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car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Reconnaissons l’autorité d’une parole féminine

11, Mar 2023 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Foi chrétienne     No Comments

« Ordonner des femmes prêtres ne suffirait pas »

Au terme d’un long processus d’étude et de partage mené en petits groupes, deux femmes catholiques belges plaident pour une meilleure valorisation des femmes dans l’Eglise. Plus fondamentalement, elles remettent en cause un mode de rapports entre laïcs et ministres ordonnés.

Tout est parti d’un groupe de lecture du livre de la théologienne Anne-Marie Pelletier « L’Eglise,des hommes avec des femmes » (2019).

Les deux personnes ici interviewées sont :

Catherine Chevalier, théologienne et engagée dans l’institution thérésienne et rédactrice en chef de la revue Lumen Vitae dont elle a dirigé le numéro « Où sont les femmes ? » (2022/3).

Martine Henao anime des groupes de lecture, en particulier de la Bible, et autrice de « Se nourrir corps et âme. La Bible et la table » (Mediaspaul,2019).

Voici d’abord des extraits de l’interview par Vincent Delcorps (journal Dimanche n°10, du 12 mars 2023) dont nous avons souligné quelques phrases fortes.

Au terme de votre réflexion, diriez-vous que la place des femmes dans l’Eglise est aujourd’hui problématique?

Catherine Chevalier (CC): Oui. Et j’ajouterais que cette question est intimement liée à celle des rapports entre laïcs et ministres ordonnés. Anne-Marie Pelletier pose le même constat. Elle estime qu’il faut aller vers une redécouverte du baptême. Que c’est même la priorité!

Martine Henao (MH): A titre personnel, la place des femmes dans l’Eglise n’a jamais été mon cheval de bataille. Mais la question du masculin et du féminin m’interpelle de plus en plus car c’est un fait de société incontournable aujourd’hui. Il est donc logique qu’elle traverse aussi la réalité institutionnelle de l’Eglise catholique romaine… Aujourd’hui, je me dis que si l’on prend vraiment au sérieux notre baptême, nous sommes coresponsables de l’avenir de l’Eglise! Et il va bien falloir que quelque chose se passe.

Venons-en donc à cette question de la gouvernance. Qu’est-ce qui devrait changer d’après vous?

CC: Au fil de l’histoire de l’Eglise, la gouvernance s’est progressivement concentrée sur les clercs. Qui sont des hommes célibataires. Parallèlement, toutes les autres formes d’autorité reconnues ont été éliminées. Nous demeurons marqués par cet imaginaire sacerdotal. On l’observe jusque dans nos médias: pourquoi fait-on les gros titres dès qu’il y a une ordination et pas lorsqu’un autre ministère est reconnu?  (…)

Aujourd’hui, l’Église estime ne pas avoir autorité pour conférer le sacerdoce aux femmes. Vous en pensez quoi?

CC: Il y a tant de gens qui remettent cela en question ! Prenez le temps d’aller une fois discuter avec des jeunes, en retraite scolaire, par exemple : pour eux, cette situation est incompréhensible !

Vous plaidez donc pour l’ordination de femmes…

MH: … La vraie question, la véritable urgence, c’est l’annonce de la Bonne Nouvelle. Mais une Eglise qui n’avance pas sur cette question des ministères renforce les positions clivantes sur la gouvernance et sur le culte, au détriment de l’annonce de la Parole.

CC: Aujourd’hui, pour annoncer l’Évangile, faire évoluer la place des hommes et des femmes est devenu essentiel.

Comment aborder la question en évitant l’impasse que vous craignez ?

MH: Arrêtons de nous focaliser sur la question de la messe. Partons plutôt de la question plus large de l’accompagnement à la vie spirituelle. Prenons le sacrement de réconciliation, par exemple… Indépendamment du prêtre, ne pourrait-il pas y avoir un ministère de la réconciliation ? Ce serait bien que des laïcs, hommes et femmes, grâce à leurs charismes spécifiques et reconnus, puissent offrir ce sacrement. De même pour le sacrement des malades dans les hôpitaux. Doit-on, au dernier moment, aller chercher un prêtre pour donner ce sacrement ? Ne risque-t-on pas d’entretenir une relation magique avec le sacrement ? Et de devenir prisonniers de la pénurie de prêtres ordonnés ?

CC: Relisons l’histoire aussi. Le premier millénaire s’est davantage centré sur le baptême; ce n’est qu’au deuxième millénaire qu’on a mis l’accent sur la transsubstantiation – et qu’on a fait de l’ordination la remise d’un pouvoir, celui de consacrer le pain et le vin. Redoutable sacralisation ! Aujourd’hui, nous sommes prisonniers de ce système : des prêtres pour célébrer l’eucharistie, et pas d’abord des ministères pour des communautés.

Dans nos régions, de nombreux laïcs exercent tout de même déjà d’importantes responsabilités…

CC: En effet, on a développé la question du ministère laïc. Mais de manière inachevée. Sans donner d’ancrage symbolique, de visibilité liturgique. Exemple: le responsable laïc d’une unité pastorale peut-il prêcher ou pas ? On n’y a pas réfléchi. De même, pourquoi ne pas parfois remplacer l’homélie par un partage de la Parole ? On a ajouté des missions mais sans changer la structure. On doit pouvoir aller plus loin.

MH: … Avec le problème que tous les jours, c’est une parole masculine que l’on entend. Elle peut être magnifique. Mais c’est de l’altérité que peut sortir quelque chose de nouveau !

CC: C’est le masculin et le féminin rassemblés qui sont à l’origine de la vie. Pourquoi se priver, dans la gouvernance ecclésiale, de cette relation fondamentale ? On se prive d’une fécondité. Je n’aime d’ailleurs pas l’idée de complémentarité : comme si un second devait compléter un premier. Je préfère parler d’altérité. Dans l’altérité, chacun doit se laisser interpeller par l’autre.

Un changement de paradigme donc…

CC: Oui, et un changement difficile. La question est vraiment: comment penser les différences sans être dans des relations de hiérarchie? Ça, c’est une question pour l’Eglise! (…)

Si on ordonne des femmes prêtres mais qu’on reste dans le modèle actuel, il y aura toujours un problème. La question est beaucoup plus profonde car elle touche à des représentations. Pour y toucher, il importe de faire un chemin ensemble…

Le cardinal De Kesel, par exemple, demande clairement la possibilité du diaconat féminin et l’ouverture de la prêtrise à des hommes mariés. Mais je ne l’ai jamais entendu demander l’ordination de femmes. Je constate que la question demeure un tabou. Il faudrait la remettre à l’ordre du jour.

Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Beaucoup de gens ont quitté l’Eglise car elle ne changeait pas assez à leurs yeux…

MH: Je n’ai jamais exercé de responsabilité particulière dans l’Eglise, on ne m’a jamais rien demandé, donc je n’en veux à personne. Mais ce qui me rend triste, c’est de voir tous ces lieux où les chrétiens ne sont pas assez présents. (…) Les chrétiens devraient être moins frileux. Pour moi, l’annonce de la Bonne nouvelle est existentielle. Le but n’est pas de sauver l’Église, c’est de permettre aux gens de se remettre debout.

CC: Je reste habitée par la joie de croire et d’appartenir à une communauté vivante – même si elle est vieillissante. Après, il y a une colère aussi. J’ai beaucoup d’amitié pour toutes ces personnes engagées, pour les prêtres… Mais j’ai l’impression d’être face à quelque chose qui est solidement bétonné…

Propos recueillis par Vincent DELCORPS, le 8/03/2023

 ٭www.rcf.fr/culture-et-societe/leglise-des-femmes-avec-des-hommes

Pour aller plus loin: « Où sont les femmes? », revue Lumen Vitae, 2022/3.


Voici maintenant quelques extraits de leur article d’opinion dans le même journal « Dimanche » n°10 du 12 mars 2023, p.16 :

« En Eglise, reconnaissons l’autorité d’une parole féminine »

Leur rêve : « que l’affirmation « l’Église estime ne pas avoir autorité pour conférer le sacerdoce aux femmes » (Ordinatio sacerdotalis, 1994) soit réexaminée par une assemblée plurielle de femmes et d’hommes, de fidèles laïcs et de ministres ordonnés! Quelle belle mise en œuvre de la synodalité cela pourrait être…

Leur proposition : « trois chantiers à approfondir: le chantier biblique, le chantier symbolique et le chantier de la gouvernance ecclésiale. Des chantiers concernent les relations entre femmes et hommes, mais aussi celles entre baptisés et ministres ordonnés. Car, pour nous, œuvrer en faveur d’une indispensable reconnaissance de l’autorité d’une parole féminine en milieu ecclésial ne relève pas tant d’une revendication d’égalité que d’une responsabilité de conversion que nous partageons toutes et tous, baptisés, baptisées, clercs et laïcs, hommes et femmes. Passons en revue ces chantiers.

Le chantier biblique

L’enjeu est ici de se ressourcer à l’Evangile du Christ. Retourner ensemble aux Ecritures, dialoguer autour de la Parole entre femmes et hommes, entre baptisés et ministres ordonnés. Cela peut prendre différentes formes: celles de groupes de partage dans nos maisons ou dans nos lieux d’Eglise, ou de brefs temps de partage à la place de l’homélie. Et pourquoi ne pas donner l’occasion de commenter la Parole, dans le cadre de l’homélie, à d’autres personnes, femmes et hommes, que les ministres ordonnés, pour ouvrir le champ de l’interprétation de la Parole?

Le chantier symbolique.

… Vatican II a inversé la vapeur en resituant les ministères comme un service du peuple de Dieu. Mais le travail n’est pas terminé et on peut même s’interroger sur le retour à une certaine sacralisation… N’est-il pas temps de prendre au sérieux les deux motu proprio Spiritus Domini et Antiquum ministerium par lesquels le pape François invite à réfléchir à l’institution d’une diversité de ministères laïcs? Répondre à cette invitation serait une belle façon de sortir de la dualité prêtres-laïcs et d’associer symboliquement femmes et hommes laïcs au ministère de vigilance et d’accompagnement de l’évêque.

Le chantier de la gouvernance ecclésiale.

Le chemin synodal a remis en valeur le sacerdoce baptismal dans l’exercice de la gouvernance ecclésiale. Comment poursuivre l’effort? Commençons par remettre sur pied les conseils pastoraux diocésains là où ils ont disparu. Pourquoi ne pas réfléchir au sein de ces lieux, tout comme dans d’autres conseils, aux questions soulevées plus haut: la place du partage de la Parole dans nos communautés, la question des ministères institués… Oser, dans un climat de respect mutuel, s’écouter entre femmes et hommes, entre baptisés et ministres ordonnés, sur la question de nos missions respectives au sein du corps ecclésial.

Oui, retrouvons ensemble le souffle de la coresponsabilité baptismale attestée dans les premiers écrits de Paul et les récits évangéliques. Aujourd’hui, l’avenir institutionnel de l’Eglise, comme sa crédibilité missionnaire, dépendent de cette conversion commune! »

  Texte complet sur :  www.cairn.info/revue-lumen-vitae.htm