« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Quel avenir pour l’Eglise catholique? (Chr. Pedotti)

15, Juil 2019 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Foi chrétienne     No Comments

Je vous ai déjà signalé sur mon blog le livre de Christine Pedotti « Qu’avez-vous fait de Jésus ? ». Ce livre analyse de manière très approfondie la question de la pédophilie dans l’institution catholique. Une cause majeure de ce désastre est le cléricalisme. L’auteure rejoint ainsi l’opinion du pape François, mais elle analyse à fond en quoi consiste ce cléricalisme : un système de domination sur le peuple de Dieu. Elle ne se contente pas d’admonester vigoureusement les évêques et cardinaux qui maintiennent ce système périmé anti-démocratique, elle veut que cela change, et pour cela elle propose un autre modèle, car elle tient à cette Église catholique dont elle reconnait les points forts. 

Vous trouverez ici une partie de ces propositions de réforme. J’espère que vous les apprécierez et que vous en ferez passer le contenu (ou les pages mêmes) dans vos contacts. Gardons l’espérance vivante que, de proche en proche, les choses changeront ! (NDR)

Qu’avez-vous fait de Jésus ?  (Christine Pedotti)

Chap. 10 (final) : De l’avenir

« Le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits. » Matthieu 21,43.

Que peut-on faire ? Messieurs, compte tenu de l’étendue du désastre, je ne suis pas certaine de devoir m’adresser à vous. Je crains que ces mots de Jésus s’adressant aux responsables religieux de son temps ne soient pour vous.

Depuis des décennies maintenant, on documente ce qu’on nomme « crise des vocations ». Soyons clair : quand une organisation quelle qu’elle soit ne réussit plus à recruter son personnel d’encadrement, la question de sa survie est engagée.

Depuis longtemps vous auriez pu, vous auriez dû, prendre des décisions, au lieu de vous lamenter sur le manque de prêtres et l’indifférence religieuse. Il est désormais trop tard pour les replâtrages. Consentir à choisir des prêtres parmi les hommes mariés ne serait qu’une brève bouffée d’oxygène si le système ne se réforme pas profondément. Quel homme, quel père de famille, quelle femme, quelle famille, quels enfants supporteraient que leur époux et père vive la vie des prêtres d’aujourd’hui ? C’est l’un des arguments en faveur du célibat ; l’impossibilité de mener de front une vie de famille équilibrée et la vie d’un prêtre. Mais se demande-t-on si, aujourd’hui, la vie des prêtres est équilibrée, si elle est humaine et épanouissante ? La première chose à faire est de rendre la vie des prêtres à la norme humaine ordinaire. Pour être un être humain heureux, il faut avoir le temps d’aimer, de se cultiver, d’avoir des amis, de rêver, de se détendre, de faire du sport, de prendre des vacances. Il faut pouvoir faire des projets d’avenir, et même avoir le droit de changer de vie parce que la vie humaine, aujourd’hui, est longue, et c’est très bien.

Les prêtres ne cessent de répéter que leur engagement n’est pas de l’ordre du travail mais du service. Prenons-les au mot. Choisissons les prêtres parmi les personnes qui ont un travail et qui sont disposées à rendre ce service. Quel service ? Celui de la communauté croyante qui se rassemble, qui prie et célèbre dans les moments de joie ou dans la peine. Cette communauté, il faut quelqu’un pour la rassembler et la présider ; pour ouvrir les bras et dire : soyez les bienvenus, soyez accueillis au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est tout simple et indispensable. Faut-il pour autant que cela soit une occupation à plein temps ? Un choix de vie, oui, mais un choix pour la vie, est-ce impératif ? En désignant ainsi des personnes qui n’en feront pas profession mais qui donneront de leur temps, on rendra les « prêtres » bien plus proches des gens, et aussi bien plus disponibles que les prêtres actuels, surchargés de travail et épuisés.

Dira-t-on qu’il sera plus difficile de trouver un chrétien ou une chrétienne qui accepterait, non « pour toujours » mais pour un temps, de recevoir la mission de présider la paroisse ? Il faudra bien sûr un peu de formation et d’apprentissage. Mais qui osera prétendre qu’il est nécessaire de passer sept ans à plein temps dans un séminaire pour célébrer la messe avec dignité et piété, pour bien accueillir les couples qui veulent que leur amour et leur projet de vie soient bénis et mis sous le regard de Dieu ou pour baptiser les petits enfants ?

Bien des hommes, bien des femmes seront capables de faire cela parfaitement. D’ailleurs, faute de prêtres, dans bien des endroits déjà, ce sont des hommes ou des femmes qui ont délégation pour célébrer les obsèques et tout le monde s’en trouve très bien.

Ah, je vous entends déjà vous récrier ! Nous y voilà donc, vous voulez que des femmes soient prêtres, c’est donc cela votre but ?

Allons, Messieurs, soyons sérieux, la question n’est pas là. Elle est bien plus grave. Qui peut aujourd’hui soutenir qu’il puisse y avoir une quelconque raison pour exclure les femmes de telle ou telle responsabilité ? À ce compte, pourquoi ne pas continuer à défendre l’esclavage et la ségrégation raciale ?

Que vous, Messieurs les responsables de l’Église catholique, osiez encore aujourd’hui prétendre que vous tenez de Dieu lui-même des raisons d’exclure les femmes est juste inconcevable. Que vos grands-pères ou vos pères aient pu le penser, on peut le comprendre. Le monde dans lequel ils vivaient, dans lequel ils avaient été éduqués était profondément masculiniste et sexiste. Mais vous, Messieurs, vous, hommes de la fin de la deuxième décennie du XXIème siècle, comment pouvez-vous encore… ?

Je connais vos arguments, Jésus n’a choisi que des hommes, bla bla bla… Vous savez bien que le raisonnement est faux, qu’il ne tient pas. Vous faites porter à Jésus des intentions qu’il n’a jamais exprimées. Vous savez qu’il n’a pas choisi de prêtres et que la figure chrétienne des prêtres ne trouve pas son origine dans l’Évangile mais dans la pratique des premiers siècles. Si Jésus a choisi douze hommes autour de lui, c’était pour figurer le peuple renouvelé. Ils sont douze comme les douze fils de Jacob, à l’origine du peuple d’Israël. Les Douze ne sont pas la figure des prêtres, ils sont la figure du peuple, du peuple tout entier, des fils et filles d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui deviennent frères et sœurs de Jésus et par cette fraternité, enfants du Père, enfants de Dieu.

Vous avez confisqué ce qui était le bien de tous et de toutes pour en faire votre privilège. Un privilège qui a fait de vous des « mis à part », dont vous avez exclu les autres hommes et toutes les femmes. Que vos prédécesseurs aient cru légitime de le faire en des temps où les femmes n’avaient aucun accès à la vie publique, au travail autre que domestique, aux études, on peut le comprendre, mais vous… Est-ce que vos mères ne valent pas vos pères, est-ce que vos sœurs ne valent pas vos frères ? Vos nièces ont-elles moins de talent, moins de compétences, moins d’intelligence que vos neveux ? Et ne nous racontez pas vos histoires de complémentarité. Ce ne sont que de pauvres cache-sexes, qui dissimulent mal la faiblesse de vos arguments.

A moins que vous ne pensiez, au fond, que les femmes ne peuvent pas toucher le sacré, qu’elles sont « impures » parce que leur sang coule chaque mois ou pécheresses parce que « filles d’Ève ». Quand les arguments de raison ne tiennent pas, il faut chercher dans des motifs plus archaïques, plus irrationnels.

L’avenir appartient au peuple de Dieu, c’est vers lui que le pape François s’est tourné, désespéré de trouver auprès de vous un sursaut, une volonté… peut-être tout simplement la foi, et surtout l’envie joyeuse de la partager. Parce que la foi, ce n’est pas cette espèce de discours moralisant que vous portez sur toutes choses. La foi, c’est ce qui fait courir Marie de Magdala au matin de Pâques pour annoncer à tous : « J’ai vu le Seigneur, il est vivant. » La foi est une folie, Paul le tout premier le dit. Et vous, vous processionnez à petits pas, couverts de dentelles, de pourpre, d’or et de broderies.

Mais rassurez-vous, je n’envisage pas de supprimer l’épiscopat. S’il fait son boulot, l’évêque est utile. Précisément s’il est l’épiscope, celui qui veille sur une portion de l’Église, qui surveille, « épi-scope », qui regarde à l’entour ou tout autour. Toutes les communautés humaines ont besoin de ce regard de surveillance et de régulation. La mitre, le bâton, les dentelles et les dorures ne sont pas nécessaires mais le regard, oui. Pas un regard de « père », comme vous vous plaisez à le répéter. Non, un regard de frère (ou de sœur) à qui on confie la responsabilité de veiller au grain, de mettre d’accord ceux qui se querellent, de vérifier les compétences de ceux et celles à qui les paroisses sont confiées, qui les aide à demeurer dans le service et non dans le pouvoir.

Le mieux serait que vous soyez élus par ceux et celles qui vont avoir besoin de vous. Ne vous récriez pas, ça s’est passé ainsi pendant des siècles. Alors que les sociétés civiles ne connaissaient que la force, les intrigues de cour, les successions sanglantes, il n’en était pas ainsi parmi les chrétiens. Et maintenant que la démocratie gagne du terrain partout, les évêques seraient choisis par le fait du prince : Avouez que c’est assez singulier.

Cet ou cette évêque aura la charge de confirmer les nominations des présidents et présidentes de communautés, les curés. Il lui faudra aussi valider la formation de ceux et celles qui auront la charge de la transmission du savoir, qui connaîtront la Bible et la doctrine. On les appellera savants, docteurs, enseignants, experts, peu importe. Hommes ou femmes, ils auront des grades validés par les universités.

Et le célibat, demanderez-vous, que restera-t-il du célibat ? Eh bien, ce ne sera plus une obligation, une condition pour accéder à telle ou telle responsabilité. Il sera réservé à ceux et celles qui en auront la vocation spécifique. Un tel engagement ne se prendra pas à la légère, et pas forcément pour la vie entière. Après tout, on peut s’engager au célibat pendant dix ans, puis désirer entrer dans une vie conjugale et familiale. Mais une chose est certaine, le célibat ne doit pas être synonyme de solitude. Les hommes et les femmes qui choisiront de s’engager dans le célibat pour un temps ou pour la vie devront le faire dans le cadre d’une vie religieuse communautaire et fraternelle.

Tout ceci est bien sûr esquissé à grands traits. Il faudra réfléchir, préciser, affiner. Mais l’essentiel est de rompre la séparation entre les clercs et le reste des baptisés qui aujourd’hui sont considérés comme un vulgaire troupeau sans tête et sans intelligence. Je ne fais au fond que suivre la pensée du pape François qui veut liquider le cléricalisme. François dit une chose importante le cléricalisme n’est pas le fait exclusif des prêtres et des évêques. Il se déploie avec la complicité de ceux et celles qui préfèrent se laisser conduire comme des moutons sans cervelle, qui abdiquent leur intelligence et leur liberté.

Allez, la crise que nous traversons est grave, très grave, sans doute une des plus graves à laquelle nous avons jamais fait face. Quelque chose est en train de mourir, de disparaître. Mais nous sommes chrétiens, vous et moi, nous savons, nous croyons, que la mort n’a pas le dernier mot, qu’elle n’est pas le point final de l’histoire. Ne faut-il pas que le grain meure pour qu’il donne du fruit ? C’est là le cœur de notre foi : la mort est toujours le début de la résurrection. » (fin du chapitre).

Extrait de son livre « Qu’avez-vous fait de Jésus », Albin Michel 2019, 170 p. Certains d’entre vous ont déjà reçu ces pages scannées à leur courriel. Un lecteur m’a très aimablement converti cela en ce texte uni.