« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )
20, Jan 2023 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Articles personnels,guerre ou paix,International No Comments
Article personnel, 20/01/2023.
Savez-vous combien d’Ukrainiens meurent chaque jour de la guerre ? cinquante ? Cent ? Ce sont souvent les chiffres qu’on entend. Or, en fait c’est beaucoup plus ! Quel poids accordons-nous à ces pertes irréparables de vies humaines ?
Selon une déclaration du chef d’état-major de l’armée américaine, Mark Milley, à New York le 9 novembre 2022, on pourrait compter près de 100.000 morts et blessés ukrainiens, plus 40.000 morts civils et probablement le même nombre de morts du côté russe, donc 240.000. Près de trois mois plus tard, on doit bien constater qu’aussi bien sur le front que dans les villes bombardées, la guerre est de plus en plus meurtrière et les chiffres cités doivent donc être considérablement augmentés.
Pour les 330 jours de guerre écoulés, on peut donc compter plus de 300 morts par jour, un mort toutes les deux minutes… Imaginez qu’un missile russe tombe un jour sur une caserne dans notre pays et y cause près de 300 morts… Eh bien, en Ukraine, pays de la taille de la France, une telle catastrophe a lieu pratiquement chaque jour, et on ne voit nullement le bout du tunnel… ([1])
J’ai entendu récemment le président Zelenski dire que pour mettre fin à cette politique russe de la terreur, il n’y avait malheureusement pas d’autres moyens que militaires. Il a aussi déclaré vouloir repousser les Russes jusqu’aux frontières d’avant 2014, donc reprendre tout le Donbass et le Sud, et même la Crimée. Mais, qui peut penser raisonnablement que la Russie (même sans Poutine) pourrait accepter cela un jour ? N’est-il pas clair que l’armée et les dirigeants russes sont prêts à tous les sacrifices pour ne pas perdre la face ? Reculer jusqu’aux frontières d’avant 2014, ce serait pour cette super-puissance orgueilleuse rien moins que la honte ! Car, cela reviendrait à reconnaître que ses 100.000 soldats morts pour le Donbass et la Crimée auraient en fait sacrifié leur vie pour rien !
Si frustrant que ce soit, ne devrait-on pas cesser de rêver au jour où l’Ukraine sortirait victorieuse du conflit ? N’apparait-il pas de plus en plus clairement qu’entre l’Ukraine et la Russie il existe une telle inégalité en nombre et en richesse qu’une « victoire » de l’Ukraine ne pourrait avoir lieu qu’à un prix de sang et de destructions tellement énorme qu’il ne resterait plus rien de ce pays ? On nous montre tous les jours les bâtiments bombardés, mais on parle moins des dizaines de milliers de veuves, d’orphelins, de parents des tués à la guerre. Un bâtiment se répare, une vie humaine (souvent en pleine force) est perdue pour toujours ! Dans toutes les guerres, les généraux inspectent les cartes et supputent les chances de gagner du terrain ici ou là, mais les pertes irréparables pour leurs familles ne sont pas le souci prioritaire. On l’a bien vu aussi en 1914-18 : des millions de morts dans les deux camps pour aboutir à une fausse paix qui n’a duré que 20 ans.
Il en est sans doute ainsi aujourd’hui dans les calculs militaires ou géopolitiques des dirigeants de l’Ukraine et de l’OTAN, et surtout des Etats-Unis. Quand va s’arrêter la spirale actuelle d’armes de plus en plus meurtrières et destructrices, ce bras de fer entre l’est et l’ouest qui est en train de détruire ce pays, comme il en a été pour la Lybie, la Syrie, l’Irak, l’Aghanistan ? Même si chaque cas est différent, le point commun est que la solution des conflits n’est pas dans les armes. Aucun de ces pays n’a retrouvé la paix ou la prospérité après ces guerres qui ont détruit, non seulement leurs ressources matérielles, mais surtout les forces vives de la nation.
Le courage des Ukrainiens est admirable, mais le moment n’est-il pas venu de se demander si nous sommes vraiment en capacité de mettre à terre une superpuissance aux richesses énormes, dont la population est tout de même globalement derrière ses dirigeants qui ont su la convaincre que c’était une guerre pour la défense de territoires qui lui appartiennent, donc pour le droit et la justice (contre les « nazis » et les Occidentaux « dégénérés ») comme l’ont prêché même les autorités religieuses.
Certains tablent sur une révolution en Russie, mais n’est-ce pas là un leurre qu’on agite pour ne pas voir en face la réalité ? La réalité n’est-elle pas plutôt que la Russie ne se laissera jamais battre en Ukraine et qu’elle est prête à tout pour cela, comme l’histoire l’a montré ? Elle pourra toujours trouver plus d’armes, plus de drones pour bombarder les villes et plus d’alliances (biélorusse, iranienne…, voire chinoise en sous-main). La logique de la guerre, c’est toujours plus de violence. Nos pays occidentaux doivent-ils se laisser entraîner dans cette escalade sans fin ? Nos pays ont aidé l’Ukraine à se défendre, c’était très bien, mais maintenant Zelenski demande des chars offensifs pour reconquérir tout le territoire. Où va-t-on s’arrêter et quel sera le prix humain ? Ne vaudrait-il pas mieux s’en tenir à des armes défensives, notamment pour la protection des villes contre les bombardements, tout en entamant sans attendre des négociations avec Poutine qui l’avait d’ailleurs proposé ? Comme l’a relevé Le Monde du 14 janvier, « Pour qu’une paix juste et durable s’impose aux deux parties d’un conflit, il faut à la fois compromis et concessions, cela requière petit à petit des processus de réconciliation. La phrase de Sanna Marin « Si l’Ukraine tombe, la Russie sera à nos portes » est spécieuse : il n’est pas question de laisser tomber l’Ukraine ! Et de toute façon la Russie est à nos portes.
Qu’est-ce qui est plus important que tout pour l’avenir de l’Ukraine ? Des territoires ? ou les vies humaines, d’ailleurs innocentes ? Les Ukrainiens ont-ils absolument besoin du Donbass et de la Crimée pour vivre en paix ? En empêchant la Russie de faire rentrer tout leur pays dans le giron de la dictature à la soviétique, comme l’espérait Poutine, ils ont déjà vaincu et peuvent en être fiers. Vouloir aller au-delà, est-ce vraiment raisonnable ? N’est-ce pas s’engager dans une guerre sans fin ?
Quant à nous, qui assistons à cette guerre depuis notre salon, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas, comme dans les années 70-80, un grand mouvement pour la paix, comme celui qui avait rassemblé près de 400.000 Belges à Bruxelles. Face à l’hécatombe actuelle (une vie humaine à chaque minute) à trois heures d’avion de chez nous, n’est-il pas temps de se réveiller ? ([2])
[1] Il convient d’ajouter qu’un très grand nombre d’Ukrainiens sont en burn-out ou dépression et que les psychiatres avertissent que le contrecoup après la guerre sera encore pire… Enfin, ne fermons pas les yeux sur l’horreur des tortures impitoyables subies par beaucoup d’Ukrainiens.
[2] Cette question concerne évidemment aussi le développement des peuples, car cette guerre fait des milliers, voire des millions de victimes de la faim et de la misère, du fait de la hausse mondiale du coût de la vie et surtout de l’alimentation. Elle concerne aussi une autre guerre de plus en plus urgente : la guerre contre le réchauffement climatique, qui ne peut être gagnée que s’il y a un minimum d’entente entre toutes les nations, russe et chinoise y compris. Plutôt que d’augmenter les budgets militaires, ce sont les mesures pour le climat qui devraient bénéficier de la priorité absolue.
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