Après l’assassinat de Samuel Paty, réactions musulmanes (et quelques commentaires)

18, Oct 2020 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités Islam,guerre ou paix,islamophobie,radicalisme,terrorisme     No Comments

ci-dessous des notes prises au vol , suivies de quelques commentaires personnels

I. L’émission religieuse « islam » sur France 2 en ce dimanche 18 octobre 2020

Le modérateur : Quelles sont vos réactions ?

• Kahina Bahloul, islamologue : Face à cette horreur, je suis inquiète, la fraternité est menacée.

• Anouar Khibèche, président du Rassemblement des musulmans de France : nous musulmans nous sommes touchés comme citoyens et comme musulmans.

• Mohamed Bajrafil, théologien musulman et enseignant : j’ai du mal à dormir depuis lors, j’ai envie de pleurer. On a franchi un rubicon. Un énorme effort est à faire pour faire comprendre à tous les musulmans que, à côté de toutes les choses merveilleuses de notre patrimoine, il y a des aspects qui relèvent seulement de l’humain et qui sont à remettre dans leur contexte : on ne peut plus regarder les choses au XXIe siècle comme au VIe siècle !

• Chems Eddine Hafiz, recteur du Conseil français du culte musulman (CFCM) : Samuel Paty a un enfant de 4 ans : je pense à lui avec émotion après cet acte barbare commis au nom de l’islam ! Aujourd’hui, des Français ont peur des musulmans ! On doit arrêter ça, on doit dénoncer avec force.

• Aslam Timol, mosquée de St Denis de la Réunion : nous sommes tous très meurtris, certains cherchent à nous diviser et à stigmatiser la communauté musulmane. Il faut relever ce défi national de rester unis contre la barbarie.

• Qu’en est-il du respect de la vie dans la religion musulmane ?

• Kahina Bahloul : il y a de multiples appels à cela dans le Coran, et notamment ce verset : « Je ne t’ai envoyé que comme miséricorde pour tous les univers ». Donc pour toutes les formes de la vie. Et « Tous les prophètes sont des frères les uns pour les autres ». il en est de même dans les traditions prophétiques.

• Chems Eddine Hafiz : la question de la radicalisation est à prendre à bras le corps ! Nous avons sorti un document sur ce sujet en février. Il ne suffit pas d’ouvrir nos mosquées de temps en temps au public ; dans ce pays qui nous donne la liberté religieuse, il faut promouvoir un islam des lumières contre ce terrorisme. 

• Anouar Khibèche : il faut rappeler le pacte de Médine qui considérait tous ses habitants comme des citoyens d’abord. Il faut un déclic, une prise de conscience, un « grenelle » contre la radicalisation, contre des lectures dévoyées des sources hors de leur contexte.

• Kahina Bahloul : Face aux pièges du séparatisme et de la stigmatisation, faire comprendre que la laïcité est une grande chance, car elle nous protège en nous assurant la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire. Il est temps d’aborder nos textes aussi à la lumière des sciences humaines et sociales.

• Chems Eddine Hafiz : assumons nos responsabilités face à cet islamisme qui gagne chaque jour du terrain. Sortons de l’ambiguïté et soyons des citoyens à part entière dont la religion est tout à fait compatible avec la république. Dès aujourd’hui des musulmans, des mosquées sont agressés par des paroles ou des actes, mais cela ne justifie pas des propos violents : nous devons montrer notre patience pour convaincre que nous pouvons vivre notre foi de manière apaisée.

II. Quelques commentaires personnels

La France est de nouveau devant un grand défi par rapport au « vivre ensemble ». Ce défi est ici souligné et il est très heureux qu’il y soit fait appel avec vigueur à une lecture contextualisée des textes sacrés. On a trop répété, je pense, que tous ces textes descendaient tout droit du ciel pour tous les temps. Il s’est passé et il se passe encore la même chose dans les autres religions, où l’intégrisme et le fondamentalisme sont le grand danger pour la paix.

Je ne connais pas ce jeune de 18 ans qui a commis cet acte infâme et barbare, mais il me semble qu’il faut dépasser la simple considération que c’est un monstre, point. Il y a d’autres assassins de tous genres qui ont commis leurs actes pour toutes sortes de raisons, d’intérêt personnel, de vengeance personnelle ou familiale, etc. Ici, il s’est agi à ses yeux, apparemment, de défendre sa religion humiliée, et de mourir sans doute comme un martyr au nom de Dieu. Aveuglement tragique, et c’est là-dessus qu’il faut réfléchir, comme y ont invité les invités de l’émission ci-dessus.

On a souvent dit : « pas de paix sans justice » et c’est vrai. Car la radicalisation fleurit surtout dans des populations souffrant de discriminations ou de mépris. Je reproche à Charlie Hebdo d’avoir provoqué la colère en republiant les caricatures. Ils pouvaient rendre hommage à leurs morts d’une autre façon. Ils organisent maintenant une manifestation, alors qu’ils sont pour quelque chose dans la mauvaise ambiance actuelle dans les cités. Je vais heurter certains d’entre vous : je considère ce journal comme islamophobe et ce mépris, cette moquerie contre l’islam (qu’ils ne connaissent d’ailleurs pas) ne fait que rajouter de l’huile sur le feu. Liberté d’expression et provocation, ce n’est pas la même chose ! Si quelqu’un est insulté dans un bus ou un train, ou dans un autre endroit public, ou dans la presse, allez-vous dire : « Vive la liberté d’expression » ? Qu’on arrête avec cette hypocrisie ! Ceux qui insultent l’islam doivent savoir que ce sont tous les musulmans qui sont insultés.

« Ne pas faire à autrui ce qu’on n’aimerait pas subir soi-même » est « la Règle d’or » de toutes les sagesses et religions. Chrétiens, aimerions-nous que des musulmans publient dans un journal des caricatures de Jésus ? Ce serait tout à fait possible, et j’ai déjà vu dans un journal un dessin montrant Jésus se prélassant avec deux prostituées autour du cou. Jamais un musulman ne pourrait même imaginer un tel dessin, encore moins l’accepter bien sûr.

Les Français non croyants aimeraient-ils, accepteraient-ils des caricatures des personnalités qu’ils admirent ? Les juifs accepteraient-ils des caricatures de Moïse, Josué, David ou de la Torah ?

La liberté d’expression est en réalité bafouée, faussée, menacée par ceux qui s’en servent pour se défouler de leur haine, ils s’en servent comme prétexte, peu leur importe d’avoir ainsi provoqué l’incendie de la haine. Il est lamentable que tant de gens se laissent prendre dans ce piège de la division. Nous devons réagir et dire « stop ! » énergiquement à de tels propos et dessins qui propagent le racisme au nom d’une hypocrite « liberté d’expression » ou d’un humour du plus mauvais goût. 

Je termine cette petite réflexion par cette phrase : « Pas de paix sans humilité ! » . Oui, tant que nous nous estimons plus intelligents ou meilleurs que les autres, nous devenons incapables d’être de vrais artisans de paix. Car personne n’aime de se sentir méprisé ou humilié. L’humiliation est le plus sûr moyen de créer de la haine. Ces caricatures ont été humiliantes, profondément blessantes, et nous devons savoir ce que nous voulons : si nous désirons la paix dans nos pays, alors n’acceptons plus les propos haineux et même simplement méprisants. Et allons les uns vers les autres pour créer de la fraternité, ce sera bon pour nous et pour tout le monde en cette époque où il est urgent de cesser nos guerres et de construire des ponts et de la collaboration.

Merci pour votre attention !