« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

De quelle Eglise rêvons-nous ?

30, Mar 2021 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Foi chrétienne     No Comments

Plutôt que devenir des « gardiens du musée de la civilisation chrétienne », mieux vaut retrouver l’esprit des origines du christianisme: non une religion mais une mouvance prophétique.

(extraits de l’article du P. Charles Delhez publié dans le journal « Dimanche » du 28 mars 2021, p.14-15).

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Nous ne reviendrons pas en arrière. Pour nos contemporains et même pour beaucoup de chrétiens, l’institution ne pose plus problème, elle n’intéresse plus, sinon comme un fait divers.

Que s’est-il passé?

Les analyses ne manquent pas. Citons rapidement: le langage de type symbolique en décalage avec une culture scientifique et technique; une Eglise associée trop souvent dans l’histoire aux puissants de ce monde; une invariance de ses rites et de ses propos dans une société qui privilégie la nouveauté; une insistance sur l’intériorité en contraste avec une société de la consommation où il faut s’éclater; une spiritualité de l’obéissance dans une culture qui valorise la liberté individuelle, voire individualiste et narcissique; une proclamation de la vérité dans un monde relativiste où le doute est valorisé par rapport aux certitudes volontiers vues comme intransigeantes. Tout ceci est à situer sur fond de dépréciation assez généralisée du phénomène religieux, et l’islamisme n’aide pas à redorer le blason. Les religions sont vues comme dogmatiques, moralisantes et culpabilisantes, intolérantes, identitaires, communautaristes, et violentes. En voilà sans doute assez pour ce tableau rapide! Que répondront les chrétiens pratiquants?

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les fameuses valeurs chrétiennes. Celles-ci, évoquées même par les non-chrétiens, se retrouvent partout. Et pour cause: notre civilisation occidentale en a été pétrie, mais n’a plus besoin de citer ses sources. On ne peut bien sûr que se réjouir que ces valeurs soient passées dans les discours et même dans la pratique. Des gens, sans lien avec le cénacle chrétien, vivent très généreusement l’idéal évangélique. Ils sont dans la mouvance de ce Jésus sans pour autant être du groupe de ses intimes.

La nouveauté, pour le meilleur et pour le pire, est aujourd’hui apportée de la société profane. L’Eglise vogue de plus en plus en dehors du mainstream, du courant qui emporte notre Occident. Les phénomènes de transition, de trans-humanisme, de post-humanisme en sont une des manifestations… Nous vivons une mue culturelle importante et le christianisme n’en est plus le moteur. Il est à la traîne…

Comment réagir?

Cette évolution oblige les chrétiens à se repositionner. La tentation serait de devenir « les gardiens du musée de la civilisation chrétienne » (Adrien Candiard) ou les croisés d’un monde qui n’est plus… : inutile de se battre pour un retour en arrière. L’histoire avance. Faut-il dès lors quitter le navire, car il n’a plus les promesses de l’avenir? Non, tout au contraire. Le christianisme peut redevenir ce qu’il était à l’origine, non une religion, mais un prophétisme, une mouvance prophétique.

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Être présent à la société

Aujourd’hui, la première urgence, pour les disciples du Christ, est sans doute, tout simplement, d’être présents à notre société. « L’Eglise se fait conversation avec la société, de laquelle elle se reconnaît intimement solidaire », disait déjà Paul VI. Les mouvements de jeunesse, les associations caritatives, écologiques ou alternatives, politiques, les groupes spirituels sont des lieux où s’investir. Il s’agit là d’humaniser tout ce qu’il leur est possible d’humaniser, selon les valeurs de l’Evangile, au coude à coude avec les personnes de bonne volonté, sans monopole ni prosélytisme. Accompagner, quand ils y sont invités, les célébrations des grands moments de la vie est une belle occasion de témoigner de l’espérance qui les fait vivre. Etre attentif aux personnes en peine et aux marginalisés de notre société est aussi prioritaire.

C’est peu de chose, dira-t-on. Mais l’aventure chrétienne n’a-t-elle pas commencé modestement? Et pour se ressourcer? Une encyclopédie récente, Après Jésus. L’invention du christianisme, nous apprend que durant les premiers siècles, les célébrations chrétiennes étaient toujours vécues en très petits groupes. L’avenir est à ces nombreuses petites communautés de chrétiens engagés dans la société, de couples (et donc de familles) qui se réunissent régulièrement, pour qui l’Evangile est une référence et le geste de la fraction du pain, un rite signifiant, à condition qu’il soit dépouillé. Ces petits groupes entretiennent la flamme. Mais comment créer du lien entre eux pour que l’Eglise ne devienne pas une secte d’élus ou que, comme certains fleuves, elles ne se perde pas dans les sables d’un delta? Il faudra, dans nos pays, revoir son organisation et s’interroger à propos des « ministères ». Les frontières entre prêtres et laïcs seront sans doute appelées à être déplacées, les premiers perdant de leur aura sacrée.

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Il y a vingt ans déjà, l’historien René Rémond estimait que, « sans brader la Tradition, l’Eglise [devait] faire preuve d’imagination et inventer des formes inédites de ministère, de service de communautés ». Les premiers siècles furent audacieux, les nôtres doivent l’être. C’est une question de survie.

✐Charles DELHEZ s.j.