« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Deux cardinaux plaident pour la fin du célibat obligatoire

04, Fév 2022 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes     No Comments

I. Le cardinal Marx (Munich)

Dans une interview publiée le 2 février 2022, le cardinal allemand Reinhard Marx plaide pour donner aux prêtres de rite latin la possibilité de se marier. L’archevêque de Munich-Freising est cependant plus réticent concernant l’accès des femmes au sacerdoce.

«Il serait préférable pour tous que les prêtres puissent choisir entre le célibat et le mariage», affirme le cardinal Marx dans un entretien au journal Süddeutsche Zeitung, relayé par les agences KNA et Kathpress. «Le célibat est un mode de vie difficile, je le dis toujours aux jeunes prêtres».

Le prélat allemand n’envisage toutefois pas une abolition générale du célibat, «car il s’agissait du mode de vie de Jésus». Mais il s’interroge «sur l’opportunité d’en faire une condition de base pour chaque prêtre».

L’archevêque juge en tout cas que pour certains ministres, le mariage serait préférable. «Pas seulement pour des raisons sexuelles, mais parce qu’ils seraient mieux dans leur vie en n’étant pas seuls».

Quel lien avec les abus?

Le cardinal est en tout cas convaincu que les discussions sur ce sujet doivent être menées. «Certains diront: si nous n’avons plus le célibat obligatoire, tout le monde va se marier! A cela je répondrais simplement: ‘Et alors? Si tout le monde se mariait, ce serait encore plus le signe qu’il y avait réellement un problème’».

Le prélat de Bavière ne fait toutefois pas un lien définitif entre célibat et abus sexuels. «On ne peut pas le dire globalement. Mais ce mode de vie qui suppose une proximité entre des hommes attire aussi des gens qui ne sont pas adaptés (à la fonction), qui sont sexuellement immatures».

La morale sexuelle de l’Église critiquée

Le cardinal se montre plus réservé sur l’ouverture des ministères ordonnés aux femmes. Si, selon lui, la discussion doit être poursuivie, il admet ne pas avoir d’avis définitif sur ce point. Il relève toutefois que les arguments contre l’accès de la prêtrise aux femmes sont devenus, pour lui, de plus en plus faibles au cours de sa vie. «Je sais seulement que nous avons besoin d’un large consensus. Ou alors on casse tout l’édifice».

L’archevêque de Munich porte, de manière générale, un regard critique sur la morale sexuelle de l’Eglise catholique. Elle aurait généré selon lui «de nombreuses inhibitions». «Nous sommes en train de recevoir une facture qui s’est accumulée au fil des générations», a-t-il ajouté.

Pas de volonté de «protéger» Benoît XVI

Le cardinal Marx à également répondu à la Süddeutsche Zeitung sur les accusations portées contre lui par un récent rapport d’une enquête indépendantesur les abus sexuels dans le diocèse de Munich-Freising. Le cabinet d’avocat a pointé une série de négligences de la part des derniers prélats ayant dirigé le diocèse bavarois, dont le pape émérite Benoît XVI.

Dans l’interview, le cardinal Marx rejette l’hypothèse selon laquelle lui ou ses plus proches collaborateurs auraient voulu protéger Joseph Ratzinger en 2010, alors que le débat sur les abus faisait rage.

Il espère également que le pape émérite s’exprimera de manière exhaustive sur le sujet, comme il l’a annoncé. Il souhaite aussi que «la déclaration contienne des paroles de compassion appropriées pour les personnes touchées et prenne en compte les attentes existantes dans ce domaine».

L’archevêque de Munich affirme n’avoir, lui-même, pas pu imaginer il y a 20 ou 30 ans que des abus d’une telle ampleur se produisaient chez des prêtres. Selon lui, les responsables de l’Église ont souvent cru les prêtres lorsque ces derniers niaient les accusations. «Je pense que nous avons voulu protéger le ministère de prêtre (…) Même après les premières lignes directrices de 2002», a déclaré le cardinal en se référant aux règles publiées à l’époque par la Conférence épiscopale allemande. Une attitude qui a cessé, selon lui, à partir de 2010, grâce au «choc» provoqué par la découverte de l’ampleur des abus. (cath.ch/kna/kap/sz/rz)


II. le cardinal Hollerich (Luxembourg)

Pourquoi lui

On dit de lui qu’il est l’un des proches du pape François. Jésuite, comme le pape, il a passé, comme l’ancien archevêque de Buenos Aires, une partie de sa vie à l’autre bout du monde. Ancien missionnaire au Japon, culture dans laquelle il s’est totalement immergé pendant presque deux décennies, il porte, depuis son retour en Europe, la conviction que l’Église doit trouver une nouvelle manière de s’adresser au monde si elle veut continuer à lui faire parvenir son message. Une réflexion que le pape François l’a d’ailleurs chargé de coordonner, en le nommant secrétaire général d’un Synode sur l’avenir de l’Église.

S’engager dans une conversation avec le cardinal Jean-Claude Hollerich, 63 ans, c’est s’embarquer dans une longue réflexion sur le futur du catholicisme dans le monde, mais surtout sur l’espérance à porter à ceux qui l’habitent. C’est aussi renoncer à l’appeler « Éminence », alors que la règle impose pourtant au Vatican l’usage de ce mot pour appeler les cardinaux. À de très rares exceptions près. « Père, ça suffit bien. Appelez-moi comme ça. Je suis un père jésuite. » Simple, résolument simple.

Voici maintenant l’extrait de l’interview : 

En France, beaucoup estiment que l’Église a perdu une large part de sa crédibilité en raison des crimes sexuels commis en son sein. Comment vous situez-vous par rapport à cette crise ?

D’abord, je veux dire que ces abus sont un scandale. Et lorsque l’on voit les chiffres du rapport Sauvé, on voit bien qu’il ne s’agit pas du lapsus de quelques-uns. Il y a, quelque part, une faute systémique, qu’il faut relever. Nous ne devrions pas avoir peur des blessures que cela pourrait nous infliger, qui ne sont d’ailleurs absolument rien comparées à celles des victimes. Par conséquent, nous devons faire preuve d’une très grande honnêteté et être prêts à prendre des coups.

J’étais il y a quelques semaines au Portugal, où je célébrais la messe. Il y avait là un petit garçon qui, servant la messe, me regardait comme si j’étais le bon Dieu. Je percevais bien qu’il voyait en moi un représentant de Dieu, ce que j’étais d’ailleurs, dans la liturgie. Abuser de tels enfants est un véritable crime. C’est une faute beaucoup plus grave que si un professeur ou un entraîneur de sport commettait ces actes. Le fait que l’on ait toléré cela pour protéger l’Église, cela fait mal. On a fermé les yeux ! C’est presque irréparable.

J’en viens maintenant à votre question. Certains ont perdu confiance. Pour la regagner, lorsque cela est possible, il faut avoir une grande humilité. Lorsque l’on accompagne une communauté ou une personne, il faut toujours garder en tête le principe du respect absolu de ceux que l’on accompagne. Je ne peux disposer d’une personne.

Il me semble évident que ces questions seront dans toutes les têtes et dans tous les cœurs au cours du processus du Synode. Nous devons adopter des changements.

S’il y a une faute systémique, faut-il à vos yeux des changements systémiques ?

Oui. Évidemment, dans mon diocèse, nous avons, comme beaucoup d’autres, une charte de bonne conduite que tout le monde doit signer, prêtres comme laïcs qui travaillent pour l’Église. Avant l’ordination, nous soumettons aussi les séminaristes à huit sessions psychologiques destinées à détecter la pédophilie. Nous faisons tout ce que nous pouvons, mais ce n’est pas assez. Il faut une Église structurée de telle manière que ces choses-là ne soient plus possibles.

C’est-à-dire ?

Si l’on avait donné plus de voix aux femmes et aux jeunes, ces choses-là auraient été découvertes beaucoup plus tôt. Il faut cesser de faire comme si les femmes étaient un groupe marginal dans l’Église. Elles ne sont pas à la périphérie de l’Église, elles sont au centre. Et si nous ne donnons pas la parole à celles qui sont au centre de l’Église, nous aurons un grand problème. Je ne veux pas être plus précis : cette question sera forcément posée au Synode, dans différentes cultures, dans différents contextes. Mais l’on a trop ignoré les femmes. Il faut les écouter, comme, d’ailleurs, le reste du peuple de Dieu. Les évêques doivent être comme des bergers qui sont à l’écoute de leur peuple. Il ne s’agit pas seulement pour eux de dire : « Oui, j’entends, mais cela ne m’intéresse pas. » Ils doivent être au milieu de leur troupeau.

Quels autres changements faut-il opérer ?

La formation du clergé doit changer. Elle ne doit pas être uniquement centrée sur la liturgie, même si je comprends que les séminaristes y accordent une grande importance. Il faut que des laïcs et des femmes aient leur mot à dire dans la formation des prêtres. Former des prêtres est un devoir pour l’Église entière, et donc il faut que l’Église entière accompagne cette étape, avec des hommes et des femmes mariés et des célibataires.

Deuxième chose, nous devons changer notre manière de considérer la sexualité. Jusqu’à maintenant, nous avons une vision plutôt réprimée de la sexualité. Évidemment, il ne s’agit pas de dire aux gens qu’ils peuvent faire n’importe quoi ou d’abolir la morale, mais je crois que nous devons dire que la sexualité est un don de Dieu. Nous le savons, mais le disons-nous ? Je n’en suis pas sûr. Certains attribuent la multiplication des abus à la révolution sexuelle. Je pense exactement l’inverse : à mon avis, les cas les plus horribles se sont produits avant les années 1970.

Dans ce domaine, il faut aussi que les prêtres puissent parler de leur sexualité et qu’on puisse les entendre s’ils ont du mal à vivre leur célibat. Ils doivent pouvoir en parler librement, sans craindre d’être réprimandé par leur évêque. Quant aux prêtres homosexuels, et il y en a beaucoup, ce serait bien qu’ils puissent en parler à leur évêque sans que ce dernier les condamne.

En ce qui concerne le célibat, dans la vie sacerdotale, demandons franchement si un prêtre doit nécessairement être célibataire. J’ai une très haute opinion du célibat, mais est-il indispensable ? J’ai dans mon diocèse des diacres mariés qui exercent leur diaconat de manière merveilleuse, font des homélies par lesquelles ils touchent les gens beaucoup plus fortement que nous, qui sommes célibataires. Pourquoi ne pas avoir aussi des prêtres mariés ?

Et même, si un prêtre ne peut plus vivre cette solitude, on doit pouvoir le comprendre, ne pas le condamner. Moi, maintenant, je suis vieux, cela me concerne moins…

Vous, vous avez senti cette difficulté de vivre cette solitude ?

Oui, bien sûr. À certains moments de ma vie, cela a été très clair. Et il est aussi évident que chaque prêtre tombe amoureux, de temps en temps. Toute la question est de savoir comment se comporter dans ce cas-là. Il faut d’abord avoir l’honnêteté de se l’avouer à soi-même, puis agir de telle manière que l’on puisse continuer à vivre son sacerdoce.

Jean-Claude Hollerich – Olivier Toussaint pour La Croix L’Hebdo