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Guerre en Ukraine, huitième jour. Urgence du réveil des sociétés civiles

04, Mar 2022 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Dialogue,Droits humains,guerre ou paix,International,Uncategorized     No Comments

Felice Dassetto, 3  mars 2022, extrait

L’urgence des sociétés civiles actives : européenne et russe.

(…) La société civile ordinaire russe par son vote massif en faveur de Poutine et son système a fondé la légitimité de ce régime violent, criminel agressif, antidémocratique. Les raisons sont certainement multiples, à commencer de l’illusion du mirage de la restauration du glorieux passé de cette immense pays enrobé d’une juste revendication d’identité mal ou peu reconnue et permettant une surenchère identitaire. Ou bien ce sont des intérêts particuliers acquis dans ce régime qui prend le visage de l’hyper-libéralisme. Ou bien c’est la crainte structurelle héritée du passé autocratique et du régime communiste ou bien une résignation face à ce que l’on considère comme une situation de fait inéluctable. C’est à l’égard de ces populations que la société civile active européenne peut agir en parallèle à l’action concrète d’aide financière, matérielle, humaine à la population ukrainienne meurtrie et en lutte.

L’exemple vient aussi d’Ukraine. En février le président Zelenski, juif, a lancé un message aux « Juifs du monde » et aux juifs russes à « ne pas rester en silence devant ce qui se passe en Ukraine ». Il y a quelques jours, le rabbin en chef ukrainien, Azman, a lancé un message percutant, rouleau de la Torah dans les bras, aux juifs de Russie en leur disant et en leur criant emporté par la colère : « Réveillez-vous ». J’ai écouté ce message impressionnant à la télévision italienne. Il me semble que les médias francophones n’en ont pas parlé. Je ne sais pas pourquoi. On peut ne pas être d’accord avec tout ce qui est dit. Mais la démarche que je voudrais souligner est là.

Les sociétés civiles européennes devraient trouver sans tarder la manière d’envoyer à la société civile russe, dans sa langue, des argumentaires, des explications dans la plus grande objectivité possible, sans accusations contre la Russie en général, sans défense de l’Europe en général. Ceci avec tous les moyens que donnent les réseaux sociaux. Non pas pour manipuler, mais pour informer, pour argumenter, pour essayer de convaincre, pour débattre.

Pour interpeller aussi à « se réveiller », à sortir de la torpeur et pour poser la question en termes moraux, ce qui semble être éjecté des argumentaires contemporains sous l’influence des arguments militaires et des stratèges politiques. Car le consensus plus ou moins tacite non seulement bâtit la légitimité de Poutine et de son clan, mais met à mal l’action persévérante et courageuse de la minorité active russe qui risque l’emprisonnement, la torture ou même sa peau pour la seule raison de manifester, les mains nues, son opposition au régime. Car ce même régime qui mène des guerres qui ne sont même plus des guerres menées par des armées légitimes et suivant des lois de la guerre, mais utilisé l’action de mercenaires et vise des destructions totales. Car le « problème Poutine et son idéologies » ne sont plus uniquement des affaires internes russes mais si ce régime de violence armée cynique et systémique reste au pouvoir c’est un véritable poison et un virus qui gangrène les sociétés du monde.

Il est urgent que à côté des actions armées et humanitaires, les sociétés civiles européennes se mobilisent dans des actions d’argumentation adressées directement à ces populations par tous les moyens possibles là où on est, là où on a un contact avec un pan ou l’autre de la société russe : des citoyens, des travailleurs et travailleuses, des syndicats, des industriels, des entreprises de services, des universitaires ou des académiciens, des intellectuels, des jeunes, des soldats et des gradés de l’armée, des diplomates qui défendent le régimes poutiniens bien que cela devrait quand même leur poser des questions lorsqu’ils se regardent dans le miroir, des chefs religieux à commencer par ceux de l’église orthodoxe chouchoutée par le régime, etc.: que cette société civile russe ordinaire puisse recevoir le plus possible des messages.

Ces interpellations pourraient également s’adresser aux dizaines de milliers de citoyens et citoyennes qui vivent dans des pays européens. Ils ont connu, en immigrant en Europe, d’autres modalités d’exercice du pouvoir qui pourraient exister également dans leur propre pays d’origine et l’attachement à leur pays, à leur culture, à leur langue et civilisation ne justifie pas le soutien à un tel régime qui dégrade par son action de manière fondamentale l’image de ce même pays.

Les écoles fréquentées par les jeunes fils d’immigrés d’origine russe auront aussi un rôle à jouer d’information, d’analyse. Ou, encore mieux, d’organisation d’un échange, de débat (que je suppose bien difficile au stade actuel) entre jeunes Ukrainiens et Russes. C’est un travail énorme. Cela demandera beaucoup d’efforts aux enseignants et enseignants. Ce sont des peuples et des territoires qui, même au-delà de la furie poutinienne, ont des histoires et des mémoires complexes de relations et qui ont connu des histoires réciproques sanglantes. Chaque partie a forgé un argumentaire, des preuves, des émotions pour justifier « ses bonnes raisons ».

Le chemin est encore long dans nos sociétés mondialisées, individualisées et postmodernes pour construire les nouvelles sociétés civiles.

Les sorties de la guerre ?

Poutine semblait penser écraser l’Ukraine par la force de son armada et sortir facilement de la guerre. La réaction ukrainienne, mondiale, et européenne semblent faire échouer ses plans, même si la violence de l’agression continue. Même si comme il semble, l’armada avait des failles, y compris -espérons-le- dans la volonté de guerre des soldats et peut-être des gradés qui, pour l’heure, ne se dissocient pas des ordres reçus et continuent leur action de destruction totale.

Il est impossible, avec le régime poutinien en place, de mettre sur le même pied ce régime et la république d’Ukraine en vue d’une négociation. Et même dans l’hypothèse d’un après, ce ne sera pas simple car tout le monde devra s’interroger sur son action passée et pour certains, sur celle du présent, sur leurs visions respectives et sur la vision et les pratiques dans leurs relations..

.La situation est imbriquée. Les interlocuteurs sont nombreux. Le contentieux lourd et s’est creusé depuis trop longtemps. Les enjeux dépassent maintenant le seul contentieux russo-ukrainien. Les visions d’avenir manquent. Les médiateurs manquent. Depuis le déclenchement de cette aventure guerrière, les deux parties ne pourront aboutir qu’à un prolongement de la guerre.

Au sein de l’ONU, une action médiatrice considérée comme légitime pourrait surgir. C’est probable, mais sans préparation avec une vue longue et surtout sans un support, une volonté, une vision des sociétés civiles respectives, rien n’est possible de manière solide, à long terme.

Il faudra voir avec quelles visions politiques et géopolitiques penser et surtout construire des institutions dans ces régions autrement que par l’héritage des blocs de la Guerre froide, pour les uns comme l’extrême Est de l’Europe et pour les autres comme l’extrême Ouest de la Russie.

Texte complet sur www.dassetto.eu