« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
20, Juin 2022 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Foi chrétienne No Comments
ANNE-MARIE PELLETIER
Anne-Marie Pelletier est l’une des (trop rares) théologiennes bénéficiant d’une réelle reconnaissance
dans le monde catholique. Agrégée de lettres, docteure en sciences des religions, elle a consacré une
partie de ses travaux à la place des femmes dans l’Eglise. Dans « L’Eglise et le féminin »*, elle revisite la
Tradition en vue de la dégager de certains préjugés culturels sur les femmes.
EXTRAITS du journal catholique « Dimanche » (Belgique) du 19 juin 2022
Peut-on affirmer que la place des
femmes dans l’Eglise a évolué de
façon positive ces dernières an-
nées, en particulier sous le pon-
tificat de François?
Le premier constat qui s’impose est celui
de l’actualité grandissante du question-
nement sur la situation des femmes dans
l’Eglise. La parole libérée à la faveur du
travail synodal atteste incontestablement
que la question est prioritaire dans les
communautés chrétiennes. Le magistère,
aux prises avec l’avenir de l’Eglise dans
une conjoncture complexe et inquiétante,
ne peut pas l’ignorer.
Dès le début de son pontificat, le pape
François a signifié par des paroles et des
gestes qu’il était particulièrement sen-
sible à cette urgence. Dès sa première
année, il a multiplié les déclarations à ce
sujet, appelé à des approfondissements
théologiques. Depuis, se sont succédé
des nominations tout à fait inédites de
femmes à des postes rigoureusement
réservés aux clercs, et cela jusque dans
la Curie. Ainsi, par exemple, une femme
a été nommée à la Secrétairerie d’Etat du
Saint-Siège en janvier 2020. Une autre a
été promue secrétaire du Dicastère pour
le développement humain intégral. Une
femme encore a été désignée sous-secré-
taire du prochain synode des évêques. Du
jamais vu, qui ne peut être sans consé-
quences, même si, comme le pape aime
le redire d’ailleurs, des aménagements
fonctionnels n’épuisent pas les réponses
à apporter à « la question des femmes ».
On constate aussi que des diocèses
s’ouvrent à des collaborations encore
inimaginables il y a quelques années. Des
laïcs, au masculin et au féminin, entrent
dans le conseil d’évêques, interviennent
dans la gouvernance aux côtés des
vicaires généraux. De façon exemplaire
en Belgique et en Suisse romande, des
femmes reçoivent des charges de délé-
guées épiscopales. Ces évolutions sont
de nature à renouveler le fonctionnement
de l’Eglise institutionnelle. Cependant, à
mes yeux, elles ne peuvent pas dispen-
ser d’avancer aussi sur un ensemble
des questions de fond qui s’imposent à
l’Eglise sommée de se réinventer avec
une vraie audace évangélique.
(…)« L’appartenance au Christ ouvre l’accès à l’égalité
de tous les baptisés, sans distinction de genre. »
La participation des femmes
au « gouvernement » de l’Eglise
doit-elle passer par l’ordination
épiscopale, sacerdotale ou dia-
conale?
Il faut d’abord se rappeler que, selon la
théologie catholique, chaque baptisé est
constitué par son baptême « prêtre, pro-
phète et roi ». Ce dernier titre implique
sa participation à la charge de « gouver-
nement ». Celle-ci a fini par se concen-
trer entre les mains des prêtres et des
évêques. Mais le concile Vatican II nous
a rendus à cette plénitude de l’identité
chrétienne, qui vaut pour tout baptisé.
Autrement dit, la responsabilité de « gou-
verner » déborde le monde clérical. Elle
concerne tous les fidèles, chacun « selon
sa condition propre ». Voilà qui ouvre un
vaste champ à la participation effective
des laïcs, et notamment des femmes, qui
peuvent légitimement recevoir une délé-
gation de « gouvernement ». Cela suppose
évidemment que des femmes puissent
avoir autorité sur des hommes dans
l’Eglise. Une vraie révolution coperni-
cienne, là où les mentalités sont figées
dans des schémas inégalitaires doublés
de justifications théologiques.
Y a-t-il des arguments qui justi-
fient que l’épiscopat et le pres-
bytérat sont réservés aux seuls
hommes ?
(…) Il y a incontestablement une
vigilance inquiète du magistère autour
de cette question. Comme une frontière
à garder coûte que coûte.
Comment comprendre cette
vigilance?
Il y a en tout cas de quoi s’interroger:
en quoi l’édifice ecclésial serait-il si
évidemment ruiné si des femmes rece-
vaient une ordination? Finalement, au-
jourd’hui coexistent deux attitudes: celle
de femmes qui continuent, malgré tout,
à rêver d’un accès au sacerdoce, en se
rappelant que quelques grands théolo-
giens incontestés ont pu déclarer y être
favorables ; et celle d’autres femmes qui
estiment que la véritable urgence est
plutôt de « décléricaliser » l’identité des
clercs, autrement dit d’entrer dans un
véritable travail de révision de la théo-
logie du sacerdoce.
Les femmes doivent-elles avoir
des missions « spécifiques » au
sein de l’Eglise? Les femmes et
les hommes y sont-ils complé-
mentaires les unes aux autres?
Le « spécifique féminin » et la « complémen-
tarité » sont des notions invoquées avec
insistance dans les discours magisté-
riels. La première expression a l’incon-
vénient d’assigner immédiatement les
femmes à une identité abstraite, à une dé-
finition qui précèderait leur vie concrète.
Comme s’il existait une essence du « être
femme ». Ce portrait-robot de la femme
est en réalité une image confectionnée
par les hommes. Il charrie nombre de
préjugés masculins, même lorsque
cette identité se veut laudative. Quant
à la « complémentarité », elle peut tout à
fait servir de cache à l’inégalité. Voilà des
raisons de se méfier de ces mots si cou-
rants. Voilà pourquoi aussi il me semble
capital de commencer toujours par la
reconnaissance d’une essentielle iden-
tité baptismale, qui fonde l’égalité entre
tous et toutes, clercs et laïcs, hommes
et femmes. Une fois cette égalité clai-
rement affirmée, reconnue et honorée,
il est possible de faire droit aux diffé-
rences. Mais en second seulement, et
sans se départir de prudence, tant il est
habituel de refaire de la hiérarchie avec la différence. (…)
Comment voyez-vous évoluer
le rôle des femmes dans l’Eglise,
dans les prochaines années?
Je ne crois pas que l’Eglise puisse se
réinventer sérieusement dans nos so-
ciétés sécularisées sans transformer
profondément la représentation qu’elle
a des relations hommes-femmes en
son sein. N’oublions pas que le mouve-
ment de fond qui travaille l’actualité du
monde en dénonçant les violences faites
aux femmes est une réalité à porter
sans réserve au crédit de notre temps.
L’Eglise ne peut pas se tenir à distance
de ce qu’elle doit reconnaître comme un
« signe des temps », pour parler comme le
pape Jean XXIII.
Et donc?
Ma conviction est que l’institution doit
résolument se dégager de l’ornière qui
a consisté, à partir du XIIe siècle, à faire
de la distinction clercs-laïcs un fonde-
ment de son identité. Ce que l’on appelle
la « question des femmes » met en jeu, en
réalité, l’ensemble de la perception que
l’Eglise a d’elle-même. Elle vient ques-
tionner à la racine, en particulier, l’édifice
hiérarchique dont le sacerdoce ministé-
riel est la clé de voûte. En ce sens, cette
question est déterminante dans la lutte
contre le cléricalisme, dont nous éprou-
vons aujourd’hui les effets tragiques.
Ou, pour dire les choses sur un mode
positif, elle rejoint l’indispensable mise
en œuvre de la synodalité, où tous et
toutes sont appelés à se reconnaître en
charge, à parité, de la mission de l’Eglise.
Quelque chose, là, est en marche de façon
irrésistible, même si des vents contraires
peuvent s’y opposer. Redisons-le, ce ne
sont pas seulement les femmes qui sont
partie prenante de l’évolution que nous
vivons, mais bien la totalité de l’Eglise et
son avenir dans nos sociétés en mutation.
✐ Propos recueillis par
Christophe HERINCKX
*Anne-Marie Pelletier, L’Eglise et le
féminin – Revisiter l’histoire pour
servir l’Evangile, Editions Salvator,
2021, 171 pages.
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