« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
10, Oct 2020 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Droits humains,Migrants,Spiritualité No Comments
L’encyclique de la fraternité universelle ne pouvait évidemment pas manquer de traiter la question des migrations. Tout en « comprenant que certaines personnes éprouvent de la peur », le pape déplore que se diffuse, en Europe notamment et même chez des chrétiens, « une mentalité xénophobe et de repli sur soi », la « perte du sens de la responsabilité fraternelle », « au point de nous rendre intolérants, fermés, et peut-être même – sans nous en rendre compte – racistes ». Voici ce passage qui se trouve dans le premier chapitre « Les ombres d’un monde fermé ».
Sans dignité humaine aux frontières
37. Aussi bien dans les milieux de certains régimes politiques populistes que sur la base d’approches économiques libérales, on soutient que l’arrivée des migrants doit être évitée à tout prix. Dans le même temps, on affirme que l’aide aux pays pauvres devrait être limitée, pour qu’ils touchent le fond et décident de prendre des mesures d’austérité. On ne se rend pas compte qu’au-delà de ces déclarations abstraites difficiles à étayer, de nombreuses vies sont détruites. Beaucoup de personnes échappent à la guerre, aux persécutions, aux catastrophes naturelles. D’autres, à juste titre, « sont en quête d’opportunités pour [elles] et pour leur famille. [Elles] rêvent d’un avenir meilleur et désirent créer les conditions de sa réalisation ».[36]
38. Malheureusement, d’autres « sont [attirées] par la culture occidentale, nourrissant parfois des attentes irréalistes qui les exposent à de lourdes déceptions. Des trafiquants sans scrupules, souvent liés aux cartels de la drogue et des armes, exploitent la faiblesse des migrants qui, au long de leur parcours, se heurtent trop souvent à la violence, à la traite des êtres humains, aux abus psychologiques et même physiques, et à des souffrances indicibles ».[37] Ceux qui émigrent « vivent une séparation avec leur environnement d’origine et connaissent souvent un déracinement culturel et religieux. La fracture concerne aussi les communautés locales, qui perdent leurs éléments les plus vigoureux et entreprenants, et les familles, en particulier quand un parent migre, ou les deux, laissant leurs enfants dans leur pays d’origine ».[38] Par conséquent, il faut aussi « réaffirmer le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre ».[39]
39. Et pour comble, « dans certains pays d’arrivée, les phénomènes migratoires suscitent des alarmes et des peurs, souvent fomentées et exploitées à des fins politiques. Une mentalité xénophobe de fermeture et de repli sur soi se diffuse alors ».[40] Les migrants ne sont pas jugés assez dignes pour participer à la vie sociale comme toute autre personne et l’on oublie qu’ils ont la même dignité intrinsèque que quiconque. C’est pourquoi ils doivent être « protagonistes de leur propre relèvement ».[41] On ne dira jamais qu’ils ne sont pas des êtres humains, mais dans la pratique, par les décisions et la manière de les traiter, on montre qu’ils sont considérés comme des personnes ayant moins de valeur, moins d’importance, dotées de moins d’humanité. Il est inacceptable que les chrétiens partagent cette mentalité et ces attitudes, faisant parfois prévaloir certaines préférences politiques sur les convictions profondes de leur foi : la dignité inaliénable de chaque personne humaine indépendamment de son origine, de sa couleur ou de sa religion, et la loi suprême de l’amour fraternel.
40. « Les migrations constitueront un élément fondamental de l’avenir du monde ».[42] Mais, de nos jours, elles doivent compter avec la « perte du ‘‘sens de la responsabilité fraternelle’’, sur lequel est basé toute société civile ».[43] L’Europe, par exemple, risque fort d’emprunter ce chemin. Cependant, « aidée par son grand patrimoine culturel et religieux, [elle] a les instruments pour défendre la centralité de la personne humaine et pour trouver le juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants ».[44]
41. Je comprends que, face aux migrants, certaines personnes aient des doutes et éprouvent de la peur. Je considère que cela fait partie de l’instinct naturel de légitime défense. Mais il est également vrai qu’une personne et un peuple ne sont féconds que s’ils savent de manière créative s’ouvrir aux autres. J’invite à dépasser ces réactions primaires, car « le problème, c’est quand [les doutes et les craintes] conditionnent notre façon de penser et d’agir au point de nous rendre intolérants, fermés, et peut-être même – sans nous en rendre compte – racistes. Ainsi, la peur nous prive du désir et de la capacité de rencontrer l’autre ».
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