« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Face aux passions identitaires, un monde commun

04, Oct 2018 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Migrants     ,   No Comments

 

(EXTRAITS)

Alors que de plus en plus de pays font le choix du repli nationaliste et identitaire, il nous revient de fabriquer un monde commun aux Européens de toute confession, inspiré de l’espace méditerranéen. (…)

Un rapide tour d’horizon du paysage politique européen nous dit fort bien là où nous en sommes arrivés aujourd’hui. En Europe centrale, des formes de « démocrature » (ou « démocraties illibérales [2] ») voient le jour. L’Autriche est dirigée depuis octobre 2017 par le « libéral » Sebastian Kurz, allié au Fpö, parti à l’ascendance ouvertement nazie. L’Allemagne elle-même, en dépit de son histoire et du travail de mémoire accompli depuis 1945, a vu l’affirmation d’un front anti-islam et anti-immigration avec le mouvement Pegida, puis la percée de l’Alternative für Deutschland (AfD) au Bundestag lors des élections de septembre 2017. ­L’Angleterre a choisi quant à elle le Brexit, après une campagne nationaliste, isolationniste et anti-immigrés. L’Espagne est de son côté en plein démêlé avec la Catalogne, qui se rêve indépendante, portée par l’affirmation d’une identité catalane. En Grèce, le parti Aube dorée, ouvertement nationaliste, identitaire et xénophobe, reste en embuscade. La France a vu, pour la deuxième fois consécutive en 2017, et après la surprise de l’élection de 2002, le Front national au second tour de l’élection présidentielle, comme si cela était devenu « normal ». « Le suicide français » serait notre destin selon Éric Zemmour et notre identité serait invariablement devenue « malheureuse » selon Alain Finkielkraut. De tels récits deviennent une forme de doxa, d’évidence indiscutée, qui façonne notre imaginaire et construit notre vision d’une Europe citadelle, menacée par le risque d’un « grand remplacement » selon le combat mené par l’écrivain Renaud Camus.

La question de l’islam européen devient centrale et quasi obsessionnelle, alors qu’elle pourrait être pensée à partir d’une approche fondée sur les modes de vie et les styles de vie. Il y a là un terrain fertile de pensée et de recherche à explorer, une quête pour tenter de donner un autre visage à notre temps qui pourrait bien être défiguré si nous laissons les choses glisser chaque jour un peu plus. Le malaise européen est profond et, face à ce vide persistant, les mouvements nationalistes et identitaires ­s’engouffrent dans la brèche pour recréer une forme d’unité, de cohésion contre « l’immigration et l’islamisation », selon leur principal mot d’ordre.

Il s’est constitué à travers l’histoire un espace de pensée, de culture et de civilisation qui a relié durablement et en profondeur les deux rives de la Méditerranée et il n’est pas possible de faire comme s’il n’avait pas existé. La confrontation des héritages historiques, philosophiques et culturels n’est pas une vieille lune, un combat pour vieux érudits en mal de reconnaissance ou de controverse. Comme l’avait si bien vu Albert Camus au moment de la guerre d’Algérie et de la spirale meurtrière entre attentats et répression : « Lorsque la violence répond à la violence dans un délire qui s’exaspère et rend impossible le simple langage de la raison, le rôle des intellectuels ne peut être, comme on le lit tous les jours, d’excuser de loin une des violences et de condamner l’autre, ce qui a pour double effet d’indigner jusqu’à la fureur le violent condamné et d’encourager à plus de violence le violent innocenté. » Et il ajoutait : « Il ne s’agit pas de crever séparément, mais de vivre ensemble [3]. »

Là est la question. Vivre ensemble, avec les musulmans européens, créer les conditions d’un possible monde commun. C’est le seul horizon crédible si l’on veut éviter la montée des extrêmes entre, d’un côté, les partisans d’un Occident chrétien et d’un nouvel ordre national et, de l’autre, les mouvements salafistes et djihadistes qui ne rêvent que d’en découdre. Or, entre ces deux mouvements identitaires qui se font face, il n’y a pas rien, tout au moins pour le moment. Il existe encore un espoir de coaliser des forces au sein des sociétés européennes pour créer des convergences et donner une consistance à un possible monde commun.

L’article complet est sur Face aux passions identitaires, un monde commun | Esprit Presse qui développe les points suivants:

  • Les formes possibles d’un monde commun
  • Le monde de l’art et le partage du sensible
  • La pensée critique dans l’islam contemporain
  • La langue et les intraduisibles
  • Pratiques religieuses et lieux saints partagés

article de Thierry Fabre (septembre 2018)