« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
16, Juin 2021 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Uncategorized No Comments
(Cet article d’opinion m’a été demandé par le journal Dimanche suite au débat occasionné par un prise de position judiciaire en faveur du foulard)
Nous avons, en Occident depuis le XXe siècle et surtout depuis 1968, vécu une véritable révolution des libertés, notamment vestimentaires pour la femme. Ce qui nous apparaît comme une libération à l’égard de codes moraux du passé apparaît aux yeux d’une partie des musulman.e.s, comme incompatible avec leur foi, voire même avec la pudeur. Il en résulte un véritable choc culturel qui ne concerne pas que la chevelure, mais toute l’apparence corporelle de la femme, de la tête aux pieds… Alors qu’en Occident il y a beaucoup de liberté (« Honni soit qui mal y pense »), dans la tradition musulmane au contraire, la femme doit être soigneusement préservée des regards indiscrets des hommes extérieurs à la famille.
Si le monde musulman est resté plus conservateur dans ce domaine, c’est à cause de la tradition religieuse – ou plus précisément d’une certaine interprétation de celle-ci, promue notamment par les mouvements islamistes qui agitent le voile islamique comme un porte-drapeau de leur conception intégriste et conquérante de l’islam. Ces milieux exercent une pression et insinuent ou déclarent carrément qu’il y aurait une certaine impudeur à ne pas porter le voile. Malheureusement, par cette opposition militante à l’Occident, ils et elles créent un certain malaise à l’égard de l’islam, associé dès lors dans l’imaginaire d’une partie des citoyens comme une religion bloquée sur les apparences et sur un passé patriarcal où la femme était la servante de l’homme et pas du tout son égale en droits concrets. Ceci fait apparaître l’islam comme un corps étranger, suscitant méfiance ou hostilité.
C’est pourquoi une partie des imams et des intellectuels musulmans s’insurgent contre cette manière de voir qu’ils considèrent comme du littéralisme contraire à l’esprit même du Coran et de la tradition qui demandent de tenir compte des circonstances de lieu et de temps et des autres préceptes ou recommandations de la religion sans faire un absolu du port du voile.
Ceci, cependant, ne justifie nullement les discriminations à l’embauche que subissent des musulmanes désirant garder leur foulard dans leur lieu de travail. Quel problème peut-il y avoir, par exemple, à ce qu’une conductrice de tram, bus, métro, train, etc., soit voilée ? De telles exclusions incompatibles avec les Droits humains proviennent souvent de pré-jugés (jugements préalables) globaux qui sont particulièrement traumatisants pour la personne et pour toute sa communauté. Sommes-nous assez conscients de cela ?
Ceci dit, le voile n’est pas souhaitable pour certaines fonctions ou dans certaines circonstances. Par exemple pour une accompagnatrice (en fait contrôleuse) de ces transports en commun, car cela pourrait provoquer certains usagers à des paroles blessantes et surtout à des conflits. De même dans le cas des juges ou des policières. Dans de telles fonctions, il importe que la personne qui a autorité sur d’autres personnes soit absolument neutre, non seulement dans ses intentions et ses décisions, mais aussi dans son apparence, sous peine d’éveiller des soupçons de partialité.
Cette question du foulard cristallise en fait le conflit latent entre les deux cultures. Il ne se résoudra que si, de chaque côté, on s’efforce de se mettre à la place des autres. Ce qui est ici mis à l’épreuve, c’est notre capacité mutuelle d’accepter nos différences. La foi chrétienne nous invite à convertir nos regards : à voir dans chaque être humain un frère ou une sœur et à dépasser par conséquent nos réactions de méfiance, de mépris ou d’hostilité. Tout en évitant aussi la naïveté, car nous sommes ici en présence de deux radicalismes qui se combattent et s’alimentent mutuellement : l’islamisme qui veut se servir de la religion pour ses objectifs politiques et un laïcisme d’exclusion qui veut évincer le fait religieux du fait social.
Les chrétiens se doivent de suivre les paroles de Jésus : « Comportez-vous avec les autres comme vous désirez qu’ils se comportent avec vous » (Luc, 6, 31). C’est en mettant en pratique cette « règle d’or » promue par toutes les religions qu’ils peuvent être un pont entre les deux cultures et contribuer à un vivre ensemble fraternel.
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