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Europe et djihadisme : est-il possible de « déradicaliser » ?

27, Jan 2017 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in terrorisme     , ,   No Comments

 

Voyage dans deux prisons françaises, où un programme expérimental encourage les jeunes détenus à « s’imaginer » autrement

La recherche-action était appelée à répondre à deux questions : comment comprendre si un individu est « radicalisé », c’est-à-dire dangereux dans la mesure où il est capable d’exercer de la violence au nom d’une idéologie ? Et comment entreprendre un parcours de réhabilitation ou de réinsertion dans la société ?

Bartolomeo Conti | jeudi 26 janvier 2017 sur le site « Oasis »

 

En février 2015, quelques semaines après les attentats à Charlie Hebdo, l’administration pénitentiaire française a lancé un programme expérimental avec un double objectif : mettre à jour les méthodes pour identifier les détenus « radicalisés », et réaliser un programme pour les accompagner en vue de leur réinsertion dans la société. Réalisée par l’association Dialogues Citoyens dans les prisons de Osny et Fleury-Mérogis, cette recherche-action s’est déroulée dans un climat de tension où beaucoup voyaient, dans la prison, le lieu privilégié de la radicalisation. Car c’est par la prison qu’étaient passés la plupart des auteurs des attentats qui avaient bouleversé la France, de Mohammed Merah à Amedy Coulibaly, de Chérif Khouachi à Mehdi Nemmouche. C’est par la prison aussi que devaient passer certains des auteurs des attaques commises par la suite en France et en Allemagne. La recherche-action était appelée à répondre à deux questions : comment comprendre si un individu est « radicalisé », c’est-à-dire dangereux dans la mesure où il est capable d’exercer de la violence au nom d’une idéologie ? Et comment entreprendre un parcours de réhabilitation ou de réinsertion dans la société ? Derrière ces deux questions s’en profile une troisième, qui donne la dimension du défi auquel sont confrontées les sociétés européennes : est-il possible de « dé-radicaliser » ?

Pour répondre à ces questions, on a d’abord procédé dans les deux prisons à un examen, un diagnostic du fonctionnement de l’institution pénitentiaire, de la vie en détention, des relations entre détenus et personnel pénitentiaire, et des méthodes utilisées par ce personnel pour identifier la radicalisation islamiste. Cette première phase a mis en évidence l’absence d’une définition claire de la « radicalisation », avec, comme conséquence, le fait que la perception du phénomène est variée et souvent individualisée. Un sentiment d’inadéquation, parfois accompagné d’une perception anxiogène, s’empare du personnel pénitentiaire, qui finit souvent par voir de la radicalisation même là où il n’y en a pas. Comme il est apparu durant la recherche-action, la radicalisation est souvent confondue avec la pratique religieuse orthodoxe/fondamentaliste, le discours politique ou la « simple » provocation envers l’institution pénitentiaire : il s’ensuit une augmentation du niveau de stigmatisation de la population carcérale de religion islamique, qui se sent « injustement discriminée », facteur qui semble être source de radicalisation. Ce diagnostic a donc mis en évidence la nécessité de commencer par une redéfinition des concepts de base et par une « déconstruction » des instruments existants, qui sont non seulement porteurs de l’amalgame entre pratique religieuse et radicalisation, mais aussi inefficaces et obsolètes. Comment comprendre alors lorsqu’un détenu est entré dans un processus de radicalisation ?

La sélection, les interviews prolongées, et le programme d’accompagnement de détenus soupçonnés d’être radicalisés ou en voie de radicalisation ont permis de constater le besoin des jeunes détenus de verbaliser un sentiment d’injustice, d’exclusion et de colère qui se trouve généralement à l’origine de leur adhésion à un discours de rupture vis-à-vis des institutions et de la société. Il s’agit là d’un discours qui va au-delà du phénomène de la radicalisation islamiste : il est également répandu dans les lieux de la marginalisation, à commencer par les banlieues françaises. La parole des détenus est donc le point de départ, en ce sens qu’elle permet d’avoir une vision plus profonde du parcours individuel de chaque personne incarcérée, à travers un échange d’informations entre les différents acteurs de la prison, et un rapport plus direct avec le détenu lui-même. La relation fondée sur l’échange verbal s’est donc révélée un instrument utile pour comprendre si un individu est radicalisé ou en voie de radicalisation, mais aussi un instrument pour prévenir la radicalisation : ce n’est qu’à travers la parole que ce que l’on soupçonne être une radicalisation peut être vérifié, désamorcé ou combattu. C’est précisément le manque de dialogue entre l’institution pénitentiaire et les détenus qui renforce le sentiment d’injustice chez certains d’entre eux. Ce sentiment peut se limiter à la perception d’être l’objet d’une discrimination, pour arriver jusqu’à l’attitude « paranoïde » de se croire l’objet d’un complot.

Quand donc les discours « anti-républicains » ou « anti-institutionnels » fondés sur des certitudes idéologiques ou sur des préjugés, deviennent-ils indice de radicalisation ?

Suite sur http://www.oasiscenter.eu/fr/articles/djihadisme-et-violence/2017/01/26/europe-djihadisme-deradicalisation