« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
04, Nov 2017 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Compte-rendus,radicalisme radicalisme, salafisme 1 Comment
Récit remarquable de sincérité d’une maman de 4 enfants qui voit sa fille ainée dérivant petit à petit vers l’islamisme salafiste, piétiste mais radical.
L’intérêt de ce livre (éd. La Boite à Pandore, 2017, 180 p) est de montrer qu’à part le salafisme djihadiste, il y a aussi des salafistes pieux, ultra-conservateurs, qui se disent non-violents, mais sont cependant d’une grande violence cachée à l‘égard des femmes qu’ils embobinent dans la totale soumission à leur homme, sous prétexte de religion et dans la peur de l’enfer en cas d’insoumission.
Le processus chez « Charlotte » (prénom d’emprunt) a commencé à ses 11 ans ! Née dans une famille sans religion, tombée amoureuse d’un garçon musulman de 13 ans qui s’est désintéressé d’elle assez vite, elle a voulu le récupérer par l’intermédiaire de la sœur de ce garçon. C’est celle-ci qui, avec l’aide d’une amie, lui a parlé de l’islam et lui a finalement fait lire le Coran, puis toute une littérature salafiste qu’elle s’est mise à dévorer. Le résultat : désintérêt progressif de l’école, du dessin, de la musique, de tout finalement et surtout rupture de plus en plus accusée avec sa famille. A 13 ans, conversion officielle à l’islam (pourtant interdite en France avant 18 ans), puis port du jilbab couvrant tout le corps, et du niqab ne laissant voir que les yeux. Et même, il fallait y ajouter le « sitar », voile cachant aussi les yeux. On imagine l’émotion de la maman… Tout cela est arrivé très progressivement, les radicaux sont très forts dans ce domaine. « Dans sa démarche autonome, elle trouvera rapidement des guides et des repères, au collège, puis sur les réseaux sociaux, pour finalement se trouvera aspirée dans la spirale salafiste piétiste qui va l’entourer de toutes parts » (p.5).
Dans son récit de grande sincérité, la maman reconnait qu’il n’y a pas toujours eu la meilleure atmosphère dans sa famille à cause de ses soucis professionnels et conjugaux et que cela a pu jouer dans l’attrait de sa fille ainée pour une autre « famille ». Cet aveu peut nous interroger: la joie, le sens, fraternel et religieux, sont-ils assez présents dans nos familles, nos écoles, notre société ? Question dérangeante qui n’est sans doute pas assez posée dans les débats sur la radicalisation, mais que l’auteure a le courage de se poser.
Charlotte a maintenant 19 ans et vit depuis ses 18 ans en Angleterre, mariée à un trentenaire polygame (de 3 épouses). Les contacts avec sa maman ne peuvent plus avoir lieu que par lettres postales. Elle a cependant réussi, au bout de 2 jours d’obstination devant la porte fermée de la maison, à obtenir de voir sa fille pendant 15 minutes en présence de ce mari et dans un lieu neutre. Elle garde l’espoir de voir revenir un jour sa chère fille qu’elle a perçue comme éteinte …
Ce récit est émouvant, par sa sincérité : Lau Nova a le courage de reconnaître certaines erreurs de psychologie dans ses efforts pour détourner sa fille de cette dérive sectaire. L’équipe de Dounia Bouzar notamment l’a aidée à renoncer aux réactions autoritaires contre-productives et à adopter une attitude plus positive : je respecte ta liberté, même si je n’approuve pas tes choix, qui ne vont pas te rendre heureuse à long terme.
Extrait de sa lettre du 6 juin 2017, « cette lettre que je ne peux t’envoyer » : « Ton mari, en grand manitou, te maintient totalement sous son emprise. Et de surcroît, il se réclame d’Allah pour justifier ses actes ! … Crois-tu que sa 3ème épouse se soit sauvée de ce mitard parce que c’est une traitresse ou parce qu’elle se sentait en danger ? » (p.168).
Comme elle le dit elle-même – et c’est pourquoi elle a écrit ce livre – cette histoire tragique peut arriver à tout le monde. Elle est convaincue, après tous les contacts qu’elle a pris durant ces sept ans avec beaucoup d’experts et de parents (et d’enfants) dans des groupes de paroles) que ces salafistes extrêmement prosélytes réussissent très fort dans leur « chasse aux conversions », tellement convaincus qu’ils sont de détenir la seule voie droite aux yeux d’Allah. Ce succès du salafisme radical est évidemment très inquiétant, car cela provoque une incompatibilité avec la culture occidentale jugée perverse. Dans un chapitre intitulé « Littérature du savoir », Lau Nova cite une série d’extraits de trois livres salafistes publiés par les éditions Dar Al Muslim. En voici deux : « Rien ne doit sortir ou entrer dans la maison sans la permission de l’époux, car ceci est l’un de ses droits. Respecter ce principe prouvera à ton époux le respect, la déférence et la gratitude que tu lui voues. … Tu dois te concerter avec lui et demander la permission pour tout ce que tu entreprends, et ce afin de lui faire plaisir et gagner son affection » …
Ils prétendent être non violents… mais la soumission doit être totale, religieuse : « Si tu es éprouvée par un mari qui ne te traite pas correctement, tu ne seras pas privée du bonheur intérieur par ta soumission au destin d’Allah et ta patience… Tu dois éviter que ton époux te sollicite à chaque fois pour la même chose, car les hommes raisonnables détestent répéter ce qu’il faut faire et ne pas faire ». (p.152-154) On imagine quelle doit être leur attitude face à une femme peu obéissante, d’autant plus que le Coran permet de les battre ou de les enfermer dans pareil cas. Ou de les répudier, les laissant alors dans une situation très problématique, bien décrite dans un autre livre : de Laura Passoni et Hicham Abdel Gawad. ([1])
Comme l’écrit Lau Nora, « l’opposition à nos modes de vie occidentaux est évidente, incontournable. Et la vérité est dite, immuable » (p.156). Le destin de la femme est d’être la servante de son homme, et de tout faire pour ne lui déplaire en rien. L’enfermement n’est pas seulement physique, il est moral et religieux. Ce livre nous montre que ce qui se passe pour les femmes de Daesh en Syrie existe aussi en Europe, à l’abri des regards. Quant aux livres venant des pays du Golfe, ils abondent dans les librairies islamiques et dans certaines mosquées et favorisent un islam pour lequel toute la culture occidentale est abhorrée.
Je reprends ici simplement un extrait de sa conclusion :
« Reste que nous ne pouvons pas nous abstenir de réagir face à un phénomène de société qui, à petits pas, gangrène une partie de notre jeunesse et même au-delà. L’information et la prévention contre l’embrigadement dans des mouvements communautaires salafistes piétistes semblent tout aussi utiles que celles faites sur l’utilisation des réseaux sociaux ou le harcèlement à l’école. Dès l’entrée au collège. Mieux avertis, nos enfants sont aussi mieux outillés pour être autonomes et développer leur esprit critique pour bien grandir. Aujourd’hui, nous n’avons pas trouvé la recette pour les aider à les sortir de la radicalité. En revanche, nous pouvons mobiliser nos efforts pour les aider à ne pas y entrer. Une montée en puissance de la pensée salafiste piétiste n’est pas sans risque pour les fondements de notre société. A charge aussi de nos élus de choisir d’affronter cette problématique ou de continuer à la contourner ». (p. 171)
Voilà donc un livre qu’il convient de faire connaître, de même que celui de la note ci-dessous.
[1] “Comment réagir face à une personne radicalisée” (éd. La Boite à Pandore) (chap. 4)
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One thought on “« Ma chère fille salafiste radicalisée à 12 ans » par Mme Lau Nova”
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