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06, Nov 2023 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in guerre ou paix,International,terrorisme No Comments
« Retour du refoulé colonial », relations avec l’Occident… l’historienne Sophie Bessis revient sur les enjeux géopolitiques autour de la guerre entre Israël et le Hamas. Interview par Colette Braeckman
Publié dans le journal Le Soir le 5/11/2023 à 18:00 Temps de lecture: 1 min
(Extraits) (Texte complet : ici )
Depuis le 7 octobre, Israël et le Hamas se livrent une guerre sanglante. Selon le ministère de la Santé du Hamas, 9.770 personnes, dont 4.800 enfants, auraient été tuées dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre. L’aide humanitaire qui parvient jusque-là reste insuffisante, comme le rappellent de nombreuses ONG.
L’historienne et journaliste franco-tunisienne Sophie Bessis livre son analyse politique du conflit actuel.
Dans une récente tribune consacrée à Israël et à la Palestine, vous avez évoqué le « refoulé colonial ». Qu’avez-vous voulu dire ?
Même s’il ne s’agit pas d’un colonialisme classique, Israël est bel et bien depuis la guerre des Six Jours de 1967 une puissance occupante en Cisjordanie et se comporte comme telle. L’entreprise de colonisation est systématique et utilise le vocabulaire colonial, où toute résistance est qualifiée de « terrorisme ». Or, si est terroriste celui qui sème la terreur, les colons suprémacistes juifs pourraient aussi être qualifiés de terroristes puisqu’ils sèment la terreur dans les villages palestiniens de Cisjordanie. Ce constat n’enlève rien au fait qu’il faut condamner sans réserve le massacre par le Hamas de centaines de civils israéliens. Dans la situation actuelle, on a le sentiment que les radicaux, des deux côtés, occupent le haut du pavé.
Cependant, même si on peut le déplorer, le Hamas est une des expressions de la population palestinienne, d’autant plus que l’autorité palestinienne s’est auto-affaiblie. Son chef, Mahmoud Abbas, a perdu toute légitimité en devenant un auxiliaire de l’occupant. En outre, pendant longtemps, Israël a ménagé le Hamas afin d’affaiblir l’OLP (Organisation pour la libération de la Palestine) vue par les dirigeants israéliens comme leur ennemi principal. Aujourd’hui, par la force des choses, la population de Cisjordanie, qui voit ce qui se passe à Gaza, se sent solidaire du Hamas et applaudit son action en dépit des atrocités qui ont été commises.
Comment voyez-vous l’attitude des pays occidentaux, celle de la France en particulier ?
Certains dirigeants européens commencent à évoluer et à exprimer leur inquiétude face à la situation humanitaire, mais les protestations sont encore trop timides. Les Occidentaux dans leur ensemble accordent un soutien inconditionnel à Israël. Le seul à parler clairement de la gravité de la situation est le secrétaire général de l’ONU, le Portugais Antonio Guterres, quitte à s’attirer les foudres des dirigeants israéliens.
Pour comprendre cela, il faut remonter dans l’histoire et rappeler que le seul génocide des Juifs a été commis au cœur de l’Europe. Pour les Européens, soutenir inconditionnellement Israël, c’est peut-être tenter de se laver de ce passé. Ce qui n’a pas de sens : rien ne pourra effacer cette tache et certainement pas le fait de faire payer par un autre peuple, les Palestiniens en l’occurrence, un crime que ces derniers n’ont pas commis.
Une autre raison de ce soutien quasi inconditionnel réside dans le fait qu’Israël fait figure de bastion avancé de l’Occident au cœur de l’Orient. (…) Aujourd’hui, face au « Sud global », Israël apparaît comme un bastion que l’Occident veut défendre à tout prix. Et le discours sur les « valeurs » qui est tenu en Europe et en Amérique du Nord s’avère totalement inopérant car ces valeurs dites universelles ne semblent s’appliquer qu’à ceux que l’Occident considère comme les siens. Ce « double standard » est très dangereux, les dirigeants occidentaux se rendent-ils compte qu’ils accentuent ainsi la fracture Nord-Sud ? En outre, et c’est grave, une telle partialité risque d’accroître l’antisémitisme qui n’est mort nulle part.
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(…) Mais l’on ferait bien de se rappeler l’histoire des luttes de libération : elle nous enseigne que lorsque les colonisateurs ont refusé de discuter avec les responsables les plus modérés, ils ont ouvert la voie aux éléments les plus radicaux de ces luttes, lesquels ont vu dans la violence le seul outil de leur libération.
Le plaidoyer humanitaire tenu par l’Europe n’est pas suffisant. Nous n’assistons pas à une « crise humanitaire » mais à une guerre qui bouleverse l’échiquier géopolitique mondial. L’Union européenne et les Etats-Unis soutiennent qu’Israël a le droit de se défendre, mais ce qui se passe n‘est pas de la défense, c’est une vengeance, une réaction cruelle dirigée contre tout un peuple. Il me semble que cette attitude d’Israël est suicidaire : elle décuple la haine et s’inscrit dans la logique du Hamas.
Israël ne comprend pas que seule la paix pourrait assurer sa pérennité. Ses responsables semblent désormais incapables de raisonner politiquement, aveuglés par leur désir de vengeance. Où sont les modérés, les gens de raison ? Ils existent mais on ne les entend pas. La population israélienne, traumatisée car elle croyait son armée invincible, est aujourd’hui majoritairement attirée par la rhétorique de l’extrême droite.
Le Hamas lui-même est cependant loin d’être un modéré…
Assurément : c’est un parti fondamentaliste et totalitaire qui dirige Gaza d’une main de fer et il est difficile de savoir si la population gazaouie le soutient. Lors des dernières élections – en 2006 –, il n’avait pas obtenu de majorité écrasante. Et pourtant c’est bien avec lui que le pouvoir israélien a préféré discuter car c’était une façon de saper l’unité du mouvement palestinien et d’écarter le risque de la création d’un Etat palestinien. N’oublions pas que Netanyahou fait partie de la mouvance du sionisme radical qui a toujours refusé la solution à deux Etats. Son alliance avec l’extrême droite est aussi un aboutissement logique de sa trajectoire. (…)
Où en est le nationalisme arabe ?
Il est évidemment exacerbé par la tragédie actuelle : dans tous les pays qui ont signé les fameux accords d’Abraham avec Israël, les opinions publiques y étaient opposées et elles le sont plus que jamais. Les dirigeants du monde arabe sont désormais contraints de tenir compte de cette opinion. Alors qu’on l’avait cru enterré, le problème palestinien a retrouvé une centralité qu’il avait perdue et, hélas, de la pire manière qui soit.
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Sophie Bessis
Agrégée d’histoire, la Franco-Tunisienne Sophie Bessis est également journaliste, et a notamment occupé la rédaction en chef de Jeune Afrique. L’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de Paris l’accueille en tant que chercheuse, où elle se spécialise pour les questions Nord-Sud, ainsi que pour les questions africaines et du Maghreb. Son dernier livre, Je vous écris d’une autre rive. Lettre à Hannah Arendt, est paru en 2021 aux éditions Elyzad.
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