« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Agnès Charlemagne : pourquoi notre foi se transmet si peu aux jeunes

16, Jan 2021 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Dialogue,Foi chrétienne,Spiritualité     No Comments

Comment se fait-il que le christianisme parle si peu aux jeunes d’aujourd’hui? Voilà une question sur laquelle l’auteure française ouvre des pistes très éclairantes pour aider les adultes à accompagner les jeunes dans leur quête spirituelle. Car, « c’est un phénomène majeur: non seulement la foi ne se transmet pas, mais en plus, de nos jours, les enfants la refusent ».

Interview par Vincent Delcorps publié dans le journal catholique belge « Dimanche » de ce 16-1-2021

Que voulez-vous donc dire à tous ces parents et grands-parents? Qu’ils doivent d’abord se mettre à l’écoute?

En France, j’anime des formations à destination des animateurs en pastorale qui sont en contact avec les jeunes. Ils me disent souvent: « Si on libère la parole, les jeunes vont me poser des questions. Or, je n’ai pas étudié la théologie, je ne me sens pas compétent pour leur répondre… ». Notre éducation a mis l’accent sur la performance et la réussite. L’un des travers de cette éducation est cette idée selon laquelle à chaque question il y aurait une réponse. Qui, elle-même, permettrait à l’enfant d’accéder à la deuxième question. En fait, on transforme ce qui devrait être un dialogue en un quizz! Pourtant, Jésus fait exactement l’inverse. Dans l’Évangile, il demande aux gens: « Que veux-tu savoir? Que veux-tu que je fasse pour toi? » Le premier chapitre de mon livre est intitulé « Se taire ». Ce n’est pas là une forme de stratégie; c’est juste comme ça que ça marche! Il faut se taire pour apprendre la question de l’autre. Et surtout, il ne faut pas y répondre.

Vraiment?

Y répondre, c’est dévier l’autre de sa propre question. C’est lui donner notre réponse, mais pas la sienne. C’est le distraire. Sa question est le premier pas d’une promenade. Cela n’a pas de sens d’essayer d’emmener le jeune sur le terrain de notre propre promenade.

Il faut donc plutôt l’accompagner, l’inviter à faire lui-même ses découvertes? C’est ça?

Je dirais surtout qu’il faut être là. Et renvoyer une attitude de confiance. (…) Lorsqu’un enfant commence à se poser des questions, il faut lui dire que sa quête est passionnante. « Tu as chopé une belle question; c’est un poisson qui va t’emmener très loin. » Il faut également le remercier: « Merci car grâce à toi, je vais aussi me poser cette question ». Il ne s’agit donc pas seulement d’accompagner le jeune, mais aussi de se laisser accompagner par lui. Maintenant, force est de constater qu’au XXIe siècle, les enfants formulent leurs questions d’une manière tout à fait différente que par le passé. (…)

Pourquoi ce qui marchait au XXe siècle ne marche-t-il plus aujourd’hui? Et au fond, est-ce que ça marchait vraiment au XXe siècle?

Belle question. Chacun pourrait se la poser. Par le passé, les questions étaient toujours posées de la même manière, et les réponses étaient toujours profilées de la même façon. Ça a favorisé un sentiment de reconnaissance et d’identité très fort: le cadre était partout le même, avec les mêmes objets, la même musique… Un cadre qui pouvait se révéler rassurant et pratique. Mais qui était surtout un vernis. Le monde d’aujourd’hui n’est plus le même. On voyage comme on respire, on est sans cesse confrontés à des personnes et religions différentes… On ne retrouve plus à l’extérieur ce que les parents nous ont transmis.

Quand vous vous mettez à l’écoute des jeunes, que vous disent-ils?

Si la manière de les formuler a évolué, les questions des jeunes n’ont pas changé. Ils s’interrogent sur la violence, la guerre, l’égoïsme, la mort, le mal, les miracles, le sens de la vie… C’est très basique.

Pensez-vous que le christianisme puisse encore parler à un jeune d’aujourd’hui?

Posons la question autrement: qu’est-ce qui fait que le christianisme, source tellement abondante et éternelle, ne parle plus à aucun des jeunes que je rencontre? C’est une question que nous devons nous poser. On ne peut pas accuser les jeunes de ne pas répondre à une source qui ne leur parle plus.

Je vous retourne la question: pourquoi cette religion ne leur parle-t-elle plus?

Il y a plusieurs éléments. Je crois que le langage est une barrière colossale.

Le langage?

Le langage de l’Eglise est plein de mots incompréhensibles, tels que miséricorde, salut ou résurrection. En plus, il fait fortement référence à l’effort et à la souffrance. Ce n’est pas très vendeur! Pas plus que les images: voyez les Christ en croix, par exemple. (…) Mais ceux qui demeurent à la première marche ne perçoivent que ce qui est attirant.

Si vous étiez évêque, quel type de mesure prendriez-vous?

Je développerais la méthode « T’es où? » (voir encadré) de manière plus généreuse. Je vois que cette méthode porte ses fruits. Il faut permettre aux jeunes d’être entendus dans leurs questions, de se rendre compte qu’une question en entraîne une deuxième, d’écouter la question de leurs voisins… Ils se rendent compte alors qu’il est possible de se poser une même question de bien des manières. En fait, toutes ces questions les passionnent, mais elles sont tellement taboues qu’ils n’en parlent jamais. Il faut donc libérer la parole. C’est le début d’une appropriation. Ensuite, il faut rendre la parole de Dieu attirante. Ce qu’elle est d’ailleurs censée être: la Bible, ce sont des histoires qu’il faudrait se raconter le soir au coin du feu, comme avant. Il faut donc partir des questions des jeunes, avant de montrer que celles-ci sont universelles et que toutes les civilisations se les sont posées.

Les évêques ne font pas ça?

Pas du tout! Partout où je passe, je vois des évêques et des prêtres qui commencent par la Parole de Dieu. Dès ce moment, les oreilles se ferment. Surtout que cette Parole est présentée comme une vérité déjà acquise, alors qu’il s’agit d’abord d’une recherche symbolique. Jésus qui demande à boire ou qui marche sur l’eau… Qu’est-ce que cela veut dire? Mes parents pouvaient traduire cela d’une certaine manière, mais cette manière ne peut être la mienne, et encore moins celle de mes enfants. Chaque génération doit mettre son propre sous-titrage sur ces mythologies. Et puis, il faut aussi expliquer que ce sont bien des mythologies! Les évêques ont raison de conserver le rite, la théologie et la Parole de Dieu. Mais il faut continuer à travailler celle-ci, pour que les jeunes se l’approprient.

Êtes-vous inquiète de constater que le patrimoine chrétien se transmet si peu?

Je ne suis jamais inquiète. L’inquiétude est la source de beaucoup d’échecs. En revanche, la confiance ouvre bien des portes. L’Évangile ne va pas disparaître du jour au lendemain, et il y aura toujours des groupes qui se réuniront autour de la Parole de Dieu. Qu’ils soient ou non croyants. Cette Parole fera donc toujours son travail. Il faut faire confiance à l’Esprit Saint, qui sait très bien comment répondre à nos quêtes. Mais il est temps de se rendre compte que l’Esprit Saint ne s’adresse pas que dans les églises. Ni seulement aux croyants. Peut-être s’adresse-t-il même davantage à ceux qui ne se disent pas chrétiens. Là aussi, il y a une erreur à ne pas commettre: les évêques ne doivent pas attendre que les gens se disent croyants pour s’adresser à eux. Le pape François nous invite à aller dans les périphéries. Et pas pour convaincre les périphéries, mais pour vivre la rencontre dans ces lieux de bazar.

✐ Vincent DELCORPS

(*) Agnès Charlemagne, « Je t’écoute. Petit guide pour transmettre la foi entre les générations ». Bayard, 202

RENCONTREZ AGNÈS CHARLEMAGNE!

Jolie initiative: les équipes Notre-Dame se joignent aux éditions Bayard et aux services francophones belges de pastorale familiale, pour proposer une conférence en ligne avec Agnès Charlemagne. Le titre? Accompagner les enfants et les jeunes dans la Foi. Ouverte à tous, la rencontre se tiendra le 27 janvier à 20h15. Inscription: www.bayardchretien.be/inscription

LA MÉTHODE « T’ES OÙ? »

Artiste et théologienne, pédagogue, formatrice et auteure: c’est par bien des voies qu’Agnès Charlemagne travaille la question de l’éveil à la foi auprès des plus jeunes. Inspirée par l’approche Montessori, elle a mis au point une méthode pour accompagner les ados dans leur quête intérieure. Baptisée « T’es où? », celle-ci met l’accent sur la parole, la rencontre, et entend partir de la réalité du jeune. Un des objectifs: lui montrer que ses questions rejoignent les récits de la Bible. Aujourd’hui, Agnès Charlemagne parcourt la France pour former des intervenants en pastorale.


NDR : Idées applicables aussi à la pastorale des adultes ?

Il me semble que certaines de ces idées issues de ses expériences avec les jeunes pourraient s’appliquer tout autant à la pastorale des adultes… Ne sommes-nous pas nombreux, en effet, à nous sentir peu à l’aise avec le langage traditionnel de l’Eglise et l’idée qu’il y a des vérités immuables à transmettre telles quelles ou simplement présentées avec un vernis moderne ?

Les réflexions d’Agnès Charlemagne, me semble-t-il, invitent à changer profondément de regard : non plus se contenter de réponses toutes faites issues du catéchisme ou de la théologie, mais aller vers les autres pour leur demander quelles sont leurs questions profondes dans la vie. Chercher avec eux ce qui peut donner sens à la vie, à leur vie comme à la nôtre. Bref, se mettre sur le même plan, en recherche comme eux. Les catéchistes, les prédicateurs, les enseignants, les parents et les éducateurs sont invités à se laisser enseigner, eux aussi, dans de vrais dialogues d’égal à égal !…

Véritable conversion qui demande beaucoup d’humilité et de détachement à l’égard de tout ce qu’on croit savoir mieux que les autres en fait de spiritualité. Ce qui suppose d’éviter le moralisme et le dogmatisme (« Voici ce qu’il faut croire, c’est à prendre ou à laisser, car telle est la tradition ») et de reconnaître la nature symbolique, mythologique de bien des textes, dont la signification profonde ne peut être découverte que dans un partage sincère de nos questions et convictions personnelles et dans un climat d’amitié et de joie de la rencontre interpersonnelle ou communautaire.

(16-1-2021)