« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

« En finir avec le cléricalisme »

16, Sep 2020 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Foi chrétienne     No Comments

Quelques réflexions personnelles.

  • Le livre de Loïc de Kérimel « En finir avec le cléricalisme » ([1]) montre bien la racine du cléricalisme : cette séparation qui s’est creusée, vers le 2e et 3e siècle, entre la communauté chrétienne et un clergé qui s’est constitué de plus en plus sur le modèle élitiste de la religion, modèle que Jésus avait pourtant condamné d’une manière virulente au point d’encourir le pire des supplices de la part de ses dirigeants.
  • Cette séparation entre clercs et laïcs s’est certes atténuée depuis le concile Vatican II, mais elle est encore loin d’avoir disparu. Car, les sacrements et surtout la présidence de l’eucharistie demeurent réservés aux seuls prêtres. Pour recevoir ce pouvoir spirituel énorme, il « suffit » (pour ainsi dire) de passer par six années de séminaire et d’avoir fait vœu de célibat. ([2])
  • Et surtout, il ne faut pas être de sexe féminin ! C’est d’ailleurs la seule fonction sociale qui est encore refusée aux femmes. Or, on voit aujourd’hui des femmes présidentes, premières ministres, et tout ce qu’on veut, il y a de plus en plus de femmes dans toutes les professions et au rang le plus élevé où elles excellent souvent mieux que les hommes. C’est une deuxième entorse, de moins en moins acceptée, d’avec le monde contemporain. C’est sans doute une des explications de la crise des vocations.
  • Sous le pontificat de Jean-Paul II, il a été rappelé que les homélies sont réservées aux seuls prêtres. Ne peut-on pas y voir un signe de ce manque de véritable considération à l’égard des laïcs qui caractérise le cléricalisme ? Les prêtres catholiques n’ont-ils pas été formés dans l’idée d’être les tenants exclusifs de l’enseignement religieux et du témoignage de foi ? Comme s’ils étaient les seuls à pouvoir bénéficier des grâces de l’Esprit saint, à pouvoir éveiller, réveiller, éclairer la communauté durant ses assemblées dominicales. Bien sûr, quand on jouit de certains privilèges, il n’est pas évident de les partager.
  • J’ai le plus grand respect pour les prêtres et je salue leur célibat dédié au service plus total à l’Eglise, mais je regrette une attitude collective de « chasse gardée ». Qu’attendent-ils pour élargir le témoignage de foi et le service pastoral à d’autres personnes, mariées ou non, hommes ou femmes, qui ont fait leurs preuves dans une communauté ? En commençant, peut-être, par leur donner la parole de foi dans l’assemblée eucharistique qui serait ainsi stimulée et enrichie par la diversité de leurs témoignages et de leurs interprétations des textes sacrés. Bien sûr, il y a les catéchistes, ceux et celles qui préparent les enfants aux communions et à la confirmation, mais que savons-nous du regard chrétien et des questions des laïcs engagés dans diverses expériences professionnelles ou familiales ? N’est-ce pas pourtant ce genre de chose qui rendrait nos communautés plus vivantes et plus branchées sur la vie de nos contemporains ? Entendre les témoignages ou les commentaires d’un médecin, d’une infirmière, d’un-e président-e  de CPAS, de professeur-e-s et éducateurs, de mères de famille, d’ouvriers, de fonctionnaires, etc., serait-ce sortir de ce que Jésus attend de nos assemblées dominicales ? Loïc de Kerimel cite et commente un texte de St Paul aux Corinthiens qui indique bien que « la fraction du pain » ne consistait pas seulement en partage du pain eucharistique, mais en partage de la parole de foi.
  • Ne devrait-on pas faire entrer davantage la vie et les préoccupations du monde dans nos églises ? Certaines paroisses invitent des personnalités pour des conférences en soirée, mais ceci ne rassemble qu’une partie de la communauté et ne concerne pas assez la vie et l’ensemble de la communauté paroissiale. Comme si ces échanges sur les questions de société d’aujourd’hui étaient « hors du sujet ». Comme s’il s’agissait seulement, lors des messes, d’adorer, de chanter, de prier, bref de culte. Est-ce suffisant pour créer une communauté vivante et nourrissante, et surtout engagée ?  Pour être vraiment disciples de Jésus, il ne suffit pas d’être pieux, il faut, comme lui, être un levain actif dans la pâte humaine, dans n’importe quel domaine, pour y insuffler plus de justice, de solidarité, de paix, de souci pour toute la création. (le pape nous y appelle particulièrement). Nos Messes ne devraient-elles pas devenir davantage des temps privilégiés pour nous éclairer et nous stimuler les uns les autres dans nos engagements divers dans la société d’aujourd’hui ?
  • Veuillez bien m’excuser de poser ces questions, mais je le fais seulement parce que je cherche des réponses au désintérêt indéniable de beaucoup de chrétiens et de chrétiennes vis-à-vis de la messe dominicale. Certaines paroisses gardent encore des assemblées nombreuses, mais l’âge moyen est élevé, et c’est cela le problème qu’il faudrait oser regarder en face. Jésus ne prêchait sûrement pas seulement aux seniors, il allait vers les gens dans les villages, vers les foules. Et cette évangélisation, il la menait avec toutes sortes de disciples, sans du tout exiger qu’on soit célibataire et de sexe masculin. Quand j’y pense, je trouve assez ahurissant qu’on se soit à ce point distancé de sa propre pratique et de celle de ses apôtres et disciples.
  • Jésus ne se voulait pas seul à prêcher, il envoyait ses disciples le faire à leur tour et ainsi il en faisait de apôtres, des porteurs de la bonne nouvelle. Les prêtres ne devraient-ils pas de même pousser davantage les laïcs à prendre la parole durant les assemblées dominicales, et ainsi ils prendraient davantage à cœur cette parole de la foi et sa diffusion ? Et cette diversité des témoignages ne pourrait-elle pas intéresser davantage que la parole des seuls prêtres avec forcément un peu toujours les mêmes idées, si intéressantes soient-elles en soi ?  Et pour y arriver, ne devrait-on pas organiser régulièrement des partages d’évangile en petits groupes lors des célébrations dominicales ? Bien sûr, ces messes-là prendraient plus qu’une heure, et alors ? Nous avons vécu, dans ma paroisse de Blocry ([3]) en décembre dernier, une retraite de deux jours où nous avons pu précisément partager notre foi dans des petits groupes. C’était tellement enrichissant, stimulant et créateur de fraternité.
  • Les prêtres, dans notre Eglise catholique, ont été tellement mis sur un piédestal -et c’est ce que je retiens surtout de Loïc de Kerimel – qu’il s’en est suivi une grande passivité des laïcs, horsmis les chorales, le catéchisme et les tâches matérielles. Le résultat est celui que nous voyons : un désintérêt croissant, non seulement des jeunes, mais de leurs parents. Certaines paroisses des villes ne doivent pas nous tromper : les pratiquants se font de plus en plus rares. Imputer cela simplement au monde moderne, n’est-ce pas faire l’autruche ?
  • Je vous invite, non seulement à réagir, objecter, compléter ces quelques idées, mais surtout à apporter les vôtres, que je diffuserais avec plaisir.

Philippe de Briey, de.briey@proximus.be


[1]  Lisez-en une courte présentation sur  https://www.seuil.com/ouvrage/en-finir-avec-le-clericalisme-loic-de-kerimel/9782021440133. Le P. Ignace Berten, O.P., en a fait un long résumé que je peux envoyer par mail.

[2]  Ils n’ont pas dû être appelés par une paroisse comme c’est le cas chez nos frères protestants, ni faire leurs preuves dans une communauté durant quelques années de pratique pastorale. Ce « parachutage » d’en haut n’est-il pas déjà une première entorse à nos exigences démocratiques contemporaines ? Or, cette exigence démocratique n’est-elle pas au cœur de l’évangile et de la pratique de Jésus ?

[3]  Entre Ottignies et Louvain-la-Neuve (Brabant wallon)