« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Livre sur Molenbeek : « Tant que le virus djihadiste ne sera pas éliminé dans certaines familles, il va prospérer »

14, Jan 2017 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in terrorisme     , , , ,   No Comments

 

Les journalistes Christophe Lamfalussy (La Libre) et Jean-Pierre Martin (RTL) se sont plongés dans « cet étrange creuset du terrorisme » qu’est Molenbeek. Leur but : « comprendre l’explosion d’un islam radical au cœur de l’Europe ». Il en ressort un livre, « Molenbeek-sur-Djihad » (en librairie à partir de ce jeudi 19 janvier), où les deux reporters dépeignent la commune, ses habitants, son histoire, sa situation sociale, ses dérives, les faiblesses de ses politiques… Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin sont les Invités du samedi de LaLibre.be.

Extraits de La Libre Belgique, Abonnés, par Jonas Legge & Dorian de Meeûs , Publié le samedi 14 janvier 2017 à 11h48.

Quels sont les éléments prégnants qui ont amené Molenbeek à devenir la « base arrière » du djihad ?

Jean-Pierre Martin (JPM) : Je dirais sa topographie puisque Molenbeek est une sorte de banlieue dans la ville, avec ses propres spécificités sociales. Dans certains quartiers, le taux de chômage est de plus de 50% pour les 20-25 ans. De nombreux trafics s’y développent. Cette commune a souffert d’un désintérêt pendant plusieurs décennies et des gens ont pu y vivre dans une sorte de clandestinité en toute impunité. Ils ont pu faire grandir l’un ou l’autre réseau à travers des relations familiales, claniques, d’amitié… (…)

Dans le livre, vous pointez le laxisme des politiques. Sont-ils responsables de la situation?

Christophe Lamfalussy (CL) : Le politique n’a pas vu ce qui se passait. La Belgique a manqué de connaissance de l’islam et de l’islamisme. C’est une tradition belge : on accueille depuis des décennies des réfugiés politiques. Mais parmi ces réfugiés venant de Tunisie, du Maroc ou d’Algérie, on a aussi accueilli des franges très radicales qui ont prospéré dans Bruxelles, et particulièrement à Molenbeek.

JPM : La politique a fait preuve de déni. François Schepmans, l’actuelle bourgmestre (MR) de Molenbeek utilise le mot. D’après elle, ce déni a longtemps été généralisé. Lorsqu’elle attirait l’attention de son parti sur cette problématique, on lui rétorquait « mais avec quoi tu viens ? ».

(…)

Vous affirmez qu’une fois cette population installée, les politiques ont fait preuve de « clientélisme » à son égard.

JPM : Début 2000, le gouvernement fédéral – formé des libéraux et socialistes – a plus facilement accordé la nationalité, a régularisé. Le PS a pris conscience de l’importance de cette communauté, surtout dans Bruxelles.

CL : N’oublions pas que, dès les années 60′, on confie l’islam belge à l’Arabie saoudite qui se sert de la Grande mosquée du Cinquantenaire comme d’une porte d’entrée. Son but : contrecarrer l’influence de l’Union soviétique sur les pays arabes laïcs. Or, de cette époque jusqu’aux années 2000, on ne parvient pas à installer un organisme de représentation de l’islam qui fonctionne. Cette longue période de flou a permis aux prédicateurs itinérants, venus de l’étranger, d’introduire un islam fondamentalisme, basé sur les valeurs du wahhabisme, et donc sur le rejet de l’autre.

(…)

Votre livre révèle que de la littérature salafiste (un tafsir) a été retrouvée dans les planques des terroristes de Paris et Bruxelles. Que cela révèle-t-il de la personnalité de ces individus ?

CL : Lorsque Mohamed Belkaid est tué à Forest, on trouve à ses côtés un guéridon avec ce tafsir écrit par un prédicateur salafiste très couru. Ce salafisme provoque une détestation de la société belge par le fidèle. Cette doctrine ne mène pas forcément au terrorisme, mais elle crée un fossé dont peuvent se servir les gens de l’EI ou du Front Al-Nosra en Syrie ou en Irak. Le phénomène religieux est important dans la compréhension de ce qui s’est passé.

JPM : La religion est utilisée pour embrigader. Elle est permanente, tout au long du cheminement, de la rupture jusqu’au passage à l’acte.

(…)

L’islam n’est donc plus un prétexte ? Ces jeunes sont radicalisés religieusement, c’est cela ?

CL : A partir de la Belgique, oui, souvent. Des centaines de sites salafistes expliquent aux jeunes comment faire. Mais certains discours tenus dans les mosquées agissent aussi comme une rupture. Des discours religieux prononcés à la Grande mosquée du Cinquantenaire nous font tomber de notre chaise. On déconseille par exemple aux fidèles de regarder la télévision quand une présentatrice apparaît…

(…) Un autre problème est constitué par les écoles coraniques, où l’on inculque des valeurs qui ne sont pas en correspondance avec les valeurs belges, comme l’égalité homme-femme.

Dans le livre, vous n’hésitez pas à donner votre point de vue, sans forcément l’étayer par des études ou enquêtes. Vous écrivez par exemple : « A Molenbeek, le fondamentalisme s’est progressivement imposé à la majorité des croyants musulmans ». Cela peut déranger, non ?

JPM : Cela repose sur notre ressenti après avoir arpenté les rues, les mosquées, avoir rencontré les gens. Le wahabisme a percolé. Il faut voir le nombre de filles en niqab à la chaussée de Gand un jour de marché. On ne connaissait pas cela par le passé. Cette revendication identitaire vient de cette conception rétrograde d’une partie du monde musulman qui ne voit le monde qu’à travers le licite (halal) et l’illicite (haram). Cela nous a fait peur…

CL : En même temps, on trouve que Molenbeek a un sens de l’accueil. C’est un vrai quartier avec ces gens qui se parlent, qui se rencontrent dans la rue. On retrouve l’atmosphère chaleureuse d’un pays du sud.
Entretien : @Jonas Legge & @Dorian de Meeûs

Texte complet

–> « Molenbeek-sur-Djihad », Enquête sur trente ans de dérive, en librairie à partir de ce jeudi 19 janvier. (éd Grasset)