« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
26, Avr 2016 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Islamisme Arabie saoudite, djihadistes, Frères musulmans, islamisme, jeunes, radicalisme, salafisme No Comments
NDR : Article très remarquable de lucidité et de courage. Tout est dit de l’essentiel. Il reste à souhaiter qu’on en prenne plus largement conscience et que des deux côtés, musulman et non-musulman, on accepte de changer radicalement de regard et donc de comportement.
« En ce qui concerne la « radicalisation » ou – formulation que je préfère – l’engagement dans un islam ultra et meurtrier, je pense surtout à tout un processus par lequel passent ces jeunes, et qui se décline en cinq étapes :
D’abord, ils en viennent à dire « nous » et « eux », soit d’un côté les musulmans, et d’autre part « les autres ». Ensuite, ils disqualifient progressivement ces « autres » en les opposant au « nous » les musulmans, les désignant comme « kouffār » ( « impies » ). Puis ces autres deviennent de plus en plus méprisables, sont niés dans leur humanité même. Là se fait l’entrée en violence. À la quatrième étape, ces jeunes basculent dans la violence, car ils se sont laissés persuader que « les autres » sont pour eux une menace, et qu’ils sont d’ailleurs la cause essentielle de tout ce qui ne va pas. Enfin, ces musulmans se montrent absolument convaincus que leur propre territoire symbolique et sacré se trouve réellement en danger, que l’islam est massivement attaqué, victime de complots, et qu’il devient donc urgent de passer à l’action violente. (…)
Les guerres conduites par les États-Unis d’Amérique et leurs alliés en Afghanistan, en Irak, en Libye et, finalement, en Syrie, ont créé un immense brasier d’où partent chaque jour de nouveaux feux meurtriers. Mais à cette déstabilisation des sociétés arabes, s’est ajoutée une évolution déroutante de l’islam.
En effet, depuis surtout les années 1970, nous assistons à un vaste mouvement mondial de réislamisation, conduit par des courants à dominante conservatrice : le salafisme wahhabite issu de l’Arabie saoudite, et la mouvance des Frères musulmans née en Égypte à la fin des années 1920. Même si les deux courants ont entre eux des différences fondamentales, ils se retrouvent néanmoins dans leur rejet des valeurs et évolutions civilisationnelles occidentales, et ils sont, l’un et l’autre, hostiles aux libertés individuelles telles que la liberté d’expression et la liberté de conscience.
Enfin, parmi les causes du développement des idées de Daech en Europe occidentale, particulièrement en Belgique et en France, il y a l’existence de ghettos de misère dans les périphéries des grandes villes. Là-bas, des centaines de milliers de jeunes issus des immigrations de travail de leurs parents ou grands-parents désespèrent de trouver une place dans la société qui soit digne. Elles ont ainsi l’expérience de la mal-vie, des discriminations, d’un racisme post-colonial…
Mais en ce qui concerne le développement de l’idéologue guerrière de Daech, on ne peut réduire ces causes aux réalités économiques et politiques. Certes, les désordres mondiaux, l’injuste répartition des ressources, les phénomènes d’impérialisme et la réalité de régimes non démocratiques engendrent de la désespérance, de la colère, des haines, des révoltes. Mais Daech offre un discours idéologique très performant, qui est fondé sur plusieurs grandes prophéties ou mythes qui appartiennent à la sphère théologico-mystico-politique de l’islam. (…)
Nous ne sommes certainement pas près de voir cette « vague extrémiste », comme vous dîtes, refluer et disparaître. Il faudrait, pour cela, que cessent enfin la destruction et la descente aux enfers de ces grands pays qui meurent avec leurs peuples, l’Irak et la Syrie ! Il faudrait, aussi, qu’une nouvelle grande espérance puisse se lever pour toutes ces générations de musulmans qui, à travers le monde, au Moyen-Orient, mais aussi dans nos banlieues populaires, se sentent abandonnés, n’ayant pas de poids dans la destinée du monde, n’ayant aucun rôle à jouer sinon celui que leur propose Daech. Enfin, il faudrait que le discours religieux musulman s’ouvre enfin au dialogue avec l’ensemble du monde, qu’il s’enrichisse des acquis des sciences humaines, qu’il ne soit plus un discours d’abord fondé sur l’interdit et sur la disqualification des « autres », les « non-musulmans » (…)
Une grande partie de l’islam enseigné dans les grands centres de formation d’imams et de jurisconsultes du monde entier est de nos jours influencé soit par le wahhabisme, soit par la doctrine des Frères musulmans. Cela ne peut que conduire à des ruptures avec le reste du monde, et à des déchirements internes dans les sociétés majoritairement musulmanes. (…)
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