une libération de la critique religieuse. Ses propos sont sévères.
(Mais on aurait tort de ne pas les écouter, au prétexte des défauts et des dérives bien actuelles de nos démocraties laïques. Toutes les dérives ne doivent-elles pas être dénoncées? Par ailleurs, il me paraitrait préférable de parler de fascisme « islamiste » que « islamique ». ndr)
EXTRAITS de La Libre, Abonnés, Aurélie Moreau Entretien publié le samedi 21 janvier 2017
(…) Suite aux attentats, les conditions de sécurité dans lesquelles vous vivez sont devenues particulièrement strictes. Vous décidez malgré tout de poursuivre le tournage. Pourquoi ?
Ces conditions de sécurité ne seront jamais un obstacle à mon combat. Au contraire, je m’en sers pour continuer à le mener. Face aux gens qui ne jouissent pas de la même protection, je n’ai pas le droit de me taire, d’autant que le sang de mes collègues a déjà coulé. Si je voulais me taire, il aurait fallu le faire avant de payer ce prix-là. Je continuerai à saisir toutes les tribunes pour dénoncer cette idéologie que j’ai nommée « fascisme islamique », sa politique, sa stratégie d’expansion pernicieuse, sémantique et langagière.
« Rien n’est pardonné ». C’est le titre du documentaire qui vous était consacré. Correspond-il à votre état d’esprit ?
Aujourd’hui, je ne fais toujours pas la différence entre Cherif Kouachi et son frère Saïd. Ça montre mon état d’esprit et celui de mes collègues. Ces deux gars n’ont été que de la chair à canon, deux idiots manipulés. Notre véritable ennemi, c’est l’idéologie. Soit le fascisme islamique. Le pardon, qui peut être salvateur, ne peut exister que lorsque le vrai procès aura lieu. Ce procès-là, ce n’est pas seulement celui des frères Kouachi, qui sont morts. Ce n’est pas non plus le procès de leur mentor, faux repenti qui publie désormais un livre. Le procès que nous attendons pour envisager le pardon, c’est celui de l’idéologie et sa nébuleuse criminelle, ses idéologues, ses théoriciens qui ont pignon sur rue et qui s’expriment librement en prenant toujours le soin de condamner le terrorisme avant de le justifier.
Au lendemain des attentats, naissait – dites-vous – une prise de conscience collective concernant les dérives idéologiques. Vous vous rendez compte toutefois que ce sentiment s’est brisé sur des « querelles sémantiques ». Lesquelles ?
Cet aveuglement de la classe politique et d’une partie des médias n’est pas intentionnel. C’est dû, en grande partie, à de la médiocrité intellectuelle. Les terroristes sont un bras armé, un membre mais il y a aussi le cerveau qui décide, qui théorise et justifie. L’objectif des islamistes est d’affaiblir et de détruire les défenses démocratiques, remparts à leur idéologie. Leur technique, véritable manipulation intellectuelle, consiste à dire que si vous luttez contre l’islamisme – et dénoncez ses expressions au sein de vos sociétés – vous êtes racistes. Le racisme existe dans toutes les sociétés, il ne faut pas s’en cacher mais le meilleur moyen de lutter contre le racisme est de ne pas laisser les autres s’en servir pour soustraire une idéologie ou une religion à la raison critique. Ce laxisme absolu envers l’islamisme, justifié par un sentiment paternaliste, cette manipulation intellectuelle a in fine pour conséquence d’extraire l’Islam de l’universalisme et de la raison critique. On accepte désormais de traiter l’Islam différemment et de manière contraire à l’histoire de l’étude des religions en Europe. Or il y a des gens, comme moi, qui dénoncent ces dérives sans tomber dans le racisme. Et c’est justement la raison pour laquelle les islamistes veulent me tuer : parce que je suis la négation de cette thèse-là.
(…) le seul moyen de faire de la déradicalisation, c’est de libérer la critique religieuse. Les cours de cuisine et les groupes de parole, c’est bien mais ce n’est pas la solution. Le dénominateur commun, c’est une forme de radicalité religieuse. On doit donc aussi se pencher sur le phénomène religieux. Malheureusement, nous refusons de briser ce tabou ultime. Ce n’est pas parce qu’on demande un débat sur le phénomène religieux, qu’on porte atteinte au droit des musulmans. Il s’agit simplement de demander que l’Islam soit soumis à la critique intellectuelle comme nous le faisons pour toutes les autres religions. C’est de l’universalisme, et pas du racisme – d’estimer que l’Islam n’a pas à être traité différemment des autres religions ou des autres croyances philosophiques.
Vous parlez de fascisme islamique, qui fait également référence à un ouvrage* que vous avez écrit en 2016. Pouvez-vous définir l’articulation de ces deux notions telles que vous les concevez et nous expliquer pourquoi vous avez choisi cette association ?
Cette idéologie possède toutes les caractéristiques des fascismes : le refus absolu de l’altérite et l’utilisation de la violence pour l’éradiquer ; le culte absolu de la personnalité du chef, en l’occurrence du prophète, chef éternel et spirituel dont la temporalité dure jusqu’à la nuit des temps. On a vu le sort de tous ceux qui ont essayé de se frotter à cette figure. Mes collègues en sont morts. Il y a aussi le sexisme et l’homophobie que l’on retrouve dans tous les fascismes. On a aussi le mépris de la démocratie dont les fascistes se servent toutefois pour se hisser au pouvoir dans le but ultime de l’éliminer. Ils considèrent la démocratie comme une hérésie absolue car elle veut faire régner la volonté de l’homme sur la volonté de dieu. Il y a aussi le fait de se présenter avec une espèce de programme hypocrite comprenant des revendications sociales, ouvrières, prolétaires, communautaires. Il y a aussi la haine des arts et des intellectuels, de la liberté de créer en général. L’islamisme, quand il devient fascisme mais pas seulement, est une idéologie impérialiste qui a un drapeau, un costume, un uniforme, un jargon, un prêt-à-parler, des concepts. Il se fonde d’abord sur un sentiment d’appartenance à une communauté persécutée et le fait que cette communauté doit de se redresser pour sauver son honneur. Sur le plan technique, c’est une idéologie qui remplit quasiment l’ensemble des critères fascistes.
(…) Vous posez une autre question essentielle : c’est quoi le vrai Islam ? Question que l’on pourrait tout à fait élargir à : c’est quoi un vrai juif ? Ou un vrai athée ?
Lors des attentats, on entend souvent : « Ce n’est pas le vrai Islam ». Mais c’est quoi le vrai Islam ? Ça ne veut rien dire. Selon les positions de chacun, ce « vrai » Islam a des définitions différentes. Résultat, personne ne désavoue les préceptes de l’Islam qui vont dans le sens du repli sur soi et de la fermeture. Dans les textes sacrés, que lis-je ? Des injonctions à égorger, la haine des chrétiens et des juifs. Pourquoi ? Parce que ces textes ont été écrits il y a 15 siècles dans un contexte bédouin. Ils sont forcément empreint de la barbarie qui existait dans ces sociétés, à ce moment-là. Ces textes ne poseraient aucun problème si on les considérait pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire comme des textes bédouins écrits il y a 15 siècles. Seulement, aujourd’hui, il y a encore des gens qui pensent les textes coraniques comme des Constitutions. Dans le Catholicisme et le Judaïsme, vous trouverez les mêmes choses. Dans les épîtres de Saint Paul aux Corinthiens, par exemple, il y a des injonctions très claires à porter le voile. Seulement, un travail intellectuel a en partie été effectué pour replacer ces textes dans leur époque et dans leur contexte tout en conservant l’esprit des Ecritures.
(…) Or on peut aussi appartenir à une culture islamique, être croyant et libre penseur, par la langue et l’universalisme. Regardez le combat de la jeunesse, qui dans les pays arabes, se bat pour la liberté de penser dans une culture islamique. Soutenez ces gens-là plutôt que ceux qui pratiquent une caricature de culture islamique à travers une vision dogmatique et étriquée de la religion et qui veulent réduire la culture à une manifestation totalitaire. Réduire toute une culture au voile, à une barbe, c’est encourager l’ignorance. Ces gens-là n’ont jamais lu la littérature arabe, ils ne connaissent rien à la musique arabe, ou à leur propre identité. Ils n’ont récupéré de cette identité qu’une croûte caricaturale.
La réponse armée n’est pas une réponse acceptable au terrorisme, dites-vous, car cette guerre ne se joue pas contre des individus – ou un état autoproclamé « islamique » – mais sur le terrain des idées. Quelles armes utiliseriez-vous ?
Je suis absolument sans voix quand j’entends les dirigeants dire qu’ils vont renforcer les frappes suite aux attentats. Ces gens n’ont pas compris que même si on rasait Raqqa, l’Irak et la Syrie de la carte, on ne réglerait toujours pas le problème. Le phénomène du terrorisme ne date pas de l’Etat islamique (EI). L’idéologie motrice de l’EI existe depuis longtemps et s’est manifestée sous d’autres appellations. Elle s’est toujours greffée dans des territoires où naissait le chaos ; en Libye, au Nord du Mali, en Tchétchénie, au Cachemire, etc. Et a chaque fois, ces intermittents du djihad prennent leur sac à dos. Tantôt ce sera Al Qaïda. Tantôt ce sera l’EI. Et quand l’EI sera rayé de la carte, ils iront se greffer ailleurs, sur un autre chaos pour s’appeler autrement. Ce qu’on ne comprend pas, c’est ce que le ver est dans le fruit. Cette idéologie est chez nous, elle est partout ailleurs aussi. Elle n’est pas inhérente à une territorialité. La réponse sécuritaire et militaire est certes importante mais elle ne va pas venir à bout de la guerre. Une guerre contre une idéologie fasciste doit d’abord se gagner sur le plan intellectuel mais on ne peut pas faire une guerre à une idéologie que l’on refuse de nommer. (…)
Il existe des initiatives dans le monde de la culture, mais aussi dans le milieu associatif, à Bruxelles notamment et à Molenbeek qui obtiennent aussi des résultats. Ce n’est pas suffisant ?
Les peuples sont très lucides sur ce qui se joue. Ils ne se font aucune illusion sur le lien qui existe entre l’obscurantisme religieux, le laxisme politique et le terrorisme. C’est la classe politique qui va de compromissions en compromissions et qui, pour des calculs électoraux très étroits, a laissé gangrener cette idéologie. Tous ceux qui peuvent faire quelque chose, doivent faire quelque chose. Et doivent commencer par cesser de tomber dans le piège sémantique tendu par les islamistes. On n’a pas de leçon d’anti-racisme à recevoir d’eux. Le racisme ne les choque que lorsqu’il est dirigé contre les femmes en burqa. Ils veulent avoir le monopole antiraciste pour défendre une idéologie raciste, qui interdit toute interaction avec l’Autre. Nous avons fait plus de preuves qu’eux en matière de démocratie. Toute initiative intellectuelle, éducative, culturelle, associative qui peut aller dans la lutte et la prise de conscience de ce danger est évidemment la bienvenue.
(…) J’ai voué ma vie à ce combat et je ne tomberai pas dans le panneau qui consiste à nous faire croire que se battre pour la liberté, c’est se battre pour leur liberté à eux de restreindre les nôtres.
Entretien: Aurélie Moreau
Le film « Rien n’est pardonné » de Vincent Coen et Guillaume Vandenberghe retrace le parcours de Zineb El Rhazoui, militante et journaliste à Charlie Hebdo. Diffusé la semaine dernière à la RTBF, il sera en compétition dans le cadre de la 30e édition du Fipa (Festival international des programmes audiovisuels) qui se déroule du 24 au 29 janvier 2017 à Biarritz.
* Disponible en catch up sur la plateforme Auvio pendant sept jours.
* « Détruire le fascisme islamique », ZNEB EL RHAZOUI, Ed. Grasset, Env. 7€
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