« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
14, Nov 2020 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités Islam,Droits humains,Islam Belgique No Comments
Juste avant les vacances de Toussaint, un instituteur de 5e primaire d’une école communale de Molenbeek a fait circuler dans sa classe une caricature du prophète Mahomet tout nu, à quatre pattes, ses parties génitales à l’avant-plan. Les élèves musulmans qui ne voulaient pas la voir n’avaient qu’à fermer les yeux quand elle passait devant eux…
Suite aux protestations de parents, le collège communal a décidé la suspension de l’enseignant, quoique seulement provisoire, la décision étant reportée après les vacances. Les conseillers du parti libéral (M.R.), au nom de la liberté d’expression, ont exigé que le motif affiché de la suspension temporaire soit, non pas le caractère antireligieux du dessin, mais son caractère « obscène » pour des enfants de dix ans, comme l’a déclaré la bourgmestre socialiste Catherine Moureaux. Par contre, le président du M.R., M. Georges-Louis Bouchez, a déclaré, quant à lui : « Qu’on arrête ce puritanisme ! », manifestant ainsi son opposition à toute sanction de l’instituteur : « Il est hors de question que ce professeur soit sanctionné d’une quelconque manière » (La Libre du 3-11-20)
Accepterions-nous qu’un enseignant de 5e primaire fasse circuler dans sa classe une caricature semblable de Jésus-Christ, du Roi Philippe, de Jules Ferry ou même d’un de nos ministres en exercice ? Est-ce ainsi qu’il convient de leur enseigner la liberté d’expression ? Et celle-ci est-elle sans limite ?
Dans une ‘carte blanche » dans le journal Le Soir, après l’assassinat de Samuel Pathy, l’ensemble des ministres et députés du M.R. avaient déclaré :
« (…) Toute religion, toute croyance… doit pouvoir être librement critiquée, moquée et caricaturée. Aucune censure, aucune intimidation ne peut à cet égard être justifiée… La liberté d’expression ne peut connaître d’autres limites que celles que le législateur lui pose légitimement lorsqu’elle sert de prétexte à la haine ou à la stigmatisation. Mais cette formule basée sur l’intention subjective de l’auteur sera toujours difficile à prouver et donc sans sanction possible. Il importe donc de préciser ce que dit vraiment le Droit.
Des faits d’une nature assez semblable ont eu lieu en Autriche à l’égard de la religion catholique dans les années nonante : l’affaire Otto Preminger Institut concernaitun film qui montrait notamment Jésus et Marie dans des scènes obscènes. L’affaire alla jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, qui prononça cet arrêt très instructif :
[…] On peut légitimement estimer que le respect des sentiments religieux des croyants tel qu’il est garanti à l’article 9 a été violé par des représentations provocatrices d’objets de vénération religieuse ; de telles représentations peuvent passer pour une violation malveillante de l’esprit de tolérance (…) le caractère démocratique d’une société se trouvera affecté si des attaques violentes et injurieuses contre la réputation d’un groupe religieux sont autorisées. En conséquence, il faut aussi admettre qu’il peut être « nécessaire dans une société démocratique » de fixer des limites à l’expression publique de telles critiques ou insultes ».
Prenant ses distances avec la position du président français Emmanuel Macron, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a défendu dernièrement une position semblable : « La liberté d’expression n’est pas sans limites : nous devons agir avec respect pour les autres et chercher à ne pas blesser de façon arbitraire ou inutile ceux avec qui nous sommes en train de partager une société et une planète. Dans une société pluraliste, nous nous devons d’être conscients de l’impact de nos mots, de nos gestes sur d’autres, particulièrement ces communautés qui vivent encore énormément de discriminations », a-t-il plaidé avec beaucoup de sagesse.
Appel bienvenu à la responsabilité : les enseignants, tout comme les autorités publiques, doivent veiller aux conséquences des paroles et des actes, éviter la stigmatisation religieuse, au nom du respect d’autrui et au nom de la paix et du vivre ensemble. Plus grave que la stigmatisation : l’humiliation des croyants musulmans, soit devant leurs camarades de classe, soit devant l’opinion publique, nationale ou internationale. Chacun sait en effet qu’ils ont pour le fondateur de leur religion une telle vénération qu’ils en ont même toujours interdit la moindre figuration, même dans les mosquées.
Comme l’a relevé
courageusement Mme Poulet-Goffard, de Nantes, « Que signifie un langage qui ne tient pas compte des réactions de
ses destinataires ? Je pense en effet au monde musulman… Voir chaque
jour des dessins de presse publiés à grande échelle, ridiculisant le socle de
leur religion, me paraît être une atteinte forte à leur identité (…). L’argument qui consiste à dire que ce ne sont
pas les personnes qui sont visées alors que l’on insulte leur religion
avec sarcasme n’est pas recevable, dans la mesure où cela touche à leur identité
profonde, autrement dit ridiculiser le cœur de leur religion, c’est s’en
prendre violemment à ce qu’elles sont.
On se relève difficilement d’une humiliation qui remet en cause une
certaine légitimité à vivre là où on habite. Deux réponses possibles
à cette humiliation, soit un effacement citoyen, soit la haine de l’autre
et plus largement de la pensée occidentale … »
N’est-il pas clair, en outre, que les caricatures de Mahomet ont offert un grand cadeau aux islamistes : l’occasion rêvée de rallier une partie des musulmans de leur côté en leur disant : « vous voyez bien que cette culture nous déteste et est l’ennemie de notre religion ! »? Est-ce cela qu’on désire provoquer ? La division, la haine, les attentats des jihadistes ou de l’extrême droite ? A chacun d’en juger.
Philippe de Briey, Louvain-la-Neuve, le 14-11-2020
P.S. Réaction d’un lecteur : « Personne ne peut accepter qu’on expose et ridiculise publiquement quelqu’un qu’on aime profondément : son conjoint, sa mère, son père, son enfant,… Cela fait beaucoup plus de mal que de se faire ridiculiser soi-même. Il faudrait être un saint pour accepter de dialoguer avec quelqu’un qui vous a giflé de telle façon. Sans tomber dans l’énième théorie du complot, il y a vraiment de quoi se demander quel est le but véritable poursuivi par la publication répétée des fameuses caricatures ? Pourvu que ce ne soit tout bêtement question de blague potache ou d’entêtement d’ado qui cherche ses limites…«
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