« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Ferons-nous le pas décisif vers la fraternité et l’égalité véritables ?

22, Jan 2016 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Articles personnels     No Comments

Quelques réflexions en ce début d’année 2016, pleine d’inquiétudes pour tous, musulmans et non-musulmans.

C’est maintenant presque chaque jour que nous entendons parler d’un attentat quelque part dans le monde. Les victimes ne sont pas seulement les victimes directes, les morts, les blessés et traumatisés (souvent à vie), mais aussi les peuples qui en subissent les conséquences dramatiques d’un point de vue économique et social ou culturel.

Il nous faut cependant continuer à « espérer contre toute espérance » l’arrivée progressive d’une mentalité tout à fait nouvelle où l’on cessera de penser en termes de stigmatisation et de compétition contre les autres, de sentiments de supériorité, de recherche de boucs émissaires, de sécurité « nationale », de nos « intérêts nationaux » (économiques, notamment les ventes d’armes), etc. Aussi longtemps que nous réfléchirons en de tels termes, il y a peu d’espoir de paix véritable.

La situation dramatique vécue aujourd’hui par des millions d’hommes, de femmes, d’enfants dans le monde (et des milliers chez nous) devrait nous interpeller tous profondément : ne sont-ils pas tous nos frères et nos sœurs, quelle que soit leur religion, leur origine, leur race, leur statut social ?

Une courte vidéo du pape François le dit très bien et je vous invite à prendre une minute pour l’écouter : https://www.youtube.com/v/uVNJvANki2U?rel=0%22%20frameborder=%220%22

Tous ces croyants de religions différentes ont ce point commun : elles croient en l’Amour, et je suppose que pour ces quatre personnes, cela signifie qu’elles croient en la fraternité universelle.

« Universelle », c’est là le point délicat, celui que tous ne partagent pas, loin de là. J’ajouterais que si on croit vraiment en l’amour universel, on doit logiquement croire aussi en l’égale dignité de tous les êtres humains, comme créatures de Dieu.

Néanmoins, ne doit-on pas, en ce XXIème siècle si lourd de menaces, d’injustices et de violences de toutes sortes, faire un pas de plus vers une mentalité complètement nouvelle ? Ce pas consisterait, j’en suis intimement convaincu, à renoncer à tout sentiment de supériorité collective.

Comment, en effet, pouvons-nous pratiquer sincèrement et profondément cette fraternité et cette égalité foncière entre nous, si nous continuons à penser que notre religion (juive, chrétienne, musulmane, bouddhiste, etc) ou notre conviction philosophique (agnostique ou athée ou je ne sais quoi d’autre) est supérieure aux autres ?

Je touche là un point très délicat, car l’humanité a toujours fonctionné de cette manière : « notre religion (ou notre culture ou notre civilisation) est supérieure aux autres ». Malheureusement, si l’on part de cette idée, il me semble beaucoup plus difficile de s’ouvrir pleinement aux autres, surtout au niveau collectif, nos rapports intercommunautaires restent inévitablement paternalistes, et aucun rapport paternaliste ne peut mener à la vraie fraternité. Ainsi, nous restons toujours sur la défensive, méfiants, jugeant ou même attaquant. Et cela mène aux divisions, aux polémiques sans fin, aux replis sur notre communauté, aux attitudes dédaigneuses, arrogantes, agressives à l’égard des autres communautés, voire finalement à la haine. Et la guerre et la violence sera vite là, avec, bien sûr, les meilleurs arguments de part et d’autre pour justifier ces violences. L’argument-massue sera que nous sommes le peuple élu par Dieu pour apporter au monde la Vérité suprême. Ou bien, nous dirons que nous sommes plus civilisés que les autres, et nous nous vanterons de notre « démocratie », de nos « droits de l’homme » etc., que nous estimerons avoir le droit ou le devoir même de l’établir dans d’autres pays (exemples de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye).

J’ajoute que le même réflexe existe chez les non-croyants, on l’a bien vu avec l’idéologie nazie du « surhomme » ou avec le marxisme-léninisme, ainsi qu’avec tous les nationalismes. De même, un certain nombre de non-croyants – mais pas tous heureusement – ont un sentiment de supériorité sur les croyants, un certain mépris pour la foi en Dieu.

Dans tous les cas, religieux ou antireligieux, c’est tellement plus rassurant et confortable de se dire qu’on fait partie de la meilleure ou de la plus intelligente des communautés, qu’on possède la vérité suprême, la civilisation supérieure. Et c’est là le grand problème !

Le philosophe musulman Abdennour Bidar dit cela très bien dans un petit livre que je recommande à tout le monde : « Plaidoyer pour la fraternité » (Albin Michel, 2015, 107p., 6,75€).

J’ai bien conscience que c’est un pas énorme que l’humanité devrait faire et qu’elle mettra encore beaucoup de temps à s’y résoudre. Car, c’est depuis notre enfance qu’on nous convainc de la supériorité de notre peuple, de notre religion, de notre philosophie, de notre civilisation. Remettre en question cette conviction intime reçue dans notre enfance et partagée par notre milieu familial ou culturel, c’est tout sauf évident, et nous sommes souvent non conscients de nos attitudes de supériorité. (*) Et pourtant, il me semble que de plus en plus de gens s’acheminent vers ce dépassement, vers cette libération des limites culturelles et religieuses dans lesquelles les autorités religieuses, morales, politiques maintiennent les peuples pour conserver leur pouvoir ou leur autorité.

Il me semble donc que chaque religion, chaque civilisation, si elle veut vraiment apporter la paix dans le monde, devrait avoir le courage de renoncer à la prétention d’être supérieure aux autres. Cette prétention (« Hors de l’Eglise, pas de salut ») a servi de justification aux croisades, à l’Inquisition, aux bûchers, aux conversions forcées avec l’appui des armes en Amérique latine ou en Afrique, etc. L’Eglise était considérée comme la détentrice suprême de la Vérité absolue.

Mon vœu pour 2016, sera donc que tous les drames humains qui auront lieu malheureusement durant cette année nous interpellent à chaque fois et nous amènent à nous interroger sur nos sentiments, soit d’indifférence (« ce n’est pas notre problème ») soit de supériorité collective.

Philippe DE BRIEY, 52, Rue Haute, B-1348 Louvain-la-Neuve, Tél. 010.45.08.48,

(*) Un exemple de ce sentiment inconscient de supériorité collective, à mon humble avis, est notre attitude collective à l’égard du foulard islamique. Bien sûr, nous dirons, pour nous justifier, que ce foulard symbolise la soumission inacceptable de la femme à l’homme, ou la revendication islamiste anti-occidentale, etc. Je partage, quant à moi, l’opinion du théologien Tareq Oubrou. Pour lui, le foulard ne devrait pas être vu comme une véritable obligation coranique, mais il écrit en même temps dans son livre « Profession Imam » (Albin Michel, 2009) :

« Cela étant, je crois fermement que chacun est libre de s’habiller comme il le veut et de choisir la lecture de l’islam qui lui convient. Car je tiens théologiquement et dogmatiquement à la valeur de la liberté, même si je ne partage pas telle ou telle lecture de l’islam. Ainsi, je pense qu’exclure une fille de l’école, une femme de son travail, et donc de la société, à cause de ses choix vestimentaires personnels est contraire à la liberté : c’est une censure morale et une immixtion dans la vie intime des gens, bref, un comportement indigne d’une grande civilisation. (…) (p.81) ».

Il ajoute d’ailleurs que l’interdiction du foulard a été une grande erreur pédagogique de la France [souvent suivie par notre pays], car elle a au contraire encouragé à le porter.

Cela a été ressenti comme une atteinte inacceptable à l’identité musulmane et a donc causé beaucoup de ressentiment et de blessures. Nous en subissons indirectement les conséquences aujourd’hui, car cette intolérance a favorisé l’islamisme qui a eu beau jeu de dénoncer la contradiction entre nos déclarations de liberté et de tolérance et nos actes qui pratiquaient le contraire.

N.B. il s’agit bien ici du foulard ordinaire. Le cas du Niqab ou de la Burka, qui ne permet plus de voir le visage est tout à fait autre chose. Et même des pays musulmans commencent à l’interdire, au moins pour raisons de sécurité.