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Gaza : témoignages éclairants de militants de la paix

12, Oct 2023 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in guerre ou paix,International,terrorisme     No Comments

Attaque du Hamas : La colère des militants pour la paix entre Israël et Palestine

[Témoignages] Ils travaillent sans relâche depuis des années pour tenter d’instaurer la paix entre Israël et les territoires palestiniens. Trois militants israéliens et palestiniens partagent leurs sentiments, entre peur et rancœur.

Interview Arnaud Aubry et Charlotte Gambert

Publié le 10/10/2023 à 12h06, extraits du site de La Vie.fr/ Article complet sur : https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/attaque-du-hamas-la-colere-des-militants-pour-la-paix-entre-israel-et-palestine-90802.php

Depuis des décennies, ils écrivent, organisent, négocient et, souvent, prient pour la paix. Ils sont Israéliens ou Palestiniens. Après l’attaque du Hamas contre Israël, La Vie a demandé à ces artisans de la paix s’ils croyaient toujours à la résolution de ce conflit qui dure depuis 1948. Dans leur bouche, l’empathie envers la rage gazaouie se confronte au traumatisme de ce qu’ils sont en train de vivre. Ils témoignent.

« Comment parler de paix après une chose pareille ? »

Habitant à Sdérot, (ville israélienne à 3 km de la bande de Gaza) Nomika Zion est membre de l’association Une autre voix, qui milite pour la fin du blocus.

« Nous n’avions jamais vécu quelque chose de la sorte, à cette échelle. Parmi les personnes tuées, blessées, et enlevées, il y a de très nombreux militants de la paix. C’est une horreur. Comment parler de paix après une chose pareille ? Pour moi, le temps de l’analyse n’est pas encore venu. Je suis encore en “mode survie”. Samedi matin, les bombes sont tombées sans discontinuer pendant de longues minutes. Nous nous sommes cachés dans notre abri. Puis nous avons commencé à recevoir des photos, des vidéos de combattants du Hamas, dans les rues de Sdérot. Nous n’arrivions pas à y croire. Ces combattants, dans les rues de ma ville, assassinant des gens. Nous sommes restés cachés pendant 24 heures. C’était un cauchemar.

(…) À présent, j’ai tellement peur qu’Israël envahisse Gaza. C’est un piège. Le Hamas pourrait kidnapper des soldats dans les rues de Gaza, les pertes vont être énormes du côté des Gazaouis… Tout ça pour quel résultat ? Seules la discussion et les solutions non violentes pourront changer les choses. Je ne crois qu’en l’option d’un accord politique.

Et puis je n’oublie pas ces quatre Gazaouis qui devaient travailler dans mon jardin samedi après-midi (près de 20 000 d’entre eux travaillent en Israël, ndlr). Ils avaient décidé de rester à Sdérot pour le week-end. Maintenant, ils sont bloqués ici. J’ai peur qu’ils soient attaqués s’ils sortent dans la rue. Ils n’ont pas de nourriture, pas de moyen de transport. Je vais faire mon possible pour leur trouver à manger, et que quelqu’un les conduise en sécurité jusqu’à une ville bédouine dans le désert. » Interview A.A.

« Il y a une rage immense »

Anthropologue israélo-américain, Jeff Halper est le cofondateur du Comité israélien contre la démolition de maisons, une pratique récurrente de l’armée israélienne en Cisjordanie. Il est un activiste juif non-violent, partisan du boycottage d’Israël.

« Ce qui s’est passé ce week-end change tout de fond en comble. C’est le début de quelque chose de nouveau. Mais quoi ? C’est encore un peu tôt pour le dire. Pour les combattants de la paix comme moi, tout pourrait devenir encore plus dur, à cause de la polarisation des idées. Ou alors il pourrait devenir évident pour tous que la situation palestinienne est insoutenable, qu’elle ne peut pas être enterrée, marginalisée, comme le pensaient de nombreux États arabes qui ont ou étaient en train de normaliser leurs relations avec Israël.

Une chose en tout cas ne change pas : il faut mettre fin à ce régime d’occupation, de colonisation et d’apartheid que subissent les Palestiniens. Cela passe à mon sens par la création d’un seul État pour ces deux peuples. La solution à deux États était caduque à partir du moment où les colonies ont essaimé dans toute la Cisjordanie.

(…) Le récit d’une “attaque non provoquée” comme le racontent de nombreux médias et le gouvernement est ridicule. Car l’histoire ne commence pas samedi matin avec une invasion de parapentes mais il y a 75 ans. Le peuple de Gaza vit enfermé dans cette gigantesque prison à ciel ouvert depuis des générations… Il y a une rage immense. Il n’y a aucune excuse pour ce qu’il s’est passé, tous ces jeunes tués au festival, tous ces morts… Mais il ne faut pas oublier d’où vient cette rage. C’est compliqué de parler de ce qu’il s’est passé en restant dans la nuance.

Samedi, le Hamas a tué des centaines d’Israéliens. On parle de terrorisme pour les actions du Hamas, mais peut-on parler de terrorisme étatique de la part d’Israël ? En tout cas, il ne faut pas oublier une chose : nous n’avons fait que la moitié du chemin. Une deuxième guerre commence. Sauf que, cette fois, c’est Gaza qui paiera le prix. Le Hamas a pris 130 otages. Mais là, Israël, en coupant l’accès à l’électricité, à l’eau, au carburant, à la nourriture, en prend 2 millions. » Interview A.A.

« Si vous voulez comprendre comment créer un monstre, rendez-vous à Gaza »

Chrétien palestinien, Jacques Neno a fondé en 2005 une ONG pour apporter un soutien psychologique aux enfants palestiniens. Revenu en France en 2021, il lance Solivr, une coopérative vendant des produits de Palestine.

« (…) La communauté internationale porte une lourde responsabilité : voici 30 ans qu’elle fait miroiter aux Palestiniens un partage du territoire et échoue à contraindre Israël à appliquer le droit international. Et 80 % des Palestiniens de Gaza sont des réfugiés expulsés de leurs villages. À Gaza, les habitants n’ont aucune liberté de mouvement. Depuis 1995, les Palestiniens ne peuvent pas aller prier à Jérusalem tandis que les colons se promènent chez eux en toute impunité.

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J’ai quitté la Palestine il y a deux ans à cause des brimades quotidiennes que nous subissions : les heures d’attente aux checkpoints, les fouilles, les incursions de l’armée dans nos maisons… Je n’ai pas voulu que mes enfants grandissent dans cette violence. J’ai alors cessé de travailler pour « Enfants, jeux, éducation », l’ONG que j’ai fondée en 2005. Dans les centres que j’ai créés au sein de 15 camps de réfugiés en Cisjordanie et à Gaza, ceux que j’ai accompagnés ont eu pour certains leur père tué, une mère en prison, un frère ou une sœur mutilés… Certains de ces enfants sont devenus des combattants, d’autres ont choisi d’être artistes.

“Si tu veux la paix, travaille pour la justice”, disait Paul VI. Cette paix nécessite un partenaire en face… Le degré de violence auquel on arrive est révoltant. Si vous voulez comprendre comment créer un monstre, rendez-vous à Gaza : cela dure depuis 2006, et avant il y avait l’occupation ; encore avant, le nettoyage ethnique. Les êtres humains n’acceptent pas d’être écrasés comme des mouches. Plus l’injustice est forte, plus la réponse risque d’être violente. La date choisie (le 7 octobre, ndlr) n’est pas le fruit du hasard : le chiffre 7 en arabe s’écrit avec le V, initiale de victoire. » Interview C.G.

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