« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
12, Nov 2020 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités Islam,Droits humains,International,Islam Belgique No Comments
En décembre 2016, la Diyanet – l’administration turque responsable de la gestion du culte islamique en Turquie et auprès des diasporas turques du monde entier – avait déposé un rapport auprès du Parlement turc qui agrégeait des informations collectées dans 38 pays, dont la Belgique, sur des suspects d’appartenance au Hizmet. Cette organisation, dirigée depuis les Etats-Unis par le prédicateur Fethullah Gülen, est accusée par le gouvernement turc d’avoir fomenté le coup d’état du 15 juillet 2016 qui a fait plusieurs centaines de victimes.
En Belgique, la Diyanet contrôle le plus grand réseau de mosquées : une septantaine sur les quelque 300 mosquées réparties sur l’ensemble du pays. Il s’agit donc de la plus large fédération de mosquées, toutes communautés musulmanes confondues. Contrairement aux autres, son système de fonctionnement est simple : les fidèles achètent ou font bâtir une mosquée à leurs frais, en remettent la propriété à la fondation belge de la Diyanet s’ils souhaitent s’y affilier et, en échange, le siège central d’Ankara leur envoie un imâm, tous frais payés, qui officiera quelques années avant de retourner en Turquie pour poursuivre sa carrière ou être posté dans un autre pays.
Ces imâms sont des fonctionnaires de l’Etat turc, auquel ils doivent évidemment leur allégeance. Jusqu’à ce que le gouvernement de l’AKP n’en prenne définitivement le contrôle en 2010, la Diyanet a essentiellement diffusé un islam apolitique, voire totalement dépolitisé, qui ne devait présenter aucun risque pour le pouvoir d’Ankara, quelle que soit son orientation idéologique et son degré de sécularisme. Il en va tout autrement depuis quelques années. Si le cœur du discours des imâms de la Diyanet, en Turquie comme en Belgique, reste focalisé sur la diffusion de valeurs morales conservatrices et d’un ethno-nationalisme fabriqué sur mesure, une inflexion notable des discours a pu être constatée depuis l’insurrection du Parc de Gezi en 2013. Ils se sont de plus en plus alignés sur la rhétorique de M. Erdogan, désignant et mettant en garde contre les ennemis de l’intérieur : les mouvements kurdes d’opposition (et pas que les terroristes), mais aussi d’autres mouvements de gauche radicale, ainsi que le Hizmet de F. Gülen, bien sûr. Depuis le coup d’Etat, c’est une véritable chasse aux sorcières qui a été lancée contre cette organisation, alors que le gouvernement turc n’a pas encore été en mesure de fournir des preuves convaincantes de l’implication du Hizmet dans le coup d’état, comme l’a déclaré le dirigeant des services secrets allemands il y a peu, et confirmé par l’Unité de partage d’information entre les services secrets européens.
Qu’à cela ne tienne, que ce soit par zèle nationaliste, ou plus probablement par ordre direct de leur hiérarchie, un certain nombre d’imâms postés en Belgique ont fourni à Ankara des informations sur leurs ouailles, sachant que cela peut avoir des conséquences extrêmement sévères sur leurs familles en Turquie, sans compter les saisies de propriétés, voire même des menaces d’enlèvements extraterritoriaux.
On ne peut que se féliciter dès lors que la Ministre flamande Liesbeth Homans (N-VA, ce qui ne manque pas de piquant) ait décidé de se saisir de ce dossier, car il est tout à fait inacceptable qu’une puissance étrangère espionne des citoyens belges, sur le territoire belge qui plus est. La communauté turque est probablement la communauté d’origine étrangère avec le plus haut taux d’adoption de la nationalité belge. Près de 90% des personnes d’origine turque ont pris la décision consciente de devenir belge, la Belgique étant leur pays d’adoption et, pour la majorité, de naissance.
Alors que cela fait bientôt quatre mois que les autorités belges sont informées de ces activités d’espionnage, rien n’a été fait, ni même déclaré, par la moindre de ces dernières, à quelque niveau de pouvoir que ce soit.
(…) (l’auteur avance ici quelques propositions de solution)
Il est temps de rappeler que la Belgique est maître chez soi et que l’espionnage de ses concitoyens par des Etats tiers est inacceptable. Cela vaut pour la Turquie comme pour toute autre puissance étrangère. L’inclusion des musulman-e-s de Belgique ne dépend pas que d’eux, mais aussi de gestes forts et d’un sentiment de protection que seules peuvent offrir des autorités politiques qui œuvrent pour le bien général commun. Le compte à rebours a commencé.
Dr. Michael Privot, Islamologue, auteur de « Quand j’étais frère musulman », Parcours vers un islam des lumières, La Boîte à Pandore, 2017.
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