« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Birmanie: Sœur Ann Nu Thawng, la religieuse à genoux devant la police

13, Mar 2021 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Droits humains,International,Spiritualité     No Comments

Témoignage impressionnant !

Sœur Ann Nu Thawng, une religieuse birmane, prie à genoux devant les soldats et les policiers, dimanche 28 février. Cette photo prise par un manifestant a fait le tour du monde. Postée par un compte Twitter relayant les informations de l’archevêque de Rangoun, Mgr Charles Maung Bo, on y voit une petite sœur catholique en prière devant les policiers et les soldats birmans alors que ceux-ci étaient en train de poursuivre un groupe de manifestants, à Myitkyina, dans l’État de Kachin, au nord de la Birmanie. Ce jour-là malgré le pacifisme des manifestants, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a compté au moins 18 morts dans la répression sanglante des manifestants réunis dans la plupart des grandes villes du pays. Dans cette même ville de Myitkyina, les forces de l’ordre s’en sont même prises à des journalistes, des médias locaux signalant qu’un de leurs reporters a été frappé puis arrêté par la police ce jour-là. Qui est donc cette religieuse de la congrégation Saint-François-Xavier, qui semble implorer la clémence des hommes en armes sans craindre de leur faire face, seule, en pleine rue ? Déjà, sur les réseaux sociaux, certains n’hésitent pas à la comparer au fameux « Tank Man », l’homme de Tian Anmen, qui s’était courageusement mis en travers du chemin des chars d’assaut chinois lors des manifestations de 1989 contre le régime communiste. Mais, cette fois, le geste n’est pas seulement symbolique. Par son acte de résistance, Sœur Ann Nu Thawng a permis à une centaine de jeunes poursuivis par les forces de l’ordre d’échapper aux tirs des soldats, et peut-être même de sauver leur vie.

« Pas seulement religieuse, aussi citoyenne »

Contactée par Le Figaro, Sœur Ann a pu nous raconter ce qui s’est exactement passé ce jour-là, et pourquoi elle a tout à coup décidé de sortir dans la rue. Elle était jusque-là restée entre les murs de son couvent sans prendre directement part aux manifestations qui secouent le pays depuis le coup d’État militaire qui a renversé la dirigeante Aung San Suu Kyi, le 1 er février. Sa congrégation occupe un couvent, qui est aussi une clinique, à Saint-Colomban, à côté de la cathédrale de la ville. Sœur Ann travaillait donc à la clinique ce dimanche avec les autres religieuses, lorsque le bruit de la rue s’est fait menaçant. « J’ai vu à ce moment une foule de jeunes gens courir précipitamment dans la rue pour échapper aux policiers et aux soldats qui leur tiraient dessus. J’étais terrifiée. Mais je ne suis pas seulement religieuse : je suis aussi une citoyenne. J’ai compris à ce moment que mon devoir était d’empêcher ces soldats de s’en prendre injustement aux manifestants pacifiques. J’ai donc décidé de sortir dans la rue et de leur faire face, pour qu’ils cessent d’avancer et de tirer sur la foule. Et je leur ai parlé, je les ai implorés de cesser de recourir à la violence. »

« Les jeunes ont pu s’enfuir en trouvant refuge dans le couvent »

Pendant que Sœur Ann s’agenouille devant les soldats, la centaine de jeunes manifestants est recueillie par les religieuses du couvent. Les hommes en armes, eux, s’arrêtent net, surpris par le culot de cette femme qui les supplie de s’arrêter. « À ce moment, les jeunes ont pu s’enfuir en trouvant refuge dans le couvent. Certains d’entre eux étaient blessés, ils ne pouvaient plus marcher et quelques-uns, une jeune fille notamment dont je me souviens distinctement, ne tenaient même plus debout. Les autres religieuses ont pu les aider et leur porter secours », se rappelle encore Sœur Ann. Le temps de répit obtenu par son intervention permet d’évacuer ceux qui se trouvent dans un état critique vers l’hôpital voisin. A-t-elle eu peur, seule face aux soldats ? « Bien sûr que j’étais effrayée ! Quand j’étais jeune, dans mon village, j’ai vu beaucoup de soldats s’en prendre à la foule et nous étions habitués à la répression et aux blessures. Je sais ce dont ils sont capables. Mais j’ai surmonté mon appréhension car je voulais d’abord penser à ces jeunes, qui menaient un combat juste et pacifique pour la liberté. Alors, aux soldats armés, protégés par leurs casques et leurs boucliers, j’ai simplement dit ceci : Vous pouvez me tuer, mais ne touchez pas à ces jeunes, ne tirez plus, ne tuez pas d’autres innocents. Car encore une fois, je suis assez vieille, moi, pour connaître la réalité de la dictature et de l’absence de choix, de libertés. Je pense aux jeunes de mon pays : ils ont raison de résister, je ne veux pas qu’ils connaissent les atrocités que nous avons vécues autrefois. »

« La prière ne suffit pas, il faut agir »

Dans la pagaille, l’un des jeunes pourchassés, Aungo Ko Ko, trouve malgré tout le temps de sortir son téléphone et prend la scène en photo. Puis l’image, hautement symbolique, s’est répandue sur les réseaux sociaux et dans les médias. Une notoriété inattendue qui inquiète d’abord un peu Sœur Ann, même si elle finit par l’accepter : « Je suis religieuse mais je suis aussi citoyenne. Comme religieuse, je prie avec mes sœurs pour le retour de la paix et de la liberté dans notre pays. Mais, comme citoyenne, je sais que la prière ne suffit pas et qu’il faut aussi agir ; alors, si cette photo peut nous aider à retrouver nos droits, et si elle peut sensibiliser l’opinion des autres pays et nous obtenir une aide, je crois que c’est une bonne chose. » Sitôt après la confrontation avec les forces de l’ordre, Sœur Ann a en tout cas regagné son couvent et s’est tout de suite retroussé les manches pour apporter aux jeunes encore présents les soins nécessaires. Les catholiques représentent environ 1 % de la population en Birmanie. Pour leurs responsables, il est parfois délicat de se positionner ouvertement dans les contestations qui opposent la population aux militaires putschistes. Néanmoins, le pape a eu à plusieurs reprises une intention de prière toute particulière pour le pays, comme lors de son Angelus le dimanche 7 février : « Je prie pour que ceux qui sont aux responsabilités dans le pays s’engagent avec une disponibilité sincère au service du bien commun, en promouvant la justice sociale et la stabilité nationale, pour une coexistence démocratique harmonieuse », a-t-il ainsi déclaré depuis le balcon de sa résidence aux pèlerins réunis sur la place Saint-Pierre.