« Je n’ai jamais vu une telle sauvagerie » (J.C. Guillebaud)

22, Avr 2022 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in guerre ou paix,International     No Comments

Jean-Claude Guillebaud, qui a été reporteur de guerre pendant 26 ans (pour Le Monde, puis Le Nouvel Observateur) témoigne de ses sentiments face à la guerre en Ukraine. Même en ce dimanche 10 avril, au soir du premier tour des élections en France, ses pensées « étaient toujours ramenées aux images abominables que j’avais regardées des heures entières, et qui venaient d’Ukraine ».

Extrait de son article « La tête ailleurs » dans son bloc-notes pour l’hebdomadaire « La Vie » :

Depuis le 24 février, mon espace mental est occupé par les tueries ordonnées par Vladimir Poutine. Après plus d’un mois de cette « conquête » d’un pays frère, devant ces massacres répétés jour après jour, j’ai du mal à fixer mon attention sur autre chose. Même s’il s’agit d’une réalité aussi importante que l’élection d’un Président. Comme tous les anciens reporteurs de guerre, je n’ai jamais été d’une sensiblerie excessive. Maintenant, devant la télé, je dois résister pour empêcher mes yeux de se remplir de larmes. Je vois défiler sur mes écrans les rues de villes d’Ukraine comme Kharkiv, Marioupol, Berdiansk, Soumy, Kherson et d’autres, des rues où gisent des cadavres rougis de sang, des quartiers où des femmes âgées, des enfants et des bébés se terrent dans les caves. Nombre de ces êtres vivants sont exterminés comme des rats.

On me dit que c’est la guerre et qu’elle est toujours répugnante. Oui, je sais pour l’avoir vérifié ! Mais je jure qu’en ces 26 années passées comme reporteur de guerre je n’ai jamais vu une telle sauvagerie, acharnée et répétée comme s’il s’agissait d’un jeu sanglant où l’on fait éclater à coups de canon les crânes et les poitrines. Filmées de près par des journalistes venus de partout, ces images montrent aussi la puissance d’un peuple rassemblé, quand il résiste et résiste encore à plus fort que lui.

Quand les crimes de guerre cesseront en Ukraine, je prendrai le temps qu’il faut pour mieux réfléchir à la marche de notre pacifique démocratie.

Jean-Claude Guillebaud, journaliste, écrivain et essayiste, dans l’hebdo « La Vie » du 14 avril 2022