« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

« Les inégalités géopolitiques sont à l’origine du changement climatique » (Amitav Ghosh)

26, Nov 2023 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Environnement,guerre ou paix,Transition     No Comments

Alors que les conflits font rage, la catastrophe écologique laisse toujours les politiques indifférents. L’auteur indien qui avait tout prévu relance un appel en faveur de la planète(…), né en Inde et vivant à New York, il est inquiet : « Nous sommes en pleine Troisième Guerre mondiale. » (…) Il publie aujourd’hui une nouvelle fable écologique. La montagne vivante (non encore traduit en français)

(texte paru dans Le Soir du 24-25 11-2023, raccourci et souligné par nos soins) (1,5 p)

Vous avez écrit « Le Grand Dérangement » en 2017, mais peu de choses ont changé depuis : pourquoi est-il si difficile de faire face à l’urgence climatique ?

Je pense que les gens sont de plus en plus conscients qu’il y a un problème. Mais la classe politique va complètement dans la direction opposée. Ce à quoi nous prêtons attention, c’est aux effets secondaires, c’est-à-dire les guerres qui font actuellement rage sur l’ensemble de la planète, avec des effets dévastateurs.

Vous voulez dire que le changement climatique est en quelque sorte responsable de ces conflits ?

Oui, d’une manière compliquée, car ce n’est évidemment pas le changement climatique qui déclenche les hostilités, mais les combustibles fossiles font partie des scénarios de guerre. (…) De même, le Moyen-Orient est depuis longtemps impliqué dans toutes sortes de conflits liés aux combustibles fossiles. Dans La malédiction de la muscade, j’ai écrit que le monde se préparait au changement climatique en s’armant pour de nouveaux conflits. Et je pense que la situation ne fera qu’empirer : ce que nous vivons actuellement résulte de l’intersection de multiples crises.

Lesquelles ?

Il y a la perte de biodiversité, une crise migratoire de masse à travers l’ensemble de la planète, les pandémies – et je suis sûr que nous en connaîtrons d’autres –, et une crise géopolitique massive se profile à l’horizon. Des pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis sont complètement polarisés. Il fut un temps où tous les peuples vivaient de manière plus ou moins durable. Ce n’est qu’au cours des cinq cents dernières années que le colonialisme et le capitalisme ont créé la trajectoire sur laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, une trajectoire qui condamne littéralement notre existence sur cette planète.

Devons-nous nous préparer à un avenir sombre ?

Je ne suis pas catastrophiste, mais je pense que nous devons admettre que les choses vont très mal. La calotte glaciaire de l’Antarctique s’effondre, le courant de retournement de l’Atlantique semble ralentir, une catastrophe d’une ampleur que nous ne pouvons même pas imaginer. Dans l’Himalaya, les glaciers fondent à une vitesse incroyable. Il en va de même pour les Alpes. Et en même temps, le monde est submergé par tant de crises qu’il est vraiment difficile de reprendre son souffle. On passe d’une guerre à une autre.

Les guerres nous empêchent-elles de prendre soin de la planète et d’agir dans son intérêt ?

Face aux images de personnes qui meurent, d’enfants qui meurent, il est très difficile de dire aux gens qu’ils devraient penser à leur empreinte carbone. Pourtant, les inégalités de pouvoir et les inégalités géopolitiques sont à l’origine du changement climatique ainsi que des guerres qui se jouent tout autour de nous.

Vous dites souvent que la production d’armes incite à la guerre.

En 2015, lors de la Conférence de Paris, les pays riches ont promis de mettre en place un fonds mondial d’atténuation, d’un montant de 200 milliards de dollars, afin de dédommager les pays pauvres et de les aider à se préparer au changement climatique. Je pense que seul un dixième de cette somme a été effectivement versé. Entre-temps, les pays du monde entier ont augmenté leurs dépenses de défense de mille milliards de dollars. Lorsque les industries de l’armement et leurs lobbyistes sont si puissants, il y a une sorte de poussée institutionnelle vers le conflit. Et en même temps, lorsque vous rassemblez une flotte de centaines de navires de guerre ultra-puissants, comment faire pour que les choses ne tournent pas mal ?

(…)

Et que peuvent faire les citoyens face à des scénarios aussi complexes ?

En tant que communauté, je pense que nous devons essayer d’exercer notre influence politique et d’unir nos forces pour convaincre les politiques de prêter attention au changement climatique. Ils doivent comprendre que ces questions nous concernent et qu’elles guideront notre vote.

Cet article sur Amitav Ghosh, écrit par La Repubblica, a été publié grâce aux échanges d’articles au sein de la Leading European Newspaper Alliance (LéNA), l’alliance entre journaux européens de qualité dont Le Soir est membre fondateur.

  •