« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Attentat à Conflans : « il faut repenser le religieux à l’école » (H. Abdelgawad)

24, Oct 2020 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités Islam,Foi musulmane,Islam Belgique,Islamisme,terrorisme     No Comments

Hicham Abdelgawad prépare une thèse de doctorat à l’UCL sur l’enseignement du fait religieux à l’école. Il appelle les responsables musulmans – imams et théologiens – à casser l’argument des terroristes selon lequel « une offense au prophète Mohammed mérite punition ».

Propos recueillis par Anne-Bénédicte Hoffner, le 18/10/2020 ds La Croix, sous le titre « Imams et théologiens doivent s’engager par des actions concrètes »

La Croix : Sur les réseaux sociaux, certains musulmans refusent de s’exprimer au sujet de l’assassinat d’un professeur d’histoire à Conflans-Sainte-Honorine, estimant soit qu’ils ne sont pas concernés, soit que cela ne sert à rien tant « l’islamophobie » est ancrée en France. Qu’en pensez-vous ?

Hicham Abdelgawad : (…) Les musulmans ne peuvent pas sans cesse appeler à distinguer islam et islamisme et refuser de rendre cette différence visible, par exemple en condamnant ces actes horribles commis au nom de leur religion.

Dire que cela ne changera pas l’avis du militant d’extrême-droite n’est pas suffisant : on ne le fait pas pour le faire changer d’avis mais parce que c’est juste de le faire.

Il y a une expression qui dit que le musulman doit être « jaloux » de sa religion. Cela signifie qu’il ne doit pas la laisser à n’importe qui sans rien dire. Si les terroristes viennent lui disputer sa religion, il doit répondre et dire : « non, elle est à moi ».

Que peut attendre la société des responsables musulmans, après ce nouvel attentat commis au nom de leur religion ?

H. A. : Ils doivent exprimer leur solidarité et leur condamnation mais ils doivent surtout dire qu’aucune caricature, aucune moquerie ne peut justifier une attaque physique ou morale sur une autre personne. Il faut être très clair là-dessus : l’argument des terroristes, qui est qu’une offense au prophète Mohammed mérite punition, doit être cassé. En France, dans leurs discours ou sur les réseaux sociaux, certains imams valident, ne serait-ce que sur le plan théorique, cette idée. Cela doit cesser.

Par ailleurs, il faut arrêter avec cette phrase selon laquelle « les attentats n’ont rien à voir avec l’islam ». Elle est fausse. Les textes qui peuvent leur servir de justification existent et aucun responsable musulman n’intègre à son discours une production historico-critique permettant de les désamorcer. Les imams et théologiens musulmans doivent se mettre autour d’une table et s’engager dans des actions concrètes pour intégrer une part de déconstruction du patrimoine musulman sur une base scientifique, historique, froide.

Il faut que les théologiens musulmans l’admettent : tout seuls ils n’y arriveront pas. Ils ont besoin des historiens, des anthropologues, des sociologues et des psychologues pour produire une pensée islamique qui mette fin à cette religiosité folle à lier. Il faut acter l’échec de la théologie islamique classique.

Si nous avions une théologie à la hauteur de ce que proposait par exemple l’Égyptien Nasr Amid Abou Zayd il y a deux décennies (NDLR : il proposait une interprétation humaniste du Coran, qui lui a valu l’exil et des menaces de mort), nous n’en serions pas là aujourd’hui.

Il y a toujours moyen de progresser. Les catholiques ne sont pas sortis en deux jours de leur vision du peuple juif comme « peuple déicide » : ils ont d’abord dû reconnaître qu’elle n’avait pas sa place dans le christianisme. Nous pouvons le faire, nous aussi.

Comme ancien étudiant en sciences des religions à l’université de Louvain, puis comme professeur de religion musulmane en lycée, vous savez ce que peut coûter cette déconstruction pour un croyant…

H. A. : Je sais effectivement ce coût pour y avoir été moi-même confronté et je comprends que certains croyants hésitent à s’y lancer. Mais en 2016, quand j’étais encore professeur de religion en Belgique, j’ai pu aborder le sujet délicat des interpolations (NDLR Ajout d’un élément qui n’y était pas au départ) dans le Coran avec une classe d’élèves de première d’un bon niveau.

Je leur ai d’abord montré ce qu’était une interpolation et comment la repérer dans des textes non-religieux, puis nous avons travaillé sur le passage sur l’esclavage sexuel dans le Coran. En deux séances, ils avaient compris. Et les filles étaient rassurées par l’idée que ce passage résultait sans doute d’un ajout tardif.

Comprenez-vous aussi le désarroi des professeurs de collège et lycée à qui l’on demande d’aborder le fait religieux et qui ont peur de le faire ?

H. A. : C’est tout à fait normal et je les comprends. La thèse sur laquelle je travaille en ce moment en sciences des religions porte justement sur ce sujet : comment rendre les approches historico-critiques acceptables par des jeunes musulmans croyants ?

La matière religieuse n’est pas comme les autres : elle génère des affects très forts car les croyants construisent leur vision du monde et leur projet de vie à partir de leur religion. Lorsqu’il touche à la religion, l’enseignant touche à la vision du monde et au projet de vie de ses élèves. Personne n’est choqué en apprenant le théorème de Pythagore. Mais beaucoup de jeunes musulmans le sont quand on leur apprend que des textes comme la sîra d’ibn Hishâm (m. 833) rapportent que Mohammed a fait massacrer une tribu juive ou que le Coran a été modifié.

Je comprends que les professeurs n’aient pas envie de se lancer tant qu’on ne leur fournit pas une pédagogie sur mesure. Moi-même, alors que mes cours avaient lieu dans un cadre confessionnel, j’ai vu à quelle vitesse les choses pouvaient dégénérer. Aujourd’hui, pour ma thèse, je me retrouve à faire beaucoup de psychologie.

Toute ma question est : comment faire pour ménager les affects les plus torrentueux ? En Belgique, les catholiques ont produit des parcours intéressants dans un cadre confessionnel. Mais nous, en France, sommes très en retard.

Il ne faut donc pas renoncer à aborder le fait religieux dans le cadre scolaire et laïc ?

H. A. : En France on est têtu et ne veut pas que la religion entre à l’école, dans un cadre confessionnel ou non. Mais le facteur religieux est devenu déterminant, et cela ne devrait pas changer alors que les idées voyagent à la vitesse de la fibre optique. Il faut penser le religieux à l’école avec méthode, mais tant que cette méthode n’existe pas, il vaut mieux s’abstenir. Je souhaite produire des outils, comme des manuels scolaires, utilisables facilement par les enseignants qui voudront aborder le fait religieux, mais je n’en suis pas encore là.