« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Rachid BENZINE : « Entre souci de soi et souci de l’autre »

07, Nov 2016 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Articles personnels,Dialogue     , , , , , , ,   No Comments

 

Conférence à Namur le 5-11-2016(colloque de « Rivespérance »)

Pour une politique de l’amitié, de la proximité et l’importance de la rencontre humaine et de l’empathie, avant l’étude des textes à l’aide des sciences humaines.

Compte-rendu de quelques idées émises telles que je les ai comprises (Philippe de Briey)

  1. Qui est Rachid Benzine ?

Né au Maroc en 1971 dans une famille de 10 enfants

Toute sa scolarité en France.

Enseigne à Aix-en-Provence, au Maroc et à l’UCL (Cismoc).

A écrit notamment : « nous avons tant de choses à nous dire » (avec le P. Christian Delorme) ; « Les nouveaux penseurs de l’islam » ; et tout récemment « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » (court dialogue entre un père et sa fille partie rejoindre Daesh. Ce sera joué dans le cadre d’une pièce de théâtre en janvier).

Parmi ses références : Paul Ricoeur (« soi-même comme un autre »), Derrida, Drewermann, Karl Barth, Bultmann… qui lui ont appris ce qu’est le langage mythique.

 

  1. Pour une politique de l’amitié, de la proximité

Importance de la rencontre humaine, avant l’étude des textes.

Il a été marqué par un prêtre qui nous disait : « en quoi puis-vous être utile ?

Il faut d’abord « faire ensemble ». C’est ce qui change notre regard sur l’autre. On arrête de stigmatiser. Par exemple, nous étions des « maghrébins », maintenant nous sommes des « musulmans ». or, l’islam n’est pas notre seule appartenance. Les musulmans d’ici sont aussi belges. Une politique de l’amitié permet d’arrêter d’essentialiser l’autre, d’entrer en empathie avec l’autre et avec son univers mental, son imaginaire, sa représentation du monde et du mystère. L’autre a aussi des choses à nous apprendre.


  1. Faute d’histoire, on se raconte des histoires, et ça fait des histoires…

 Bien comprendre que les textes sacrés s’adressent à des gens qui sont d’un autre temps, d’une autre géographie, culture, etc. Chaque société produit son propre imaginaire. Donc, on ne doit pas lire les textes sans utiliser les sciences humaines, anthropologie, sémantique, linguistique, histoire, etc. Connaître le temps, le lieu, le groupe humain.

 

  1. Les identités meurtrières

 Aujourd’hui, on vit beaucoup dans la logique identitaire. Il y a eux et nous. « Eux » sont méprisables : « Voyez comment ils traitent les femmes ». Pourquoi ce retour de l’identitaire ? parce que le niveau d’espérance semble bouché.

L’identitaire n’est qu’un des 3 pôles de la religion. Il y a aussi le cognitif (les traditions) et surtout l’éthique qui est le plus important.

L’Islam n’existe pas, il y a seulement des musulmans, très divers, avec des rapports très différents avec leur religion. Mais les fondamentalistes wahhabites prétendent représenter le vrai islam. Ils prônent l’identitaire, alimentaire notamment.

Eviter deux réductions : – « Daesh, c’est l’islam » ou bien « ça n’a rien à voir avec l’islam »

 

  1. D’où vient l’attrait des jeunes pour des vues radicales ?

 Ce ne sont pas tous des gens qui ont des problèmes. Certains sont des universitaires brillants. Alors, où est le problème ?

Daesh, c’est tout un univers de sens, une idéologie, contenant 4 rêves :

  1. Rêve de l’unité : le mythe, l’imaginaire du califat, face à une démocratie qui ne tient pas ses promesses et déçoit.
  2. Rêve de retrouver une dignité perdue, humiliée. Besoin de reconnaissance, de pouvoir montrer ce qu’on est et ce qu’on est capable de faire.
  3. Rêve de pureté. On cherche des repères, des refuges, on se replie et on se sépare. Mais la violence n’est pas loin, elle devient légitime, peur d’être contaminés.
  4. Rêve de salut, quête de sens à leur vie et à leur mort. Une civilisation se mesure à sa capacité d’offrir un idéal. L’homme ne peut pas se suffire de croissance économique.

 

  1. L’islam de la tradition n’est pas celui des origines.

 L’islam traditionnel ne s’est forgé que un ou deux siècles après. Théologie, droit, etc, ont été élaborés sous les Abbassides, et sous l’influence déterminante des convertis issus du christianisme, du judaïsme, du zoroastrisme, des philosophes grecs, etc.  Ceux-là ont relu les textes d’origine avec leurs lunettes très différentes. Par exemple, c’est la théologie chrétienne de Jésus consubstantiel à Dieu qui a provoqué l’idée du « Coran incréé » (consubstantiel à Dieu).

Ainsi, ce qui était au départ une alliance socioreligieuse ethnique réservée aux seuls Arabes est devenu une « religion » avec sa théologie, son droit etc. et ses images sur les faits et les dires de Mohammed et ses compagnons. Dans la « Sira » par exemple, on est dans le merveilleux. C’est l’islam impérial, qui songe à conquérir et convertir le monde entier.

Autre exemple : la sanction de l’adultère, dans le Coran, c’est cent coups de fouet aux deux, puis dans les « hadiths », c’est devenu la lapidation, comme dans la Torah.

Selon Benzine, les guerres de Mohammed sont des guerres tribales, pas des guerres musulmanes. (NDR : ici je ne comprends pas bien, car dans le Coran elles semblent bien faites au nom d’Allah et pour et avec Allah).

 

  1. Quelques questions

 a) Islam et Amour d’autrui ?

Il y a une pluralité de mots pour l’exprimer, comme la miséricorde, la clémence, et beaucoup de versets pour la solidarité, la justice, le souci du pauvre etc.

Mais aujourd’hui, l’islam traverse une grande crise, avec un courant qui prône la violence. On est dans la crispation d’un conflit entre deux sacrés : par exemple la liberté d’expression contre le respect absolu du Prophète.

 b)Quel discours audible pour les jeunes ?

Il faut entre autres leur décrire très concrètement la société des origines qui n’est pas ce qu’ils imaginent. (NDR : mais surtout faire en sorte qu’ils se sentent reconnus, plutôt que stigmatisés – cf. plus haut. ). (*)

 c) Un certain silence de la communauté musulmane ?

 D’abord, beaucoup d’autorités religieuses ont parlé, ont dénoncé, mais les médias laissent souvent cela dans le silence…

Ensuite, il faut se poser la question : est-ce que les musulmans belges sont responsables de Daesh ? Où est-ce le produit du grand mensonge de Bush en 2003 sur l’Irak pour envahir le pays ?

Est-ce que l’inquisition, par exemple, fait partie du christianisme ? Oui. Mais elle n’est pas son identité !

Est-ce que les juifs de France sont responsables de ce qui se passe en Israël-Palestine ?

S’il faut descendre protester, il faut le faire ensemble avec tous, sinon, on tombe dans la stigmatisation. Il n’y a pas une communauté musulmane, il y a seulement des musulmans, très divers. Evitons à tout prix l’assignation identitaire.

 

P.S. : ce compte-rendu ne prétend pas à l’exhaustivité ! j’ai seulement essayé d’être le plus fidèle possible. A chacun de vérifier à partir des écrits de l’auteur, notamment ceux que j’ai diffusés sur mon site (voyez la fonction Recherche dans la colonne de droite et écrivez Benzine)

 

(*) NDR : Sur la pédagogie dans ce domaine, je recommande Hicham Abdel Gawad « Les questions que se posent les jeunes (musulmans) sur l’islam », itinéraire d’un prof. Ed. La Boîte à Pandore, Paris, 2016. (2 compte-rendus sur ce site)