« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

P. Josse van der Rest au Chili : « J’étais sans abri »…

25, Sep 2020 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Droits humains,International,Justice sociale     No Comments

Un prêtre exceptionnel nous a quittés. Il aura vraiment pris au sérieux et réalisé concrètement la recommandation de Jésus de venir en aide aux pauvres. Même si, dans le texte de Matthieu 25, 35, on ne parle pas de logement, mais de faim, de soif, d’être étranger, nu, malade ou prisonnier, il est évident que les sans-abris souffrent de tous ces malheurs et que leur procurer un logement est fondamental et prioritaire. L’exemple et la vie de cet homme nous le rappellent avec force et nous interpellent. Voici les extraits de deux articles qui décrivent son parcours (NDR).  

Le P. Josse van der Rest est décédé ce 24 juillet 2020, à Santiago (Chili), des suites du Covid-19. Né à Bruxelles, le 9 mars 1924, il était entré dans la Compagnie de Jésus, à Arlon, le 3 octobre 1944. Il a été ordonné prêtre le 9 juillet 1955. Après sa formation, il a été envoyé au Chili, où il a vécu plus de 60 ans.

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Josse van der Rest est né dans une riche famille industrielle belge qui avait des usines dans le monde entier. Aîné de quatre enfants, il a été adopté par un oncle qui prend la relève de son père, à son décès. Durant son enfance, Josse refusait d’aller à la messe, se déclarant « anti-prêtre ». De son adolescence, il se souvient de l’époque où il était chef scout et où il s’est même fait prendre en photo à 16 ans avec le roi Baudouin de Belgique. S’il refusait toujours d’aller à la messe, il allait toutefois en abbaye pour Pâques ; il y pleurait « comme une Madeleine », chaque fois qu’il entendait les hymnes entonnés par les moines.

Sa vocation sacerdotale est née pendant la seconde guerre mondiale. Engagé comme résistant puis comme soldat, tireur d’élite et responsable d’un char, il se souvenait du jour où il était arrivé en Bavière ; il y a vu, dans les décombres d’un bombardement, une statue du Sacré-Cœur de Jésus mutilée. Un soldat américain avait écrit sur cette statue « Je n’ai pas d’autres mains que les tiennes ». Josse racontait à ce sujet : « C’est là que j’ai senti l’appel. Cette phrase est restée comme un poignard dans mon cœur. »

Josse a fait sa formation jésuite en Belgique puis à Rome à l’Université Grégorienne. À la fin des années 50, il est envoyé au Chili. Quelques années auparavant l’association « Hogar de Christo » avait été fondée, par le jésuite Alberto Hurtado (canonisé en 2005). Josse était un admirateur de ce dernier. Il voulait donc s’occuper des plus pauvres. C’est dans les bidonvilles de Zanjon de la Aguada (banlieue de Santiago), avec les enfants et les jeunes marginaux, qu’il apprit le dialecte chilien, alors qu’il ne maîtrisait pas encore très bien l’espagnol. Bien des années plus tard, il confessait ne pas toujours (vouloir) distinguer les nuances de son vocabulaire ; beaucoup l’appelaient d’ailleurs « le prêtre aux gros mots ».

Il aimait souligner, en s’en étonnant, que Jésus préférait s’entourer de personnes vulnérables, de gens qui abandonnent leur famille, de soulards, de ceux qui ne deviendront jamais président de la République. « C’est un mystère pour moi qui est très difficile à comprendre. La religion est un mystère. »

Avec un esprit d’entrepreneur étonnant, il s’est consacré à lutter contre les problèmes d’habitat des personnes vivant dans la pauvreté. Il était touché par les dommages causés par la décomposition des familles urbaines indigentes, sans toit fixe ou entassées dans une promiscuité chez des parents ; tout cela était destructeur des valeurs humaines. Sa priorité était donc d’offrir des logements au plus grand nombre. Pour y parvenir, il occupait des terrains (appartenant à l’Etat ou à l’Eglise) et y faisait construire rapidement des petites maisons. Certains voyaient en lui un « Robin des Bois des temps modernes ». Le projet s’est institutionnalisé et étendu à d’autres pays d’Amérique latine puis de l’Asie. Ce sont ainsi plus de trois millions d’habitations qui ont été bâties par la fondation créée par Josse.

Suite sur https://www.jesuites.com/deces-du-p-josse-van-der-rest-sj/

Un autre témoignage pour en savoir plus sur ce prêtre exceptionnel

De tous les peuples, les Belges seraient les moins fiers d’eux-mêmes, souvent inconscients de leurs compatriotes exemplaires. Hors frontières aussi, des Belges ont œuvré au point de mériter d’être reconnus, comme l’ont été le père Damien ou sœur Emmanuelle. En découvrant un tel être d’exception, ainsi que l’œuvre de sa vie, comment ne pas partager enthousiasme et admiration ? Et si par humilité il met en valeur ses collaborateurs et non lui-même, on le présente d’autant plus volontiers. Voici cette émouvante destinée. (…)

Josse a contribué à en faire le plus grand ensemble sociocaritatif d’Amérique latine, employant 5 000 personnes dans 70 œuvres ou fondations (orphelinats, centres de recueil pour jeunes, pour femmes battues, pour mourants dans la rue, asiles, hospices et hôpitaux, restaurants du cœur etc..). A force de côtoyer les habitants des bidonvilles, il a « enrichi » son espagnol d’argot, au point que les bien-pensants le surnommaient Padre de los garabatos (le père aux gros mots). Son exclamation illustre sa truculence provocante : « Ces couillons du Vatican se préoccupent plus de capotes anglaises que d’aider les pauvres. »

Aumônier de la Fundacion Vivienda (Fondation logement), Josse a constaté la décomposition des familles urbaines indigentes sans toit fixe ou au mieux entassées chez des parents dans une promiscuité destructrice des valeurs humaines. La politique du logement étant encore rudimentaire ou fermée aux plus pauvres des pauvres. Il a entrepris de leur procurer un bout de terrain où édifier un foyer. Sur des terrains inutilisés par des propriétaires spéculant sur leur renchérissement, ses camions de dix tonnes débarquaient à la tombée de la nuit les éléments préfabriqués pour y assembler des « maisons en bois » de 18 m² pour une trentaine de familles qui offraient leurs bras. Le lendemain, la police n’avait pas les moyens, voire le droit de les expulser et d’éradiquer les implantations. Il acculait ainsi les propriétaires à négocier à des prix décents et les autorités à viabiliser et à améliorer leur politique. Mieux valait un abri provisoire tout de suite qu’une bonne maison hypothétique dans cinq ans. Mieux vaut vivre en dehors de la légalité que mourir dans la légalité. Voir naître un bébé dans un logement miraculeusement édifié la veille pour ses parents, donne les larmes aux yeux. Ces occupations de terrain n’étaient pas criminelles, mais se justifiaient éthiquement pour sauver des familles et assurer un minimum de solidarité urbaine plutôt que l’exclusion. Il s’est fait tirer les oreilles, n’a fait que quelques jours de prison et s’est tenu coi sous Pinochet. Comme il avait occupé un terrain de l’archevêché, le cardinal l’a convoqué pour le sermonner : « Comment un jésuite peut-il violer les droits de propriété ? » Le pénitent contrit a converti le prélat qui a fini par lui dire « tu peux occuper un autre de mes terrains que je te donne ».

– Chaque famille payait au minimum 1 dollar par mois pendant cinq ans.

– Un système de microcrédit basé sur les mères de famille, seules les femmes étant rigoureuses. Josse l’a mis sur pied bien avant que le prix Nobel d’économie Muhammad Yunus n’en fasse la théorie après l’avoir observé chez lui. Les familles une fois détentrices de 1,2 are et d’une « maisonnette » l’amélioraient petit à petit en agrandissant, clôturant, plantant un arbre. Les gens s’entraidaient et se prêtaient.

– Enfin, et surtout, Josse a édifié une usine (scierie et préfabriqués), appelée désormais Fabrica Josse van der Rest où travaillent une centaine d’ouvriers. Ceux-ci fabriquent les maisonnettes de 18 m², mais aussi des chalets de 30 à 80 m² vendus aux riches, à peine plus que le prix du marché, deux fois le prix de revient. Telle est la solidarité. Josse l’a mise en pratique aussi pour que les pauvres puissent être ensevelis dans la dignité, les riches versant à l’œuvre 10 % de leurs frais de funérailles. Le Parlement chilien lui-même a décrété « un jour de solidarité » par an.

Quelque 3 000 bénévoles (souvent étudiants et le week-end) et une dizaine de permanents experts ont assemblé quelque 25 000 maisons par an. (…) dès 1971, Josse a élargi son action à 68 pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique en créant la fondation Selavip (Servicio Latino Americano y Asiatico de Viviende Popular). Cette organisation laïque finance 58 projets par an, elle aura fait loger quelque 3 millions de familles de par le monde en développement.

Padre Josse aurait pu devenir un grand chef d’entreprise. Il est un religieux d’action. Pragmatique de terrain, il acquiesce à la théologie de la libération. Adulé par les Chiliens et leurs dirigeants de tous bords, il est citoyen d’honneur du Chili. Il est connu en Amérique du Sud autant que l’abbé Pierre en France.

La vie lui a été donnée, non pour rester assis, mais pour la risquer. Et il l’a risquée en contribuant au bon changement dans le monde, en se consacrant pendant 60 ans aux plus pauvres des pauvres, non sans déborder de joie et de sérénité.

(extraits d’un témoignage d’Alain Siaens, président honoraire de la Banque Degroof, sur « ce Belge hors du commun », paru dans La Libre du 4-4-2014).