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Belgique: sous-financement chronique de la Justice : pourquoi ?

28, Mai 2022 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Droits humains,Justice sociale     No Comments

La Justice est-elle encore un service public ?

Et les justiciables sont-ils devenus les otages d’une Justice sous-financée ?

Je vous recommande chaudement cette excellente émission « Déclic » du 20 mai, animée par Julie Morelle et Arnaud Ruyssen, avec les intervenants Benjamine Bovy, Damien Vandermeersch et Michel Claise. Cette émission avait déjà traité ce sujet, elle retape sur le clou, car l’enjeu est considérable.

Le procureur général de Mons, Ignacio de la Serna l’avait déjà dénoncé :  l’indépendance du pouvoir judiciaire en Belgique est mise à mal par le manque chronique de moyens : lors du gouvernement Charles Michel,  le ministre de la justice, Koen Geens (CDNV), avait décidé de diminuer drastiquement le budget de la justice de 10% sur la législature, soit une économie de 2% par an. Cette économie s’est faite principalement sur le personnel judiciaire et les magistrats.

Ce mercredi 12 mai, la police judiciaire fédérale tirait la sonnette d’alarme face aux commissions de l’Intérieur et de la Justice de la Chambre. Entre manque de moyens humains et financiers, « la police judiciaire est dans un état catastrophique« , a alerté Frédéric Van Leeuw, procureur fédéral. Alors, quelles sont les conséquences pour le citoyen de ce manque de moyens de la police judiciaire ? La police judiciaire fédérale doit faire des choix, et donc laisser tomber des enquêtes. Frédéric Van Leeuw prend l’exemple de Bruxelles : « sur 300 dossiers financiers, on en a laissé tomber une cinquantaine.«  « et donc le crime rapporte et continue de rapporter.« 

Le manque de moyens

Pour mener à bien ses missions, la police judiciaire fédérale devrait retrouver 1000 équivalents temps plein supplémentaires. Rien que pour analyser tout ce qui trouve dans le dossier SKY ECC – un système crypté utilisé par les trafiquants de drogue où l’on pourrait trouver toutes les preuves nécessaires pour les condamner, on n’a pas le personnel ad hoc.  

Et quels sont les moyens financiers demandés ? « … par année, Eric Snoek [le directeur] demande une injection annuelle sur cinq ans entre 35 et 55 millions d’euros.« 

Deux autres personnalités majeures de notre système judiciaire se sont exprimés le 20 mai sur la même question dans l’émission « Déclic » du 20 mai : Damien Vandermeersch, avocat général à la Cour de Cassation, et Michel Claise, juge d’instruction à Bruxelles, spécialisé dans la lutte contre la criminalité en col blanc.

Tous deux dénoncent avec courage ce manque criant de moyens qui caractérise le secteur de la Justice en Belgique depuis de longues années. Ils montrent que les conséquences en sont graves, non seulement pour les justiciables qui doivent attendre parfois plus de dix ans pour que leur affaire soit jugée, ou pour certains prisonniers, mais aussi parce que cette situation entame fortement la confiance des citoyens en un État de droit.

Ils dénoncent de même une tendance à remplacer le service public par la procédure d’arbitrage, très chère, confiée à des juges privés. Privatisation de la Justice qui devient hors de prix pour la plupart des citoyens… Michel Claise dénonce aussi que de nombreuses affaires ne sont pas traitées dans le domaine de la fraude sociale (faux documents, faux contrats de travail…) ou fiscale (évasion fiscale évaluée à une trentaine de milliards… mais le ministre de la Justice (Van Quickenborn, Open VLD) parle de consacrer un seul milliard supplémentaire pour la réforme).  Ainsi, le crime n’est pas dissuadé, de sorte que notre pays devient un paradis pour les mafias !  La corruption de fonctionnaires est en effet considérable.

En conclusion, la grande question est posée : pourquoi ?  On a peut-être la réponse dans cette déclaration de la direction de la police et même de la ministre de l’Intérieur (Annelies Verlinden, du CDNV) au début de la législature : « La lutte contre la criminalité financière n’est pas une priorité »… (sic. C’est à la minute 23 de l’émission)


Ne manquez donc pas cette émission que vous trouverez sur https://www.rtbf.be/auvio/detail_declic?id=2899445

NDR: Quand donc nos partis politiques vont-ils enfin se décider à secouer le prunier ? Ou alors, c’est qu’ils sont englués eux-mêmes dans ce système qu’ils n’osent plus remettre en question ?  Une chose est certaine : le prétexte « qu’on n’a pas l’argent » ne peut plus nous tromper.