« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
05, Mai 2021 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Dialogue,Droits humains,Foi chrétienne,Foi musulmane,islamophobie No Comments
A propos du débat sur la liberté d’expression, M. Hubert HAUSEMER, dans un court article, émet des remarques éclairantes sur la nécessité de bien distinguer le blasphème de la critique argumentée d’une religion. Donc, liberté de critiquer ne doit pas signifier liberté d’outrager, car l’outrage blesse et humilie gratuitement les croyants sans donner la possibilité d’une réponse argumentée. Il peut donc empêcher le débat critique constructif et même provoquer le fléau de la haine.
A proprement parler, et conformément à son étymologie, critiquer signifie discerner, distinguer en vue d’examiner et d’évaluer une théorie, une idée, une situation, un acte, un comportement, etc. Ce qui caractérise donc fondamentalement la critique, c’est qu’elle se fait, et doit se faire, au moyen d’une argumentation rationnelle. C’est là d’ailleurs une des revendications essentielles des Lumières : les jugements de valeur doivent se baser ni sur le recours à une autorité, religieuse ou séculière, ni sur des états affectifs, mais uniquement sur des procédés rationnels, de nature argumentative.
Ceci étant dit se pose la question de savoir si le blasphème est un instrument authentiquement critique, comme cela est si souvent affirmé, y compris par des gens instruits. Or, s’il est vrai que, d’après le Grand Robert, le blasphème est une « parole qui outrage une divinité » (italiques par moi H.H.), il est clair d’emblée qu’il n’est pas, et ne peut pas être, de l’ordre d’une argumentation rationnelle. Mais quelle est alors sa véritable intention ?
Il y a lieu de signaler à ce propos une sorte de contradiction interne du blasphème. D’un côté il vilipende une divinité, mais de l’autre, que le blasphématoire soit un athée ou un croyant d’une autre religion, il vise une divinité qui pour le blasphémateur n’existe pas. Mais si le blasphème ne vise pas réellement une divinité donnée, il ne reste alors comme objet d’attaque que ceux qui croient en cette divinité. Il faut donc redresser la définition donnée auparavant : le blasphème est en réalité une « parole qui outrage ceux qui croient en la divinité blasphémée ».
Etant de l’ordre de l’outrage, le blasphème n’a donc aucune valeur critique. Et comme l’a écrit récemment l’essayiste français Jean Duchesne : « L’injure abolit la rationalité…plus exactement la capacité de répondre en argumentant ». La seule réponse qui reste possible alors, c’est ou bien le silence humilié, ou bien l’injure et la violence en retour.
A cela il est souvent répondu, en invoquant les limites de la liberté d’expression, que la loi interdit toute diffamation et injure à l’égard de personnes individuelles nommément désignées. Ainsi, la personne croyante serait protégée par la loi, mais non pas sa croyance ou sa religion. Comme le dit le philosophe Henri Peña Ruiz : « Le rejet des croyances n’entraîne pas le rejet des personnes croyantes ».
On doit toutefois se demander si cette distinction n’est pas d’une parfaite hypocrisie. En effet, pour un vrai croyant, qu’il soit croyant d’une religion ou d’une idéologie séculière, sa croyance n’est pas une opinion parmi d’autres, mais une conception qui règle très concrètement sa vie et fait partie intégrante de son identité (à tel point qu’il est éventuellement prêt, si besoin en est, à mourir pour ses convictions). Quelle conclusion en effet tirer, si par exemple l’écrivain Michel Houellebecq proclame que « l’Islam est la plus con (sic!) des religions » (il est vrai qu’il s’est rétracté plus tard), alors que pour un musulman confessant, l’Islam est un élément essentiel et vital de son identité et de son projet de vie ? N’a-t-il pas raison de se sentir agressé, injurié et humilié personnellement ? Et cela ne vaut-il pas aussi pour l’ensemble des musulmans ?
La critique, quant à elle, des religions comme des idées quelles qu’elles soient est non seulement licite mais salutaire, mais seule la vraie critique, rationnelle et argumentative, et non l’éructation de sentiments violents et d’états d’âme intempestifs. Certes, la critique peut faire mal, peut faire souffrir, mais au lieu de blesser la dignité du destinataire elle ouvre la possibilité d’un débat, profitable pour toutes les parties adverses, et peut désamorcer toute velléité de violence. Il est prometteur en ce sens que Mohamed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), ait écrit récemment : »Nous devons accepter que l’Islam soit critiqué ». La critique de la religion, la vraie critique, aussi radicale qu’elle soit, profite non seulement aux non-croyants, mais aussi aux croyants.
Hubert Hausemer, professeur de philosophie e.r. (hubert.hausemer@education.lu )
(l’article intégral a paru en janvier dernier dans la revue ‘Citoyens’ du mouvement La Vie Nouvelle. Il enrichit l’article sur les caricatures posté sur ce même blog (https://reli-infos.be/caricatures-cest-quoi-lexpression-quils-veulent-faire-passer/ )
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