« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
22, Avr 2021 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Dialogue,Spiritualité No Comments
Cet article me parait du plus grand intérêt, alors que l’école et la société dans son ensemble connaissent de plus en plus de difficultés dans les relations humaines. Changer profondément nos modes de relations avec autrui devrait s’apprendre le plus tôt possible. (ndr)
Intéressés par leurs domaines de compétence respectifs (scientifique pour Paul-Benoît de Monge et littéraire pour Alain Maingain), les deux directeurs ont décidé de croiser leurs « expertises pédagogiques pour développer des méthodes d’apprentissage qui soient gagnantes » pour leurs élèves en difficulté.
Pourquoi le mot bienveillance apparaît-il dans le monde de l’enseignement?
PB de M :C’est de l’extérieur qu’il s’est imposé à nous. Il sortait du discours de jeunes élèves, qui demandaient : ‘que faites-vous de la bienveillance?’ Il y a aussi toute une série d’endroits où le mot était présent sous une autre forme. Chez les jésuites, dans la pédagogie des collèges, il y a ‘prendre soin de chaque personne’.
AM : : Notre préoccupation pour la bienveillance vient aussi du constat des souffrances des enfants, des adolescents, des jeunes. Finalement, le manque de bienveillance serait-il le nouveau mal du siècle pour eux?
L’émerveillement est-il constitutif de celle-ci?
PB de M :Oui, très certainement. On peut s’émerveiller de quantité de choses: de celui qui est en face de soi, d’un arbre, d’une feuille, d’une chenille, d’une étoile, de la constellation…
AM : Quand on prononce ce mot, on peut se faire taxer d’être bisounours. Pour un certain nombre d’enseignants, cela risque d’être perçu comme un slogan, parce que le mot est à la mode dans des tas de milieux. Si on veut œuvrer pour la bienveillance, il faut commencer par ouvrir le mot et lui donner de l’épaisseur. Il y a des traces, des pratiques, des témoignages de bienveillance. Les partager, les faire connaître, c’est une façon d’œuvrer pour elle. Ce n’est pas seulement un projet scolaire, c’est redéfinir un projet humain. Nous faisons le pari d’une éthique de la relation, du soin pour avancer dans ce processus d’humanisation.
Avec quoi la bienveillance entre-t-elle en résonance?
PB de M :Avec l’émerveillement, certainement. Avec le veiller bien. C’est une posture d’ouverture et d’accueil. C’est la manière dont on se met par rapport à l’autre et aux autres. Regarder l’humanité du point de vue de la bienveillance permet de porter un regard critique sur l’histoire relativement récente de l’humanité. L’école a fait beaucoup de bonnes choses, des choses vraies, mais n’a pas assez cherché le bien et le beau. Elle a voulu être performante et efficace. Ce qu’il lui faut maintenant, c’est une formation ancrée sur les deux, plus que sur du vrai.
AM : Etre dans la bienveillance, c’est aussi être dans la reconnaissance de l’autre, le regarder comme un proche, un prochain. Psychologues et sociologues s’accordent pour dire que l’être humain en a fondamentalement besoin. Etre reconnu, c’est être identifié pour ce que l’on est. Cela permet de ne pas enfermer des personnes dans des stéréotypes et d’être valorisé pour ce que l’on est. Cela permet de sortir des discriminations et des exclusions.
Comment imaginez-vous sa mise en pratique?
PB de M : Une des conditions à mettre en place, c’est de décloisonner toute une série de choses, pour que l’école soit aussi un lieu de vie. Si on n’ouvre pas les portes des classes et des couloirs, qu’on ne permet pas un décloisonnement des profs entre eux, des classes entre elles et des élèves entre eux, on va avoir un peu de peine à mettre un véritable signe de bienveillance dans l’école. Il faut aussi décloisonner les classes d’âge avec une collaboration inter-âges.
AM : Si on veut pousser le curseur de la bienveillance en milieu scolaire, on bouleverse l’école. Mais on peut le faire avec des filets de sécurité. Il y a des courants pédagogiques qui permettent de l’installer.
En quoi cela bouleverserait l’école?
AM : Cela interroge les partenaires de l’école à trois niveaux: le climat ou la culture d’école, les personnes, le rapport au savoir. On entre dans une approche davantage du cas par cas et on met de côté la norme. On essaie de rencontrer les histoires individuelles. Second point, va-t-on continuer à considérer l’élève comme un curseur qu’il faut amener dans les délais fixés au niveau requis? Je ne balaie pas la question de la dimension des savoirs. Mais, ce qu’on a en face de nous, c’est une personne avec 18 avril 2021un visage. Enfin, une école de la bienveillance s’interroge sur la façon dont on va construire les relations entre les personnes et, surtout, entre l’apprenant et le savoir. Il faut arriver avec une besace de médiations différenciées.
PB de M :Il faut aussi être bienveillant vis-à-vis des enseignants; il faut les soigner et en prendre soin. Si on les largue, ils doivent se débrouiller tout seuls. Un grand nombre a un sentiment d’abandon. En prendre soin, c’est mettre en place des supervisions et des intervisions, pour les aider, les soutenir et les encourager. Ensuite, pour que les staffs et les directeurs puissent également être présents, en soutien et en soin, auprès de leur équipe, il faut les libérer de tout ce fatras bureaucratique qui écarte du cœur de la mission.
Quels seraient les bienfaits d’une pédagogie de la bienveillance?
AM : Le premier bénéfice pour l’apprenant, c’est de libérer sa parole, lui per-mettre de prendre toute sa place. Une autre plus-value, c’est un sentiment de confiance en soi. L’école a le travers de toujours invoquer la norme et la justice distributive. Faire advenir une personne, c’est lui permettre de se développer dans sa singularité, avec son histoire. Avec la bienveillance, on facilite la relation, l’échange, la communication et le débat. On établit insensiblement une école de la démocratie.
(…)
Extrait du journal Dimanche n° 16 du 18 avril 2021. L’article est intitulé « Les bienfaits de la bienveillance » (p.2-3). Propos recueillis par Angélique Tasiaux. On peut retrouver un dialogue semblable des deux auteurs sur le blog https://www.chemins-d-ecoles.be/ (https://www.chemins-d-ecoles.be/l/pour-une-ecole-de-la-bienveillance/
On nous avait fait croire que c’était dépassé. On l’avait fait passer pour ce qu’elle n’était pas: un truc pour les doux rêveurs et les naïfs. Ou pour les vieux. Ou pour les enfants. Un truc pas sérieux en tout cas. Plus vraiment adapté à notre temps.
Et tout à coup, un matin, on s’aperçoit qu’on a tout faux. On se rend compte que la bienveillance nous manque. Et que si elle nous manque, c’est parce qu’on en a besoin. Et que si on n’en a pas assez, ce n’est pas parce qu’elle ne serait plus adaptée à notre temps, mais parce que nous avons fait le choix de nous en passer.
Ce choix, c’est peu consciemment que nous l’avons posé. Jamais, sans doute, individuellement ni collectivement, nous sommes-nous réveillés en décidant d’être malveillants. Rarement avons-nous vraiment eu l’intention de nuire à autrui… De là à être bienveillants !
Car la bienveillance, ce n’est pas si simple. Et ce n’est pas seulement l’absence de malveillance. La bienveillance, c’est poser sur l’autre un regard aimant. C’est vouloir le bien de l’autre – de tous les autres –, et s’engager activement dans cette quête de bonheur.
Pas évident donc. Même à la maison, d’ailleurs. Vouloir le bien de sa compagne lorsqu’elle est adorable, c’est gérable. Mais quand elle se fait insupportable… Et poser un regard de bénédiction sur ses enfants lorsqu’ils se comportent comme des anges, c’est pas trop compliqué. Mais quand ils se transforment en petits démons…
Élargissons le cadre. Pensons à nos communautés et nos paroisses, ces lieux où nous sommes continuellement encouragés à vivre la charité. Cherchons-nous vraiment activement le bien de nos « frères et sœurs »? Même celui de cet organiste qui joue trop fort, de cet acolyte distrait, de ce vicaire si peu amène?
Et si, à une autre échelle encore, la bienveillance se faisait programme politique? Et si nous ne recherchions pas seulement le bien des personnes mais aussi le bien commun? Que dirions-nous alors aux jeunes fêtards du bois de la Cambre? Comment traiterions-nous les questions de sans-abrisme, de racisme ou d’homophobie? Sans doute les mesures ne seraient-elles plus faciles ni à façonner ni à prendre. Mais parce qu’elles seraient au service de tous, elles seraient aussi plus acceptables.
Et tout à coup, un matin, on se réveillerait dans un monde meilleur.
✐Vincent DELCORPS (édito du journal Dimanche n° 16 du 18 avril 2021)
NDR : Une série de 4 excellents entretiens avec Thomas d’Ansembourg sur KTO (Dominicains TV) est sur le même thème de la bienveillance dans notre vie quotidienne. Le 4ème entretien apparaîtra sans doute dans la semaine du 24 avril.
La bienveillance n’est-elle pas une facette fondamentale de la non-violence, ou de l’amour désintéressé (agapè en grec néotestamentaire) ? Mais « non-violence » est un terme en négatif (on veut éviter la violence), et le mot « amour » est peut-être trop général et multi-sémantique. C’est sans doute sous l’influence du bouddhisme qu’on parle aujourd’hui davantage de la bienveillance, et pourquoi pas ? Sachons apprendre des autres cultures !
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