« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
28, Déc 2024 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Uncategorized No Comments
Je vous l’avoue, je ne peux plus méditer durant quelques minutes sans que la question n’émerge dans mon esprit : comment pourrions-nous contribuer, fût-ce très petitement, à un changement de mentalité du genre humain à propos de la guerre ? Je m’inspire, entre autres, dans cette réflexion, sur celles d’Edgar Morin dans son livre trop peu connu : « De guerre en guerre ».
Nous sommes tous et toutes embarqués dans un cercle vicieux infernal : chaque nation consacre de grosses sommes à sa « défense nationale » et cela alimente les industries d’armements et toutes les recherches pour rendre ceux-ci toujours plus efficaces, càd plus destructeurs et meurtriers. Il n’y a pas d’espoir d’en sortir avant longtemps, mais si nous pouvions au moins nous occuper des moyens de diminuer tant soit peu l’ampleur et la vitesse de cette course ?
Impossible de le faire de manière unilatérale, car alors l’autre bloc – russo-chinois par exemple – en profitera pour nous soumettre. Quant aux Nations Unies (si peu unies en fait !), leurs ambassadeurs sont soumis à leur gouvernement et, au-delà – à leurs alliances et à leur bloc. Trump, à l’époque de son premier mandat, est allé en Chine, mais n’y a rien obtenu. Macron, pour prendre un autre exemple, a tenté de discuter de la paix en Ukraine avec Poutine, mais n’a rien obtenu non plus. Russie et Chine sont des dictatures, et les dictateurs se fichent de la paix, ils n’ont comme souci que l’intérêt de leur propre pays, et leur propre survie politique et personnelle.
Je trouve dans « Les pensées revigorantes » de François Garagnon cette phrase : « Et cependant nous pressentons que la suite de conséquences de nos décisions, de nos engagements peut être considérable… (Tome2, n°360). « Chacun est plus responsable qu’il ne croit pour tous les autres, et cette conscience doit modifier sensiblement notre manière de vivre, d’agir et de nous comporter » (N° 363).
Mais au niveau de l’opinion publique, au moins dans nos pays démocratiques, ne pouvons-nous rien obtenir ?
Ne pouvons-nous pas, en manifestant davantage notre colère contre ce mépris scandaleux des vies humaines qu’entrainent toutes les guerres, changer progressivement la mentalité commune consistant à penser qu’elles sont une fatalité et qu’il est « normal » que chaque pays ou groupe de pays, avant de penser aux moyens de la paix, se soucie surtout de s’armer suffisamment pour dissuader ou pour combattre les pays ennemis ? Les budgets de la guerre sont considérables, et ceux qu’on consacre à la recherche de la paix sont minimes ! Pourquoi cela, sinon parce qu’on s’est habitué à penser que nous sommes les bons, et nos ennemis les méchants ? Or, la plupart des gens, dans tous les peuples du monde, ne sont-ils pas composés de gens qui, si la paix et la fin du massacre pouvaient advenir, en seraient très heureux, même en perdant quelques morceaux de leur territoire national ?
Face à l’actuel cercle vicieux qui enferme les deux blocs (Est et Ouest) dans la course aux armements, une acceptation réciproque de compromis s’impose comme la seule solution. Dans une conférence à l’Académie Royale de Belgique, le philosophe et sociologue Philippe Van Parijs, insistait sur la nécessité impérieuse et urgente de chercher des compromis pour mettre fin à la guerre en Ukraine. C’était aussi l’avis d’Edgar Morin (*) et d’un autre grand sage, Jürgen Habermas De telles voix sont d’autant plus importantes à écouter que l’opinion dominante chez les dirigeants demeure fixée sur la volonté de gagner la guerre sans compromis. Or, compromis n’égale pas capitulation, comme on le laisse trop entendre !
Compromis n’égale pas capitulation
Il importe de comprendre qu’une partie importante des habitants du Donbass et de Crimée, russophones (29% dans le recensement de 2001, 33% dans celui de 2010), ont subi une grave discrimination linguistique de la part du pouvoir à Kiev et que cela a tourné en guerre séparatiste en 2014. Le problème est donc plus complexe que ce qui nous est présenté du côté occidental. On ne sert pas la paix en cachant le fait qu’une partie des Ukrainiens (même minoritaires) étaient en désaccord avec Kiev et ont fait appel à la Russie où ils avaient beaucoup de liens. N’oublions pas non plus que l’indépendance de l’Ukraine a été accordée par le président Kroutchev assez récemment et que l’Ukraine était une partie assez essentielle de l’URSS, à preuve le fait qu’on lui confiait des armes nucléaires. Cela ne justifie nullement l’envahissement de quatre provinces, mais permet de nuancer la question et de comprendre un peu l’acceptation de la guerre par l’opinion russe majoritaire.
Combien de morts et de blessés des deux côtés faudra-t-il encore pour qu’enfin les dirigeants acceptent de se parler pour chercher une fin à ce carnage et à la crise mondiale actuelle causant insécurité et course aux armements ainsi que famines et catastrophes sur la terre entière ?
PHILIPPE DE BRIEY
(*) Edgar Morin, que l’on ne présente plus, 101 ans, publiait, l’an dernier,, aux éditions de l’Aube, un livre décapant sur la guerre, plus exactement sur les guerres, celles qu’il a vécues et celle d’aujourd’hui. Voici des extraits du commentaire de ce livre « De guerre en guerre » par Alain Refalo. (il vaut cependant la peine de le lire en entier sur (article complet sur https://alainrefalo.blog/2023/01/08/de-guerre-en-guerre-dedgar-morin/ )
« Résistant, ayant combattu les armes à la main le nazisme, on ne suspectera donc pas le célèbre sociologue et philosophe d’être un « pacifiste », appellation péjorative inlassablement reprise pour discréditer toute personne qui s’élève contre les horreurs de la guerre ou tout simplement contre toute guerre. Et pourtant, ce livre, écrit dans un style incisif, bourré de références historiques précises, est un véritable plaidoyer contre la guerre, celles du passé comme celles du présent, et surtout contre celle, mondiale, qui risque d’advenir. (…)
S’il condamne les manipulations, les mensonges et les crimes de guerre commis par les Russes en Ukraine, il remarque qu’en Ukraine, « la prohibition de la littérature russe, Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski, Tchekov, Soljenitsyne compris, est un signe très alarmant d’une haine de guerre non seulement contre un peuple, mais également contre sa culture ». Notre solidarité avec l’Ukraine ne doit pas nous aveugler, au point d’occulter les mensonges et les manipulations à l’œuvre aussi dans ce pays agressé.
Edgar Morin poursuit son regard sur les guerres passées et présentes en soulignant son expérience des « radicalisations qui ont déclenché la pire des atrocités de guerre et se sont terminées par les issues les plus tragiques ». Que ce soit en ex-Yougoslavie ou en Palestine, il montre que la radicalisation est indissociable de la criminalisation qui ne peut qu’engendrer des horreurs incommensurables. Tout particulièrement, il évoque la guerre d’Algérie, en précisant le rôle historique de la France dans le déclenchement des évènements et leurs développements meurtriers jusqu’à aujourd’hui. En Ukraine, selon Morin, les mêmes processus sont à l’œuvre faisant craindre « une nouvelle guerre mondiale ».
Dans son analyse de l’histoire récente de l’Ukraine, Morin est bien obligé de constater les parts d’ombre qui existent dans les choix effectués par les dirigeants ukrainiens, souvent sous l’influence grandissante des Etats-Unis. (…)
Son livre se termine par un vigoureux plaidoyer pour la paix, avec des accents qui rappellent les exhortations lucides de Camus durant la guerre d’Algérie. Il s’étonne d’ailleurs que « si peu de voix s’élèvent dans les nations les plus exposées, en premier lieu européennes, en faveur de la paix ». Edgar Morin est particulièrement sévère envers ceux qui font la guerre par procuration, en livrant des armes, tout en étant sûr qu’elle ne les affectera pas sur leur sol. « Parler de cessez-le-feu, de négociations, est dénoncé comme une ignominieuse capitulation par les belliqueux, qui encouragent la guerre qu’ils veulent à tout prix éviter chez eux ». La négociation est désormais une priorité. D’ailleurs, Morin voyait des signes de « réalisme » des deux côtés, y compris chez Poutine. Il n’est pas sûr que le dictateur y soit encore prêt, maintenant qu’il a le dessus. (…) On ne peut donc que conseiller la lecture de cet ouvrage, ni pessimiste, ni optimiste, mais profondément réaliste.
Il y a urgence, clame Morin : « Cette guerre provoque une crise considérable qui aggrave et aggravera toutes les autres énormes crises du siècle ». La paix dans la justice, dans la reconnaissance mutuelle, tel est le combat prioritaire d’aujourd’hui. Car, « plus la guerre s’aggrave, plus la paix est difficile, plus elle est urgente ». Comme Romain Rolland en son temps, Edgar Morin se situe au-delà de toutes les haines pour penser un avenir délivré de la malédiction de la guerre. Il nous invite à agir lucidement et vigoureusement en faveur d’une paix juste et durable en Europe.
(Alain Refalo
(on peut lire d’autres réflexions sur https://reli-infos.be/guerre-en-ukraine-jusquou-ira-t-on/ (article personnel paru dans La Libre Belgique du 18 août 2023)
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