1/ Quels sont les faits ?
L’imam algérien de la Grande Mosquée de Toulouse Mohamed Tataï est au cœur d’une vive polémique depuis qu’a été relayée, fin juin, une vidéo d’un prêche de décembre 2017 dans lequel il cite un hadith évoquant la « bataille ultime et décisive » entre juifs et musulmans.
Une enquête visant « des faits susceptibles de constituer une incitation à la haine » a été ouverte, consécutive à la plainte de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme).
Après avoir reçu la traduction certifiée du prêche, le parquet a indiqué mardi 17 juillet qu’il rentrait « maintenant dans une phase d’analyses » et qu’il ne rendrait « pas de décision avant la première quinzaine d’août ». Jeudi 19 juillet, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb a toutefois déjà semblé trancher l’affaire en répondant, lors des questions au gouvernement du Sénat, qu’il avait « condamné avec la plus grande fermeté des propos qui incitent effectivement à la haine ».
2/ Qu’est-ce qu’un « hadith » ?
« Un hadith est une parole, un fait, un geste ou parfois un silence prêté au prophète Mohammed, explique Hicham Abdel Gawad, doctorant en sciences des religions à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve et ancien professeur de religion islamique (1). C’est une littérature secondaire par rapport au Coran dans la tradition musulmane, et qui a pris son essor à partir du IXe siècle. » Regroupés au sein de la Sunna (la tradition prophétique), les hadiths ont permis de régler de nombreux conflits entre juristes musulmans, sur des points non réglés par le Coran, parfois même en contradiction avec lui.
Avec la montée en puissance de l’islam wahhabite et plus largement du salafisme, cette source qui était secondaire a pris de plus en plus d’importance : un certain nombre de musulmans essaient de calquer leurs comportements sur ces avis, reconnaît Hicham Abdel Gawad, qui lui-même a été très friand de cette littérature dans sa jeunesse. « Contrairement au Coran, qui est très peu situé, les hadiths sont des récits très vivants, plein de détails qui rendent la parole ou le geste de Mohammed concrets. »
« En citant ce hadith sur les juifs, l’imam de Toulouse n’a hélas rien dit d’inhabituel »
3/ Quel est le problème ?
Le 12 juillet, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur a condamné les propos de l’imam, tout en affirmant qu’ils sont «relatifs à un hadith rapporté par un auteur traditionniste (Abou Hourayra) lui-même rejeté par la dynastie musulmane des Omeyyades » et «qui n’avait pas lieu d’être exhumé de son oubli ».
Dalil Boubakeur condamne plus fermement l’imam toulousain au prêche controversé
Une affirmation que conteste Hicham Abdel Gawad. «Ce hadith figure en plusieurs versions dans des ouvrages majeurs du sunnisme, assure-t-il. Cet imam n’a rien dit d’inhabituel par rapport au discours majoritaire véhiculé depuis trente ans dans les mosquées. Ce qui me choque, c’est l’hypocrisie de ceux qui le défendent : ils ne peuvent pas feindre d’ignorer que ces textes sont archiconnus et que les fidèles font le lien avec les violences entre Israéliens et Palestiniens.» Selon lui, seuls les musulmans qui adoptent la démarche historico-critique relativisent l’autorité de cet auteur médiéval : «J’aimerais que davantage d’imams étudient l’histoire de cette époque et soient en mesure d’affirmer qu’il n’est plus possible, aujourd’hui, de lui faire toute confiance.»
En attendant, seule la crainte de poursuites judiciaires semble inciter les imams à la prudence quant au maniement de ces récits traditionnels, comme des invocations fréquentes – en introduction ou en conclusion du prêche – pour la «protection des combattants de l’islam» et la « destruction de ses ennemis ». «Moi qui circule beaucoup dans les mosquées en France, j’observe une grande évolution. Les sermons sont de plus en plus souvent prononcés en français, et ce type de formule a tendance à disparaître, assure Ismaïl Mounir, imam et fondateur de l’Institut Amine. Les imams savent qu’ils sont écoutés (par les renseignements territoriaux, NDLR) et, à moins d’être bêtes, ils font attention.»
Anne-Bénédicte Hoffner
(1) Il est l’auteur de « Les questions que se posent les jeunes sur l’islam », Itinéraire d’un prof, éd. La Boîte à Pandore, 2016