« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Al-Azhar, mosquée et université au cœur de la société égyptienne et du monde musulman sunnite

25, Avr 2017 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités Islam,Dialogue,radicalisme     , , , , , , ,   No Comments

(Le pape François visitera l’institution lors de son voyage en Egypte le vendredi 28 avril prochain. Analyse dans « Les clés du Moyen-Orient ».)

Réaffirmation du rôle politico-religieux d’Al-Azhar en Egypte

L’institution est tiraillée entre sa volonté de jouer un rôle dans la politique égyptienne et entre la volonté de l’Etat de la contrôler. Ce bras de fer entre l’Etat et l’institution a entraîné de nombreuses mesures ces six dernières années, détaillées dans l’article de Naïma Bouras et Laura Garrec, « Al-Azhar : une influence politico-religieuse en Egypte » publié dans le n°34 de la revue Moyen-Orient. Nous en retiendrons uniquement les plus marquantes.

Le soulèvement populaire de 2011 en Egypte a largement secoué le pays. Al-Azhar n’a pas été épargnée. La révolution du 25 janvier 2011 lui a permis de se repositionner sur la scène politico-religieuse nationale.

(…)

Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour comprendre la complexité du jeu actuel entre Al-Azhar, le gouvernement égyptien et la société civile. D’une part, Al-Azhar est au cœur d’une concurrence féroce entre différents organes religieux officiels pour le renouvellement du discours religieux commandé par le gouvernement. Or, plusieurs critiques remarquent que l’institution millénaire peine à mener à bien ce renouvellement, comme nous le verrons par la suite. D’autre part, l’institution est directement liée à l’Etat depuis la loi de 1961. De nombreux religieux critiquent cette collusion avec le gouvernement. Naïma Bouras et Laura Garrec résument ainsi la position d’Al-Azhar dans la société civile et la politique égyptiennes : « La volonté de l’institution de s’établir comme la seule source légitime du discours religieux est critiquée comme une monopolisation du champ musulman sunnite. A travers le contrôle des institutions religieuses, le gouvernement tente aussi d’exercer un contrôle social. La dépendance d’Al-Azhar vis-à-vis du pouvoir étatique entraîne ainsi une déconnexion de la société civile tant de l’institution que de l’Etat, de nombreux acteurs islamistes dénonçant ses compromissions avec le régime et la sclérose d’une religion ad hoc faite pour plaire au prince. C’est donc cette tendance à saturer le champ référentiel du religieux par sa prétention à en être l’incarnation unique, et la collusion avec le pouvoir qu’elle entraîne, qui nourrit la perte de crédibilité d’Al-Azhar et favorise la ramification de courants radicaux ».

Aura internationale et diplomatie religieuse d’Al-Azhar

A l’étranger, Al-Azhar est moins critiquée qu’en Egypte. Sa légitimité comme représentante d’un islam « du juste milieu », à mi-chemin entre « laxistes » et « extrémistes » (1) y est respectée. L’université fascine de nombreux croyants, et des étudiants de tout le monde musulman viennent y poursuivre leurs études. On y vient aussi en pèlerinage. Son pouvoir d’attraction n’a pas décliné.

L’institution souhaite jouer un rôle central dans le processus de paix au Moyen-Orient et dans le dialogue interreligieux international, comme l’illustre la reprise des relations entre Ahmed al-Tayeb et le pape François en mai 2016. Après dix ans de relations tendues en raison de propos controversés du pape Benoît XVI sur l’islam, cheikh Al-Azhar s’est rendu au Vatican afin d’y rencontrer le pape François et de s’entretenir avec lui de « la paix dans le monde, du refus de la violence et du terrorisme, de la situation des chrétiens dans le contexte des conflits et des tensions au Moyen-Orient, ainsi que de leur protection » (2).

Sous l’impulsion du gouvernement égyptien, Al-Azhar tente de réformer son discours religieux et de diffuser mondialement une version « modérée » de l’islam. L’institution organise des conférences et réunit des responsables politiques et religieux internationaux pour discuter de thèmes variés comme la violence, le terrorisme, la liberté ou encore la citoyenneté. En avril 2015, l’institution a de plus créé un observatoire qui a pour objectif de « corriger les conceptions erronées de l’islam, faire face aux idées extrémistes des mouvements terroristes qui sèment l’anarchie dans le monde au nom de la religion […], de protéger les jeunes musulmans et les nouveaux convertis du recrutement par les groupes terroristes au nom du « djihad » (la guerre sainte) ou de la « bay’a » (allégeance au calife) », selon Oussama Nabil, professeur à Al-Azhar et directeur de l’Observatoire. En publiant régulièrement des rapports de chercheurs sur l’islam et les musulmans, en plusieurs langues, l’observatoire a pour but de contrer la propagande de l’Etat islamique, de diffuser largement une vision apaisée de la religion musulmane et d’appeler à un dialogue interreligieux international.

Mais plusieurs chercheurs et observateurs notent la difficulté de l’institution à renouveler son discours malgré ces mesures. Si Al-Azhar condamne la violence de l’Etat islamique et des salafistes djihadistes, elle « n’ose pas s’attaquer de front à ce qui – dans la doctrine et plus particulièrement dans la jurisprudence islamiques – peut justifier la violence » (3). L’alliance de l’université avec l’Arabie saoudite, qui finance entre autres le pèlerinage pour les savants de l’institution et la rénovation des bâtiments, joue un rôle dans ces difficultés à renouveler le discours. La direction de l’établissement s’accorde avec l’Arabie saoudite sur certains dossiers régionaux, notamment sur la lutte contre un « axe chiite » ou encore la question syrienne (4). Ces positions internationales sont en contradiction avec la ligne politique d’Al-Sissi. Mais surtout, elles sont en contradiction avec les discours de tolérance religieuse donnés par les responsables de l’université. Selon l’historien Dominique Avon, cité dans le journal La Croix : « les responsables d’Al-Azhar – et donc le grand imam, quelles que soient ses options personnelles –, s’ils ont peur des « extrémistes », « labourent le même champ doctrinal qu’eux, avec les mêmes outils » comme le montre leur attachement au principe même des huddûd (peines considérées comme islamiques) (5) ou leur refus d’aborder les textes sacrés à partir de disciplines comme l’histoire ou la linguistique. Quant aux « laxistes », l’institution n’hésite pas à utiliser contre eux l’arme de la marginalisation religieuse, voire de l’anathème (6).

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Texte complet sur http://www.lesclesdumoyenorient.com/Al-Azhar-mosquee-et-universite-au-coeur-de-la-societe-egyptienne-et-du-monde-2403.html

 

Article publié le 24/04/2017 Par Oriane Huchon dans « Les clés du Moyen-Orient » (et signalé par François Braem)

 

Lire la partie 1 : Al-Azhar, mosquée et université au cœur de la société égyptienne et du monde musulman sunnite (1/2)