« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

AFRIQUE : L’appel vigoureux du pape François à Kinshasa

20, Mar 2023 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,guerre ou paix,International,Justice sociale     No Comments

Les médias généraux ont peu parlé de ses appels pour l’Afrique lors de son voyage au Congo RDC. Triste indifférence, voire malaise face à un message très fort ? … « Nous ne pouvons pas nous habituer au sang qui coule dans ce pays, depuis des décennies désormais, faisant des millions de morts ». a-t-il martelé devant les autorités du pays et les foules présentes.

(…)

Dès son arrivée, il interpelle les autorités et l’Occident : « Il est tragique que ces lieux, et plus généralement le continent africain, souffrent encore de diverses formes d’exploitation. Après le colonialisme politique, un colonialisme économique tout aussi asservissant s’est déchainé. Ce pays, largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources : on en est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent étranger à ses habitants. Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants. C’est un drame devant lequel le monde économiquement plus avancé ferme souvent les yeux, les oreilles et la bouche. Mais ce pays et ce continent méritent d’être respectés et écoutés. »

Et il ajoute : « Retirez vos mains de la République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. Que l’Afrique soit protagoniste de son destin ! Que le monde se souvienne des désastres commis au cours des siècles au détriment des populations locales et qu’il n’oublie pas ce pays ni ce continent. Que l’Afrique, sourire et espérance du monde, compte davantage : qu’on en parle davantage, qu’elle ait plus de poids et de représentation parmi les nations ! »

« Nous ne pouvons pas nous habituer au sang qui coule dans ce pays, depuis des décennies désormais, faisant des millions de morts. II faut que l’on sache ce qui se passe ici, que les processus de paix en cours, que j’encourage de toutes mes forces, soient soutenus dans les faits et que les engagements soient tenus. »

Et ce n’est pas qu’en RDC et en Afrique que l’Eglise et les pauvres subissent la persécution.

2022, année de martyrs

Plus de 100 prêtres et religieuses ont été victimes d’enlèvements, d’arrestations ou de meurtres.

C’est une fois de plus un chiffre glaçant que l’Aide à l’Église en détresse a révélé, le 27 décembre 2022 dans un communiqué de presse. Ce douloureux constat concerne tous les continents. Plusieurs pays comme le Nigéria, le Nicaragua ou la Chine sont cités comme étant particulièrement dangereux pour les religieux. 

Au moins 12 prêtres et cinq religieuses ont été tués en 2022 dans l’exercice de leur mission. Parmi ces assassinats, on compte six prêtres tués en Afrique : quatre au Nigeria, deux dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). En Amérique Latine, trois prêtres ont été tués au Mexique par des membres de cartels de la drogue. Les religieuses sont elles aussi la cible d’attaques d’une grande violence.  (…)

Des enlèvements en continu

Au cours de l’année 2022, les enlèvements de prêtres et de missionnaires n’ont pas cessé. Sur les 42 prêtres enlevés dans le monde, 36 ont finalement pu être libérés. Trois prêtres enlevés au Nigeria ont été tués, et l’on est toujours sans nouvelle de trois autres…

L’Aide à l’Église en détresse alerte sur la dangerosité du Nigeria pour les chrétiens. 28 enlèvements de prêtres ont été dénombrés dans ce pays en 2022. Ce triste record est suivi par plusieurs autres pays, comme le Cameroun avec six enlèvements, ou encore Haïti qui est devenu l’un des endroits les plus dangereux d’Amérique centrale : cinq prêtres y ont été enlevés par des membres de gangs au cours de l’année…

Les religieuses n’échappent pas à ce drame. En 2022, 7 d’entre elles ont été capturées avant d’être relâchées au Nigeria; et deux autres sœurs avaient connu pareil sort au Cameroun et Burkina Faso. 

Des détentions arbitraires de plus en plus régulières

Les arrestations arbitraires de religieux et religieuses, menées dans certains pays par les autorités au pouvoir, sont fréquentes. Ce sont des actes « de coercition et d’intimidation ». 32 ecclésiastiques ont ainsi été arrêtés au cours de l’année. …

Au Nicaragua, où le gouvernement Ortega est en conflit avec l’Église catholique, les détentions arbitraires s’intensifient. Onze ecclésiastiques ont été arrêtés parmi lesquels deux séminaristes, un diacre, sept prêtres, et un évêque, Mgr Alvarez. Ce dernier doit comparaître le 10 janvier 2023 devant un tribunal pour « atteinte à l’intégrité nationale ».

Quant à la Chine, la situation des chrétiens y est toujours extrêmement instable. Il est cependant « presque impossible de connaître le nombre de prêtres et d’évêques catholiques détenus en Chine en 2022 », le gouvernement demeurant plus que secret sur le sort de ses minorités religieuses. On sait que des enlèvements ont régulièrement lieu, notamment de clercs de l’Église clandestine pour les forcer à rejoindre l’Église approuvée par l’État. Entre janvier et mai 2022, ce fut le cas d’au moins 10 prêtres, tous appartenant à la communauté clandestine de Baoding (Hebei), disparus soudainement. (données de l’AED) (…)

Ces persécutions, cependant, n’empêchent pas la relève :

La relève spiritaine

Fin décembre, la maison généralice (Rome) communique la liste des premières affectations, avec les noms et photos de tous les jeunes spiritains qui terminent leur formation, et partent pour leur première mission. Cette année, la liste est longue : 73 noms.

Parmi ces nouveaux missionnaires, 66 viennent d’Afrique (dont 39 du Nigeria) ; Europe : 2 ; Vietnam : 4.


Le cardinal Ambongo

Dans les faits, le cardinal Ambongo est un ami du pape et il est intéressant d’en savoir plus à son sujet :

Le cardinal Ambongo, l’homme fort de la RDC
À l’occasion du voyage du pape à Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo a été très en vue. Défenseur de l’État de droit en RDC, il est aussi membre du Conseil des  8 cardinaux qui conseillent le pape François dans sa réforme de la Curie romaine. L’homme au physique impressionnant, créé cardinal à  59 ans, est devenu une figure de premier plan dans le paysage de l’Église universelle et une des rares personnalités congolaises capable de trouver des relais à l’international pour dénoncer le chaos qui règne dans de nombreuses régions du pays. Il ose parler et connaît la réalité.

Ce proche du pape François porte vigoureusement la voix de son peuple meurtri par la misère – l’ancienne colonie belge était classée 175e sur 189 par l’indice 2020 de développement humain du programme des Nations unies pour le développement.

En 2004, le pape Jean Paul II le nomme évêque à l’âge de 44 ans. Certains le surnomment alors « l’évêque à moto » puisqu’il sillonne de long en large son diocèse de Bokungu-Ikela avec son deux-roues. Il s’investit dans la commission « Justice et paix » de la Conférence épiscopale congolaise, très influente en RDC. Début 2018, il devient évêque coadjuteur de Kinshasa dans le but d’épauler le puissant cardinal Monsengwo, alors sur le départ, et se préparer à prendre sa suite. En novembre de la même année, il est installé archevêque de la capitale. Le pape François l’élève à la dignité de cardinal. Il est le quatrième cardinal du Congo depuis l’indépendance.

Ce fils de saigneur d’arbre à caoutchouc a très tôt fait des questions de justice sa matrice. Dans un pays marqué par la misère sociale, économique et écologique, il s’est illustré par son combat contre une caste politique qui, avec les puissances économiques internationales, capte les richesses naturelles du pays. « Le Congo est tombé dans les mains de brigands », accuse-t-il.

Solide opposant au régime de Kabila, il se jette dans la bataille pour une transition démocratique alors que ce dernier veut briguer un troisième mandat, ce que la constitution interdit. Réputé pour sa fermeté, il est l’un des acteurs des accords de la Saint-Sylvestre du 31 décembre 2016, qui organisent la transition politique et la tenue d’une élection présidentielle sans Joseph Kabila. Celle-ci a finalement lieu à la fin de l’année 2018. Mais tout ne se passe pas comme l’Église l’aurait souhaité.

Dans un premier temps, l’institution catholique, qui a déployé 40.000 observateurs pour contrôler le bon déroulement du vote, ne reconnaît pas l’élection de Félix Tshisekedi au poste de président, assurant que le vainqueur véritable est Martin Fayulu. L’archevêque de Kinshasa condamne un « déni de vérité ».

Voyant les grandes puissances occidentales reconnaître Félix Tshisekedi, lui et les évêques de RDC se voient obligés de travailler avec ce nouveau pouvoir. Le cardinal Ambongo refusera toutefois de se rendre à son investiture. Il s’expliquera : « Je ne peux pas d’un côté dire que les élections sont truquées, et de l’autre parader devant mes concitoyens comme si je cautionnais ce qui vient d’être fait. Depuis lors, la conférence épiscopale a noué le dialogue avec le président de la République. Il est là, nous devons faire avec lui. » 

« Le cardinal Ambongo veut tenir une image haute de l’Église sentinelle, au milieu du village, sans parti pris mais qui dénonce ce qui ne va pas, de toute part ». Il se situe dans cette « tradition de grands cardinaux africains défenseurs du peuple : Tumi au Cameroun, Sarah en Guinée, etc. »

« C’est un chef né, une autorité naturelle spectaculaire, quelqu’un de redoutablement intelligent et qui aime la politique », confie un diplomate qui le range dans la catégorie des Monswengo et autres grandes figures de l’Église en Afrique. Si ce fin connaisseur souligne que le cardinal peut être parfois « abrasif par certains aspects », le diplomate est catégorique : « Si vous aviez à la place un “Yes man”, ce serait la catastrophe. »

L’inculturation du catholicisme en Afrique

Le cardinal, entend poursuivre la réforme visant à cultiver la spécificité du catholicisme africain, encore très imprégné par la culture ecclésiale importée par les missionnaires européens. Pour lui, être un bon chrétien en RDC signifie être un bon Africain, et vice versa.

Un autre combat mené par ce disciple de saint François d’Assise est la sauvegarde de l’environnement. Le cardinal Ambongo s’inquiète de l’exploitation effrénée des ressources forestières et minières dans son pays et n’hésite pas à dénoncer les pratiques de grandes sociétés internationales. « Les multinationales peuvent être un facteur important de développement lorsqu’elles respectent les droits humains et les standards environnementaux, mais elles peuvent aussi contribuer à la misère des populations », écrit-il en 2020 dans un message de soutien à une action suisse intitulée « pour des multinationales responsables ». Il y souligne la « dette écologique » de ces structures qui « font en dehors de leurs pays ce qu’on ne leur permet pas de faire chez elles ».  (Par Hugues Lefèvre)

Goma

Le site sur lequel le Pape devait célébrer la messe en juillet dernier (voyage annulé) se situe désormais sur la ligne de front, confie l’évêque de Goma, Mgr Willy Ngumbi (ancien évêque de Kindu). Depuis plusieurs mois, son diocèse est coupé en deux, une partie étant désormais aux mains des rebelles du M23, un puissant groupe armé formé en mars 2009 et essentiellement composé de rwandophones du nord du Congo qui accusent la RDC de marginaliser leur minorité Tutsi.

La région, riche en minerais, est la proie de dizaines de milices qui prospèrent sur fonds d’intérêts ethnico-économiques. « Villages, écoles, structures médicales… les rebelles d’ADF/MTM [nébuleuse que certains affilient à l’État islamique, NDLR] tuent à l’arme blanche, pillent les biens, emmènent avec eux enfants, jeunes, adultes, femmes et hommes pour transporter les biens pillés… Puis ils incendient maisons et autres biens avant de se retirer », décrit par exemple Mgr Melchisédech Sikuli, évêque du diocèse de Butembo-Beni, toujours dans le Nord-Kivu.  (*)

(*) Illustration de cette profonde injustice :

Les milliardaires s’enrichissent, la pauvreté s’étend

La fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie. Tel est le constat édifiant révélé par Oxfam le 16 janvier, jour d’ouverture du Forum Economique Mondial. Depuis le début de la pandémie, le monde compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures, tandis que plus de 160 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté.

Source de ces infos diverses: le bulletin trimestriel de mars 2023 des pères spiritains au mémorial Kongolo de Gentinnes (Belgique). www.kongolo.be Joseph.Burgraff@Kongolo.be