« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
25, Août 2016 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in International Réfugiés, Syrie No Comments
NDR : Heureusement qu’il y a tant de personnes qui se dévouent pour ces enfants, mais il en faudrait davantage, et donc plus de subsides de la part des pays riches. Les dirigeants des nations en conflit devraient être jugés pour non-assistance à personnes en danger et je comprends l’indignation du pape François face à ce qu’il appelle « l’indifférence » des Etats impliqués. Comme les marchands et fabricants d’armes, ils ne voient que leurs intérêts. Si au moins les chefs des religions pouvaient se réunir pour réclamer plus fortement qu’on mette fin à cette guerre !
ABONNÉS Reportage de Maria Udrescu Envoyée spéciale au Liban Publié le mercredi 24 août 2016 à 08h36 –
N.B. Le titre de l’article est « Reportage au Liban: « L’éducation, c’est cent fois mieux que l’ignorance »
Une petite fille coiffée d’un pompon rose se tient debout devant une trentaine d’enfants pour exposer son dessin. « Là, il y a mon ancienne maison. Et là, un peu partout, c’est ma famille qui est dispersée. Et là, c’est moi, Ranime. Ranime est malheureuse », explique-t-elle, les yeux baissés. Certains de ses camarades sourient, quelques-uns tournent la tête, d’autres jouent sans même prêter attention à ses mots. C’est que ce sentiment est bien trop connu par ces petits Syriens ayant fui leur maison pour trouver refuge au Liban. (…)
Des enfants trop habitués à la violence
L’un le pousse en rigolant, un autre enfant s’en mêle, un troisième se prend une claque. Les sourcils se froncent, les coups deviennent plus forts. D’un coup, la tension monte entre ces garçons d’une dizaine d’années, avant que Lila Zaarour, psychologue du centre communautaire de Caritas situé dans la ville de Taalabaya, n’intervienne. « Il y a beaucoup de violence dans ce groupe parce que les mères frappent ces enfants. On essaye de parler aux femmes des conséquences de cette agressivité. Mais pendant qu’elles acquiescent, elles attrapent leurs enfants par le col et les frappent pour les calmer. C’est difficile de faire sortir cela de la culture », observe la psychologue.
D’autant que beaucoup de femmes sont seules à élever leurs quatre, cinq, six voire même dix gamins. « Mon mari est mort au début de la guerre dans les bombardements qui ont touché Daraya, un quartier de Damas », raconte Ghossoun, assise dans la cour du bâtiment, pendant que son fils, l’aîné de ses cinq enfants, assiste à la séance d’accompagnement psychologique. « Mon époux est sourd parce qu’une bombe est tombée juste à côté de lui et il ne pourra plus jamais travailler », lance à son tour Risaan qui, à 29 ans, a déjà quatre garçons. « Le mien a été menacé de mort parce qu’il ne voulait pas rejoindre l’armée de Bachar Al Assad », dit Azhar pendant que Mostafa, un petit de quelques mois à peine, s’agite sur ses genoux.
Se débarrasser de la peur
Avoir encore une mère et un père tient donc souvent du miracle pour ces enfants. Et si ce n’est pas un parent, c’est un proche qu’ils ont peut-être vu mourir sous les bombes. « On fait souvent le jeu de la ‘boîte de la peur’. Je leur demande de dessiner quelque chose qui les effraye. Beaucoup dessinent des avions qui bombardent. Ensuite, on déchire ce dessin et on le jette dans la boîte comme pour s’en débarrasser », explique Mme Zaarour.
A un âge où les défis de la vie devraient se résumer à connaître les tables de multiplication et conjuguer le verbe être, ces enfants apprennent à vivre avec les souvenirs de la guerre. Raison pour laquelle beaucoup peinent à poursuivre leurs études une fois arrivés au Liban. « La plupart des enfants syriens souffrent de bégaiement. C’est une conséquence très fréquente de la guerre. Mais chez une petite fille, par exemple, le traumatisme s’est manifesté par une difficulté à écrire et construire des phrases en arabe. Généralement, ces problèmes disparaissent une fois qu’un suivi psychologique est assuré », constate Rouba, une orthophoniste qui dédie quelques heures de ses journées à aider les enfants syriens dans un centre médico-social de Caritas situé à Rayfoun.
Eviter le décrochage scolaire
Le décrochage scolaire et les redoublements fréquents constituent un problème de taille pour les réfugiés. Si 60 % des 400 000 Syriens présents au Liban et en âge d’aller à l’école primaire sont scolarisés, à 15 ans, ils ne sont plus que 25 % à peine. Car aux difficultés liées à leur propre vécu, s’ajoute le fait que le programme libanais est bien plus costaud que le syrien. Et alors que les cours sont donnés en arabe en Syrie, au Liban les matières scientifiques sont enseignées en anglais et en français. « Un petit garçon parlait le syrien et le kurde à la maison. A l’école, il étudiait en libanais, en anglais et en français. Du coup, il n’arrivait pas à construire une seule phrase correctement, ses camarades de classe ne le comprenaient pas, il était isolé », raconte Rouba.
Les écoles libanaises se sont donc retroussé les manches et ont doublé leurs horaires pour accueillir ces enfants. De 7h30 à 14 heures, se déroule le cursus normal pour les Libanais – et quelques étrangers qui ne doivent théoriquement pas dépasser 50 % des effectifs. L’après-midi, vient le temps des Syriens, qui étudient dans un format d’apprentissage accéléré, destiné à les aider à rattraper leur retard. Ce programme nécessite des fonds – le ministère de l’Education libanais bénéficie notamment d’un soutien de l’Unicef et de l’Union européenne – mais surtout des professeurs engagés et prêts à s’adapter aux besoins et au comportement de ces enfants. « Ceux qui viennent d’arriver ont peur de moi et des enseignants puisqu’ils étaient battus à l’école en Syrie. Ils fuient, on ne peut même pas les approcher », soupire Josephine Habouch, directrice d’une école publique de la ville de Zahlé, située à 50 km à l’est de Beyrouth.
L’éducation, un investissement à long terme
Mme Habouch a vu son établissement se vider des écoliers libanais, les parents préférant se tourner vers des écoles privées, bien trop chères pour les réfugiés. Désormais, sur 160 élèves, 130 sont des Syriens, provenant pour la plupart de familles très pauvres et vivant généralement dans des tentes. Mais lorsqu’elle se promène entre les bancs remplis d’enfants gesticulant sur leur chaise le bras levé pour répondre aux questions des professeurs, elle en vient presque à oublier les nuits blanches passées à réorganiser toute son école pour les accueillir.
Passant devant une classe où les élèves lisent tour à tour des passages en arabe, Mme Habouch s’arrête et pointe du doigt une gamine aux yeux gris. « Souad a énormément insisté pour qu’on l’accueille. Normalement, elle était un peu trop âgée pour ce programme. Mais elle nous a dit : ‘Je n’ai besoin de rien, ne me donnez rien, pas de cahiers, pas de stylos, rien. Je veux juste assister aux cours », raconte, émue, la directrice. A la question de savoir d’où elle tient cette soif d’apprendre, Souad répond, simplement : « Pour moi, l’éducation, c’est cent fois mieux que l’ignorance ». Et déclare fièrement qu’elle rêve de devenir avocate.
Grâce à la campagne « Back to School » des autorités libanaises et au soutien de la communauté internationale, 200 000 enfants réfugiés ont pu intégrer l’enseignement public en 2015. « Il s’agit d’un investissement à long terme pour l’Etat. Il veut s’assurer que ces enfants pourront retourner en Syrie et y poursuivre leurs études une fois que la guerre sera terminée. Il veut aussi éviter qu’ils tombent dans les mains des mafias ou aillent renforcer les rangs des groupuscules extrémistes », explique Ramzi Abou Zeid, responsable de la région de Bekaa pour l’organisation Caritas.
Faire travailler les enfants pour survivre
Mais le Liban a beau s’efforcer de prévoir suffisamment de places dans les écoles pour tous les Syriens, quelques bancs resteront encore et toujours vides. Car certains parents n’ont d’autre choix que de faire travailler aussi les petites mains pour survivre.
Dans la plaine de la Bekaa, des abris de toile s’étendent sur un vaste champ poussiéreux et aride, aux bords duquel poussent des épis de maïs. Septante familles syriennes, qui comptent chacune entre 6 et 16 membres, ont loué ce terrain vague pour 30 000 dollars par an, à défaut d’avoir les moyens de vivre dans un appartement. « Certes, la vie est beaucoup plus chère au Liban qu’en Syrie, où tout était nationalisé. Mais tant que la guerre continue, je préfère manger des cailloux ici que de retourner là-bas », raconte le « chawich », soit le responsable de ce camp informel, l’un des 1 500 de la région.
Déjà pauvres alors qu’ils habitaient en Syrie, les 300 réfugiés de ce camp n’ont désormais plus rien, mis à part quelques planches en bois et des couvertures. La majorité des enfants de cette communauté vont malgré tout à l’école grâce au transport organisé par des ONG qui luttent pour scolariser le plus de réfugiés malgré l’exil, telles que Caritas et l’Unicef. Mais Majila, elle, travaille dans un champ, tout comme ses deux grandes sœurs. Cette fillette de douze ans aux cheveux imprégnés de terre sèche nous accueille pourtant dans sa tente le cahier à la main. « Je peux écrire votre nom en arabe et en anglais », dit-elle fièrement, avant de commencer à compter jusqu’à vingt dans les deux langues.
Mais sa mère refuse de la scolariser, se disant « sceptique » par rapport à l’enseignement proposé au Liban, comme pour ne pas avouer que c’est pour joindre les deux bouts qu’elle fait travailler trois de ses dix enfants. « A quoi bon les envoyer à l’école ? Je sais bien qu’ils ne seront jamais médecins ou avocats. Mon seul souci est qu’ils apprennent à lire et écrire », lance-t-elle, avec un défaitisme déstabilisant.
Une fois loin du regard de sa mère, Majila avoue toutefois, les doigts serrés sur son crayon, qu’elle ne rêve que de retrouver les bancs de l’école. « Mon papa veut bien, mais ma maman, je dois encore la convaincre », dit-elle. Bien qu’elle vive dans une tente, si près et à la fois si loin de sa terre natale transformée en ruines, Majila aspire à un diplôme et à un avenir meilleur. « Je voudrais être professeure », admet-elle.
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