« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Une déclaration historique à Marrakech en faveur du pluralisme religieux en terre d’islam

07, Fév 2016 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités Islam     , , , ,   2 Comment

Une déclaration importante portant sur les droits des minorités religieuses a été adoptée à l’issue d’un sommet international organisé du 25 au 27 janvier 2016. Mais il reste encore à modifier toutes les lois qui contredisent concrètement ces droits, comme le souligne le Professeur de Droit islamique, Sami Aldeeb.

http://www.arcre.org/2016/01/30/une-declaration-historique-en-faveur-du-pluralisme-religieux-en-terre-dislam/

Commentaire d’un lecteur : Il y a au moins dans cette déclaration, comme dans celles d’Al-Azhar de 2011-2012, des points d’exégèse coranique extrêmement importants.

Par exemple, le fait de reconnaître au fameux verset 2, 256 « Pas de contrainte en religion », lâ ikraha fî d-dîn, une valeur absolue et une portée interreligieuse (non pas seulement une portée intra-musulmane), est capital. Car, tout un courant exégétique a toujours considéré que ce verset était mansûh, « abrogé », ou bien qu’il n’était pertinent que dans le cadre de l’islam, l’arabe dîn ne concernant que l’islam.

Que les plus hautes autorités musulmanes définissent ainsi un verset dont on s’est souvent demandé si on pouvait vraiment l’utiliser en faveur du respect de la tolérance religieuse n’est pas rien.

Sami Aldeeb : ll reste à modifier les lois qui contredisent cette belle déclaration

Le Pr Sami Aldeeb, Suisse palestinien spécialiste du Droit islamique, a estimé que les droits des minorités demeurent soumis à une série de lois islamiques qui les contredisent et qui n’ont pas été dénoncées. Les signataires devraient maintenant traduire cette déclaration au niveau législatif comme suit:

1) Supprimer les articles constitutionnels qui font de l’islam la religion d’État. L’État est une institution administrative qui gère les affaires des gens sur la base de la citoyenneté et non pas sur la base de la religion. L’État ne peut avoir de religion: il ne prononce pas l’attestation de la foi, il ne prie pas, il ne jeûne pas, il ne paie pas la zakat, et il ne fait pas le pèlerinage. Ces cinq piliers de l’Islam ne sont accomplis que par des individus. Considérer l’Islam comme religion d’État signifie que l’islam a la priorité sur les autres religions, et que les adeptes de l’islam ont plus de droit que les adeptes des autres religions.

2) Supprimer toutes les dispositions légales qui établissent une distinction entre les musulmans et les non-musulmans dans le domaine de la liberté religieuse et de la liberté d’expression. Cela implique la suppression de tous les articles relatifs à l’apostasie dans les lois arabes et islamiques, y compris le Code pénal arabe unifié approuvé par tous les ministres arabes de la justice. Ce Code pénal publié sur le site Internet de la Ligue arabe doit être modifié et rendu conforme à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dit: «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.» Dans le même temps, il faut déclarer caduques toutes les fatwas émises par des organisations islamiques concernant l’apostasie. Il faut aussi supprimer toutes les dispositions légales qui empêchent l’entrée des livres religieux non islamiques dans certains pays, et empêchent le prosélytisme pour une autre religion que l’islam.

3) Supprimer toutes les dispositions légales qui établissent une distinction entre les musulmans et non-musulmans dans le domaine du mariage, de la tutelle des enfants et de l’héritage. Cela implique la suppression de toutes les dispositions légales relatives à ce domaine des lois arabes et islamiques, y compris le Code de statut personnel arabe unifié approuvé par tous les ministres arabes de la Justice. Ces lois permettent au musulman d’épouser une femme non-musulmane appartenant aux gens du livre, tandis qu’elles interdisent le mariage d’un non-musulman avec une musulmane, et imposent l’islam aux enfants issus d’un mariage mixte, sans laisser la liberté de choix aux parents de l’enfant. Elles privent aussi l’apostat du mariage, de l’héritage et de ses enfants. (…)

4) Établir une loi unifiée pour les lieux de culte permettant à tous la construction de leurs lieux de culte, où qu’ils soient, y compris en Arabie saoudite, et leur permettre de pratiquer leurs cultes. Et supprimer l’interdiction d’entrée à La Mecque et Médine pour les non-musulmans, et supprimer l’interdiction de la naturalisation dans certains pays pour les non-musulmans. (…)

6) Supprimer la mention de la religion dans les documents personnels et dans la fonction publique, y compris la présidence de l’État et les différents ministères. (…)

8) Supprimer toutes les normes islamiques relatives au djihad et les normes annexes telles que l’enlèvement des femmes, celles qui accordent aux gens n’ayant pas de livres sacrés le choix entre l’islam et l’épée et celles relatives au tribut des vaincus (jizya) et autres normes violant les conventions internationales, en particulier les Conventions de Genève relatives à la guerre.

9) Modifier les programmes d’éducation de la maternelle à l’université, et modifier le contenu des médias et des sermons dans les mosquées contraires aux exigences de ce qui précède, et déclarer comme caduques toutes les fatwas contraires à ce qui précède.

Sami Aldeeb, Professeur des universités,Directeur du Centre de droit arabe et musulman,Traducteur du Coran en français et auteur de nombreux ouvrages

Extrait de http://www.blog.sami-aldeeb.com/2016/01/28/declaration-de-marrakech-la-montagne-accouche-dune-souris/
Texte arabe de cet article ici 

2 thoughts on “Une déclaration historique à Marrakech en faveur du pluralisme religieux en terre d’islam”

  1. Sami Aldeeb dit :

    En droit musulman, les versets postérieurs abrogent les versets antérieurs. Ce qui signifie en fait l’abrogation de tous les versets tolérants par des versets violents révélés postérieurement. À part cette abrogation en fonction de la période de révélation, il existe l’abrogation en fonction de la force des musulmans. Lorsque ces deniers sont en état de faiblesse, ils doivent invoquer les versets tolérants. Mais lorsqu’ils sont en état de force, ils doivent revenir aux versets intolérants. On suit donc en général l’islam comme il a abouti, et non pas l’islam dans ses débuts… sauf situation défavorable. Ce choix des versets en fonction de la situation est admis par la doctrine musulmane, y compris par des auteurs modernes. L’invocation du verset 2, 256 « Pas de contrainte en religion » dans la Déclaration de Marrakech doit être comprise dans cette perspective. À titre de comparaison, les musulmans ne doivent pas consommer du porc. Mais s’ils ne trouvent pas autre chose à manger que le porc, ils sont obligés de le manger pour survivre. Nécessité fait loi.

    1. Bonjour Mr Aldeeb,

      un grand merci pour votre commentaire qui complète les extraits de votre article à propos de la rencontre de Marrakech

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