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Déradicalisation, la méthode Dounia Bouzar expliquée : «La Madeleine de Proust »

08, Oct 2016 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in terrorisme     , , ,   No Comments

Un jeune radicalisé n’est pas un jeune à jamais perdu. Dirigé par Dounia Bouzar, le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) a ouvert ses coulisses à la réalisatrice Marie-Castille Mention Schaar pour « Le Ciel attendra », un film en salles depuis mercredi 5 octobre. A cette occasion, l’anthropologue, auteur de plusieurs livres dont fait dernièrement partie « Ma meilleure amie s’est fait embrigader » (Ed. La Martinière Jeunesse), a accepté de nous parler de sa méthode de déradicalisation à la française dont on n’a pas fini de parler.

 article rédigé par Amara Bamba | Vendredi 7 Octobre 2016 ds Saphirnews

Comment cela a-t-il commencé ?

Dounia Bouzar : Nous avons commencé par comprendre que les recruteurs de Daesh réussissaient à se faire passer pour une famille de substitution auprès des jeunes. On voyait que les jeunes ne ressentaient plus rien pour leurs frères et sœurs. Il y a des familles où les enfants étaient très proches les uns des autres, dans une forme de fusion complète où ils faisaient des activités ensemble, passaient leurs week-ends ensemble… Même dans ces cas-là, soudain, il n’y avait plus de sentiment de la part du jeune radicalisé, comme si le père et la mère étaient devenus de véritables étrangers, voire des ennemies. Donc, très tôt, nous avons compris que les recruteurs prenaient cette place des parents auprès des jeunes.

(…)

Comment, en pratique, vous cherchez une solution ?

Dounia Bouzar : J’ai mon expérience des jeunes en tant qu’ancienne éducatrice. Je vois que le jeune a donné l’autorité parentale aux recruteurs, qu’il se méfie des autres. Puis je constate qu’il n’a plus de sensations, qu’on lui interdit toute activité où il pourrait avoir des sensations : plus de sport sauf durant la période d’entraînement qui précède son départ, plus de musique, plus d’activités artistiques et de loisirs… Le jeune devient « anesthésié », comme disent les parents. De là, je recherche un moyen pour redonner l’autorité parentale aux parents, de même que je recherche un moyen pour que le jeune retrouve des sensations. Je ne le formulais pas de cette manière à l’époque. Instinctivement, je veux détacher le jeune du groupe des recruteurs afin qu’il redevienne un individu.

 

D’où votre « Madeleine de Proust ». Concrètement, comment naît cette idée ?

Dounia Bouzar : C’est à partir d’un cas précis. Un jour, un papa me fournit un premier élément. Il était désespéré. Un militaire, un catholique non pratiquant qui, face à l’état de sa fille, sombrait dans la déprime. Ce papa me dit que, sans raison précise, il avait fredonné un vieux refrain qu’il chantait à sa fille dans son enfance. Puis il ajoute : « Et voilà que mon robot (c’est ainsi qu’il nommait sa fille) est partie en sanglots, a claqué la porte de sa chambre… » En écoutant ce récit, j’ai eu un déclic. J’ai immédiatement compris ce qui s’était passé. Sur le coup, j’explique au père que sa fille avait ressenti quelque chose. Qu’elle était redevenue elle-même.

 

Avez-vous décliné ce cas sur d’autres familles ?

Dounia Bouzar : Immédiatement ! Dès le lendemain, j’ai mis toute mon équipe sur le pont avec ordre d’appeler tous les parents pour leur donner une consigne précise. Nous avions près de 400 parents à l’époque. Je les ai tous fait appeler dans les 48h pour leur demander de trouver quelque chose que leur enfant aimait bien lorsqu’il était petit et de le reproduire immédiatement dans les mêmes conditions. Nous étions, à cette époque, comme un corps d’armée sur le pied de guerre : tous solidaires les uns des autres… Chaque parent s’est mobilisé, chacun selon sa situation.

 

Chacun selon sa réalité familiale ?

Dounia Bouzar : Oui, si vous voulez. Par exemple, Une autre maman qui était juive me dit qu’elle possède une vidéo de la fête de Bar Mitzva de son radicalisé. Je lui demande de mettre la vidéo en boucle ! Un père se souvient qu’il allait, autrefois, le dimanche matin, à la pêche avec son fils radicalisé. Je lui demande de ressortir les canes à pêche. Mais je lui précise de retrouver le même lac ! Les exemples sont nombreux… Ce fut un moment de grande agitation dans les équipes. On me demandait si j’y croyais ; je n’avais pas de réponse. Donc je répondais : on essaie, on verra bien.

 

Et qu’avez-vous vu ?

Dounia Bouzar : Le retour a été magnifique. Cette méthode présentée et racontée comme je le fais peut paraître idiote. Mais, dans la pratique, elle donne des résultats tout simplement magiques. Nous l’avons appelée « Madeleine de Proust ». La seule vraie difficulté est de la mettre en place naturellement, sans forcer. Les parents qui l’ont mise en pratique ont tous recueilli une réaction de la part de leur enfant radicalisé.

 

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