« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
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22, Mai 2023 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Foi chrétienne,Justice sociale,Spiritualité No Comments
En mai 2013, plus de 12 000 personnes étaient rassemblées à Lourdes pour Diaconia 2013. Ce grand rassemblement durant lequel la parole des plus pauvres a été placée au cœur des échanges devait changer leur place dans l’Église. Bilan, dix ans plus tard.
Par Sophie Lebrun
Publié le 15/05/2023 , Lecture 8 min.
« Laissez-vous évangéliser par les plus pauvres » : c’est l’une des phrases choc qui a porté le rassemblement Diaconia 2013, qui s’est déroulé du 9 au 11 mai, il y a tout juste dix ans. À Lourdes ces jours-là, des personnes de la rue avaient discuté d’égal à égal avec des évêques au cœur de la basilique souterraine du sanctuaire marial, des jeunes migrants avaient raconté leur vie de foi à des responsables de mouvements catholiques nationaux. Les quelque 12 000 participants étaient rentrés chez eux avec l’impression d’avoir fait « l’expérience inédite grandeur nature d’une Église où les plus pauvres sont au premier rang, littéralement, et au sein de laquelle leur parole est considérée », confie le théologien Étienne Grieu, l’une des chevilles ouvrières de l’événement.
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Et depuis ? Ceux qui s’attendaient à un big bangsont aujourd’hui déçus… à raison, soulignent la plupart des artisans de Diaconia 2013 qui ont continué à œuvrer pour que la place et la parole des pauvres soient mieux prises en compte dans l’univers ecclésial. « C’est peut-être à pas de tortue, mais une lame de fond est bien présente », assure Jean-Marie Martin, animateur du réseau Saint-Laurent qui rassemble des groupes de partage biblique avec des personnes en précarité ou du quart-monde. Ils sont d’ailleurs plus de 150 aujourd’hui alors qu’ils étaient 35 il y a dix ans, et les activités de foi à destination des plus pauvres fleurissent sur le territoire français : des retraites spirituelles spécifiques, des pèlerinages en Terre sainte « très demandés », souligne Jean-Marie Martin.
Pour l’un des initiateurs du rassemblement, Gilles Rebêche, fondateur de la première diaconie d’Europe au début des années 1980 dans le Var, « l’Église a un fonctionnement un peu “Diesel”, il ne faut pas être trop pressé, et pourtant, les fruits de Diaconia 2013 sont vraiment nombreux ». Lui est régulièrement appelé dans les diocèses français pour apporter son expertise en vue d’une transformation de l’approche de la solidarité. « Les gens reconnaissent aujourd’hui que les pauvres sont des acteurs ecclésiaux, des sujets de la foi et non des objets de la charité », insiste-t-il. Jean-Claude Caillaux, coordinateur des groupes Pierre d’angle qui rassemblent des personnes du quart-monde et d’autres autour d’échanges bibliques, estime que « la pensée présidant au rassemblement a infusé : se mettre à l’écoute des très pauvres, non par respect, bienveillance ou tolérance, mais pour apprendre d’eux, cela s’est répandu et c’est vraiment nouveau ».
Des conseils diocésains de la solidarité incluant des personnes pauvres, des évêques qui les sollicitent pour leur conseil permanent, des groupes qui se montent dans les paroisses… « On observe, çà et là, une place laissée aux très pauvres, détaille Jean-Claude Caillaux, conjuguée avec le souci de repenser la pastorale à partir d’eux : pas seulement la solidarité mais le baptême, la catéchèse, les obsèques… C’est qu’ils manifestent une foi nue et vive qui manque quand elle n’est pas là, et qui permet une renaissance quand on l’inclut. » Il ajoute que « les pauvres ne sont rien sans d’autres, non issus du quart-monde, qui les rejoignent pour échanger ! Et c’est aussi ce mouvement que l’on note, grandissant, depuis dix ans ».
À Lille, un groupe diocésain Place et Parole des pauvres, à l’image de celui qui a coconstruit Diaconia 2013 les deux années précédant le rassemblement, a été mis sur pied, Frat’éveil. « Ça a transformé les manières de faire », témoigne Daniel Maciel, ancien coordinateur national de Diaconia 2013 et diacre dans les Hauts-de-France.
Les mouvements et associations catholiques, pourtant déjà sensibles à cette question, ont aussi été touchés en plein cœur. Au sein du Secours catholique, très actif dans la préparation et la réalisation de Diaconia 2013, la place des pauvres s’est faite de plus en plus présente avec notamment la nomination d’un vice-président issu de la précarité dans chaque délégation. Mais tous, au sein des bénévoles et salariés, n’avaient pas forcément compris la démarche à l’époque. « Je travaillais à la délégation de l’Essonne, se souvient Victor Brunier aujourd’hui engagé au sein des colocations Lazare. Spirituellement, dans l’équipe d’animation, nous avions des sensibilités très différentes que nous ne partagions pas vraiment. Mais à Diaconia 2013, nous avons vécu un temps spirituel ensemble très fort, autour des personnes en précarité. Au retour, nous avons mis en place des groupes de partage d’Évangile avec elles qui ont continué pendant des années à se réunir. Cela a lancé une nouvelle relation entre personnes accueillies, salariées et bénévoles. »
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La Société Saint-Vincent-de-Paul et la fondation Apprentis d’Auteuil ont inscrit dans leurs orientations nationales la place et la parole de ceux qu’ils reçoivent et accompagnent, ancrant la démarche dans une dynamique sur plusieurs années. « Ce n’est pas un détail annexe dans leur projet, c’est au cœur et ça n’en partira plus », dit en souriant Daniel Maciel, qui a fondé, avec l’ancienne coordinatrice nationale de Diaconia 2013 Élisabeth Drzewiecki, l’association Fraternité et Participation qui propose des formations-actions pour donner une place à la parole des plus pauvres ou des plus fragiles au sein d’une organisation. « On l’a créée parce que nous avions beaucoup de demandes en Église, qui ne se sont pas taries », reconnaît-il.
Au niveau de la Conférence des évêques (CEF), un représentant du réseau Saint-Laurent siège au Conseil national pour la solidarité. « À chaque grand thème ou événement de la vie de l’Église, nous essayons d’intégrer l’expression des plus pauvres, explique Jean-Marie Martin. Nous sommes attentifs à la pédagogie : nous voulons rester dans une réception réelle de cette parole et pour cela, nous travaillons à partir des groupes qui se saisissent d’un sujet, nous enregistrons leurs échanges et les retranscrivons. C’est ce texte “brut”, direct, que nous faisons remonter car c’est très important de ne pas “lisser” les propos. » Sur l’écologie, la confiance dans l’Église, la synodalité : plusieurs rapports ont ainsi été produits et transmis à la CEF.
Cette méthode est aussi celle utilisée par des théologiens qui, depuis dix ans, produisent un travail scientifique autour de cette parole de foi des plus pauvres à l’image d’Étienne Grieu, François Odinet ou encore Frédéric-Marie Le Méhauté. « C’est tout un courant théologique qui s’est développé », explique Marie-Agnès Fontanier qui anime, cette année, un séminaire dialogal entre quatre théologiens et huit personnes du quart-monde au Centre Sèvres à Paris. Les sessions théologiques de Nevers, qui rendent compte des recherches dans ce domaine, se sont quant à elles multipliées.
À Lourdes, un groupe Place et Parole des pauvres est « domicilié » dans le sanctuaire marial depuis quelques années, la Fraternité de la beauté de Job : il en est un partenaire officiel. « Ce sont des personnes en situation de pauvreté rencontrées lors de Diaconia 2013, raconte l’ancienne coordinatrice nationale de l’événement, Élisabeth Drzewiecki, qui fait partie du groupe. Elles ont vraiment reçu un appel vocationnel à évangéliser et le développent depuis dix ans : elles ont appris à s’exprimer en public, écrit des articles, créé une célébration de préparation pénitentielle et des spectacles pour parler de la foi… Aujourd’hui, l’équipe de direction du sanctuaire les associe à la pastorale du seuil pour trouver de nouvelles manières d’accueillir les pèlerins. »
Les évêques, collégialement, ont aussi pris conscience de l’importance de la parole des pauvres en Église avec une acuité plus grande depuis Diaconia 2013 aux yeux de Pascal Delannoy, évêque de Saint-Denis et président du Conseil national de la solidarité : « Beaucoup se souviennent de cette parole, “Personne n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager”. Je crois qu’elle est restée et que, de plus en plus, des personnes en situation de fragilité sont associées à nos différents lieux ecclésiaux. »
C’est surtout en novembre 2021 que cette présence a entraîné une « petite révolution intérieure » pour les évêques, selon des personnes présentes. « Soixante personnes en précarité sont venues une journée lors de l’assemblée plénière à Lourdes pour présenter le travail qu’elles avaient fait sur “la clameur des pauvres”, un extrait de l’encyclique du pape François Laudato Si, se souvient Jean-Marie Martin. Cela a été un moment très fort parce que ces groupes ont témoigné d’une énorme espérance dans l’Église alors qu’en face, les évêques venaient de recevoir le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) et étaient très abattus. On a toujours la crainte que les pauvres nous tirent vers le bas en nous rappelant leurs failles, leurs difficultés mais c’est l’inverse qui résulte d’une vraie rencontre avec eux : ils nous transmettent une espérance qu’ils tiennent de Dieu. »
« Quel signe, ajoute Daniel Maciel, qu’au moment où l’Église souffre, s’appauvrit… cette parole des plus pauvres soit un baume, un don de Dieu. » Laurent de Cherisey, fondateur des maisons partagées Simon de Cyrène, qui accueillent des jeunes valides et des personnes porteuses de handicap, n’est pas surpris de ce qu’il estime être « un des plus beaux fruits de Diaconia 2013 » : « L’appel du plus fragile, du plus pauvre, qui nous dit “J’ai besoin de toi” nous libère de toutes les peurs qui nous habitent, notamment celles de ne pas être capables de faire. » L’auteur de Partager peut tout changer (Salvator, 2023) insiste :« Le cœur de Diaconia 2013, c’était de dire “Par tes actes, montre moi ta foi”. Aujourd’hui, face à ce que vit l’Église de France, ce message m’apparaît prophétique : c’est par nos actes que nous pourrons montrer notre foi, ce n’est qu’ainsi que nous retrouverons une crédibilité. »
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Le diacre Gilles Rebêche se rappelle des débuts de l’initiative Diaconia 2013 : « On se moquait de ce nom au vocabulaire peu connu. Certains auraient voulu que nous organisions quelque chose de plus accessible, pensaient que nous ne serions crédibles qu’avec une sorte de grand show avec des “stars” de la solidarité comme sœur Emmanuelle ou encore Jean Vanier. Nous ne regrettons pas d’avoir tenu bon dans notre vision de garder la parole des plus pauvres au cœur de la rencontre ! »
Les artisans de Diaconia 2013 veulent aussi reconnaître dans des propositions solidaires ayant essaimé cette dernière décennie un ADN Diaconia 2013 : les différentes formes de colocations partagées, comme celles de Lazare, qui font cohabiter des jeunes actifs et des personnes issues de la rue, ou encore les maisons de Simon de Cyrène et l’hébergement solidaire en hiver, qui se développent dans de nombreux diocèses non pour mettre à l’abri seulement mais pour créer des rencontres.
« Diaconia s’était aussi inscrit dans un contexte où la société civile et les pouvoirs publics commençaient à vouloir mettre la parole des plus précaires au cœur de leur dispositif de décision », souligne Daniel Maciel qui a vu cette tendance exploser en 30 ans d’engagement professionnel dans ce domaine. « Partout on prend conscience qu’il faut les inclure au niveau de la réflexion et de l’élaboration des projets pour que ceux-ci réussissent. Et ce chemin amène non pas seulement à parler des problèmes mais à vivre une vraie fraternité pour trouver des solutions. »
Le plus grand défenseur de l’esprit de Diaconia 2013, aux yeux de Gilles Rebêche, c’est le pape François ! Il a été élu quelques semaines avant la rencontre, et les inscriptions avaient bondi à ce moment-là. « Il a enchaîné les textes insistant sur cette “clameur des pauvres”, soulignant que “tout est lié” ! » Le rassemblement Fratello à Rome en 2016 a conduit de nombreux groupes venus à Diaconia trois ans plus tôt à faire le chemin jusqu’à la ville sainte. « Et puis, c’est un joli clin d’œil, qu’il vienne à Marseille, là où la diaconie est bien implantée, pour cet anniversaire ! », ajoute le diacre qui espère bien que certains groupes pourront le rencontrer.
C’est à Lourdes, cet été, que la « famille Diaconia 2013 » célébrera les dix ans de ce rassemblement qui a converti bien au-delà de ceux qui étaient venus. Le festival Célébrons la fraternité est prévu du 6 au 11 août, autour de la fête de saint Laurent. Au programme, des sacrements et des chants, de la joie et du partage : on ne change pas une recette qui marche.
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