« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

Un voyage de rêve (suite)

24, Juin 2022 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Environnement     No Comments

15 jours de voyage à Chypre depuis Bruxelles… pour 249 euros ! Voilà ce qu’on trouve dans des journaux à grand tirage… Les compagnies sont prêtes à tout pour nous convaincre… de vivre comme avant, comme avant le covid, et comme avant les rapports du GIEC…

Si je vous demande : êtes-vous d’accord que l’humanité se trouve devant un immense défi climatique planétaire ?  Vous répondrez sûrement oui, bien sûr.

Et pourtant, si vous recevez, comme moi tout récemment, dans une revue, une proposition de voyage (à Chypre par exemple) de 15 jours pour le prix incroyable de 249 euros, ne serez-vous pas tenté-e, même si vous savez qu’il vous en coûtera bien plus en réalité ? Ce prix comprend : Vol aller-retour + 7 jours de voyage culturel en car et hôtels climatisés, petits déjeuners compris, + 8 jours de détente dans un hôtel de luxe 5 étoiles en bord de mer. Total 1249 euros. Merveille, on nous offre ce voyage de rêve pour 249 euros ! Cadeau de 1000 euros ! « C’est enfin à nouveau possible ! » est-il ajouté…

Ainsi va souvent la publicité, tentatrice trompeuse, d’ailleurs largement subsidiée avec nos propres impôts !… Ce qu’on a bien soin de ne pas dire, c’est que ce voyage « de rêve » est à presque 3000 km… et que donc un aller-retour à deux personnes émet au minimum 3.420 kg de CO2, ce qui équivaut à 60.000 km en voiture… De quoi y réfléchir à deux fois, n’est-ce pas ? Faut-il vraiment aller si loin pour avoir de belles vacances ? Ne sommes-nous pas parfois comme les passagers de 1ère classe du Titanic qui ne se rendaient compte de rien pendant que la catastrophe était en cours ? N’est-il pas grand temps de changer de modèle… de bonheur ?

Auparavant, on ne savait pas, mais aujourd’hui on sait… que les catastrophes qui nous attendent seront terribles : sècheresse et famine, inondations, ouragans, etc. porteront l’alimentation, les soins de santé, le logement, les déplacements à des prix que seule une minorité pourra payer. Cela va transformer, dans de très nombreux pays, la lutte pour la VIE (struggle for life) en déplacements massifs de population pour la SURvie. Beaucoup tomberont en route comme des mouches, sous le soleil du désert ou dans la mer ou sous les balles de la police ou dans des camps de détention ou des prisons surpeuplées. Ce qui se passe déjà prendra des dimensions effrayantes. Quant aux plus âgés et aux pauvres, ils mourront de famine ou de maladie, voire sous des bombardements impitoyables comme en Ukraine.

Il est tellement tentant de se fermer les yeux et de trouver tout cela exagéré. Or, ce ne sont là que  les conséquences évidentes des prédictions climatiques du GIEC et il faudra bien revoir profondément le mode de vie de plus en plus coûteux auquel les dernières décennies nous ont habitués dans les pays développés : « Les émissions mondiales de gaz à effet de serre, qui sont en augmentation constante, doivent être divisées par deux d’ici 2030 »…

Nos gouvernements n’osent pas exiger des plus riches la moindre taxe de solidarité, alors que nombreuses sont aujourd’hui les familles qui n’arrivent pas à se nourrir, se loger et se soigner correctement. Ils refusent aussi depuis des décennies d’augmenter le budget de la coopération au développement. Or, il est démontré que les premières victimes du dérèglement climatique sont les populations les plus pauvres, les femmes, les peuples indigènes… C’est d’autant plus injuste que les ¾ du CO2 ont été produits par nos pays riches.

Comprenez-moi bien

Ce texte a paru comme article « d’opinion » dans le journal « Dimanche » (N°25) de cette dernière semaine de juin 2022. J’ai désiré ajouter ci-dessous quelques précisions à ce propos pour bien me faire comprendre.

Mon intention n’est pas de condamner tous les déplacements en avion, bien sûr, mais de contribuer à une prise de conscience des enjeux réels d’habitudes de tourisme qui se sont installées progressivement dans nos sociétés riches. Je reconnais avoir moi-même voyagé souvent en avion pour nos vacances, et notamment à Chypre. C’était au temps de notre ignorance sur les conséquences sur le climat. Aujourd’hui, me semble-t-il, nous devrions absolument « changer de modèle » pour nos vacances.

Car il y a déjà tellement de choses belles et intéressantes à visiter, rien qu’en France, et plus largement en Europe ([1]).

A ceux et celles qui aiment partir souvent en Tunisie ou en Turquie pour se dorer au soleil, je dirais : n’y a-t-il pas d’assez belles plages en France, Italie, Espagne ? Et si on peut y aller en train (ou voiture) plutôt qu’en avion, ce serait encore mieux pour notre avenir à tous. Aussi longtemps que les avions seront aussi nuisibles au climat, ne faut-il pas les limiter autant que possible ? Avec leur kérosène à bon marché, ils ont déjà assez empêché le développement des voyages en train, n’est-il pas urgent d’adopter d’autres modèles de voyages tout aussi  instructifs et délassants ? ([2])

Je pense aujourd’hui aux supporters qui songent à partir au Qatar pour la coupe du monde de football. La capitale, Doha, est à près de 5.000 km, donc 10.000 km aller-retour… ce qui équivaut à peu près à 100.000 km en voiture… Vous vous étonnerez que le réchauffement climatique continue à s’aggraver ? Rien que cette coupe du monde va causer combien de tonnes de CO2 supplémentaires sur la planète ? Il faut le dire : ce qui fera le bonheur des riches du Qatar et des actionnaires des compagnies d’aviation du monde entier fera le malheur (sècheresses, inondations etc.) des millions de victimes de ce dérèglement climatique. N’est-il pas temps de le crier sur tous les toits ? Ce type-là  de mondialisation ne nous mène-t-il pas tout droit dans le mur ?  


  • [1]  Il existe des billets de train très bon marché pour des parcours dans toute l’Europe.
  • [2]  d’autant plus qu’il faut se passer aujourd’hui du pétrole russe.