« Je crois en la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi » ( Ibn Arabî )

L’Eglise, demain ?

24, Juin 2020 by Philippe de Briey">Philippe de Briey in Actualités chrétiennes,Foi chrétienne     No Comments

Pour le P. Paul Tihon, théologien belge qui a longtemps enseigné l’ecclésiologie, « Plusieurs habitudes mentales nous bloquent, spécialement nous, catholiques romains. Depuis des siècles, l’image du prêtre est un individu de sexe masculin, ayant accepté de rester toute sa vie célibataire et soumis à l’autorité d’un évêque, lui-même célibataire. Aujourd’hui, pour les jeunes générations, ce modèle a perdu pratiquement toute crédibilité ».

(…) une évidence : la distinction entre « clergé » et « laïcs » est une distinction cléricale. Elle met d’un côté, une infime minorité de « ministres ordonnés », évêques, prêtres, diacres, et de l’autre l’immense majorité des baptisé(e)s. La chose est si bien entrée dans les mœurs que pas mal de fidèles de Jésus l’ont intériorisée, ils se situent eux-mêmes comme « des simples laïcs ». Ils sont la foule, les « curés » sont sur une marche plus haut.

Ce n’est pas pour rien que François considère le cléricalisme comme le principal obstacle à la réforme de l’Église. (…)

(Lors du synode sur l’Amazonie en octobre 2019, on a observé que les chrétiens) vivaient leur vie chrétienne, avec ses réunions de prière, et le passage épisodique d’un prêtre ou d’un pasteur. Souvent, la personne qui les rassemblait était une femme, qui agissait comme le véritable chef de la communauté. Lors du synode, plusieurs évêques en avaient parlé, et les quelques autochtones présents avaient confirmé la chose. Qu’est-ce qui leur « manquait » ? Au synode, on a dit et redit : l’eucharistie.

Une certaine théologie du sacerdoce

C’est là qu’on peut se poser la question : ne sommes-nous pas bloqués par une certaine théologie du « sacerdoce ministériel » ? Les exégètes et les historiens des origines chrétiennes l’ont clairement démontré: cette théologie était absente des premières communautés des disciples de Jésus. Aujourd’hui, cette théologie nous aveugle, elle nous empêche de prendre acte des profonds changements culturels qui rendent l’image actuelle de l’Église proprement in-croyable.

Plusieurs habitudes mentales nous bloquent, spécialement nous, catholiques romains. Depuis des siècles, l’image du prêtre est un individu de sexe masculin, ayant accepté de rester toute sa vie célibataire et soumis à l’autorité d’un évêque, lui-même célibataire. Aujourd’hui, pour les jeunes générations, ce modèle a perdu pratiquement toute crédibilité. (…)

Voir, juger… et agir

Aujourd’hui plus que jamais, chaque croyant, chaque groupe de femmes et d’hommes qui s’inspirent de l’Évangile, est amené à s’interroger : quel pas de plus pouvons-nous faire dans la bonne direction ? Là où je suis, là où nous sommes, quelle est l’action à ma portée, à notre portée, avec son efficacité limitée sans doute mais pas nulle ?

Pour le vieux théologien que je suis, quelle action ? J’en vois une : encourager à l’audace, à la prise de risques, y compris en transgressant les règles. Et donc, légitimer la transgression. Faire comprendre que si mon Église reste vivante, c’est qu’en réalité elle n’a jamais cessé d’évoluer, de s’ajuster aux situations. Le plus souvent, elle a commencé par condamner les initiatives « hors-la-loi », puis elle les a tolérées tacitement, et elle a fini par… en faire une nouvelle règle.

Un exemple clair, bien présent dans l’actualité catho : la présidence de l’eucharistie. Depuis les années 70, aux États-Unis, des petites communautés de religieuses avaient franchi le pas, elles célébraient l’eucharistie entre elles plutôt que de faire venir un prêtre parachuté pour la circonstance. Elles n’étaient pas sans appuis théologiques, y compris de quelques théologiennes d’envergure.

Les théologiens européens n’étaient pas en reste. En 2008, j’ai fait le point  de la question dans un long article de la Revue Théologique de Louvain (n° 39). Du point de vue de l’histoire de la théologie, les travaux de Joseph Moingt (SJ) ont bien fait voir que la décision de réserver la prêtrise au sexe masculin était une question de discipline ecclésiastique et non pas une affaire de dogme ».

Dans le même bulletin Pavés-HLM, Pierre Collet rend compte de quelques publications récentes. En voici deux extraits :

Sur la question du célibat comme nécessaire à « l’identité sacerdotale », notre ami Jean Combe a publié un article remarquable où, s’inspirant des travaux d’exégèse de Daniel Marguerat , il montre bien l’impossibilité, voire même l’invraisemblance de relier le célibat des prêtres à l’existence historique de Jésus. Mais même mise à mal par autant d’évidences, la spiritualité du prêtre « alter christus » a la vie dure…

(…) les contours de ce qu’étaient, sont aujourd’hui ou devraient être les prêtres, sont encore loin d’être clairement dessinés ! Commentant Querida Amazonia, un des meilleurs connaisseurs de la situation amazonienne vient peut-être apporter un éclairage salutaire sur cette question. Le Père Antonio José De Almeida, prêtre brésilien et professeur de théologie à l’Université catholique pontificale de Paraná, a participé au Synode en tant que consultant auprès de certains évêques pour avoir approfondi et développé l’hypothèse de plusieurs types de « prêtres », avancée il y a 20 ans par Mgr Lobinger qui proposait de distinguer entre prêtres « corinthiens » et prêtres « pauliniens ».

« Comme dit l’Exhortation, « il ne s’agit pas seulement de faciliter une plus grande présence des ministres ordonnés qui peuvent célébrer l’Eucharistie. Ce serait un objectif très limité si nous n’essayions pas aussi de susciter une nouvelle vie dans les communautés. » (n. 93). […] En lien avec cette dimension communautaire fondamentale, il faudrait préciser que « les « prêtres de communauté » seraient différents des prêtres « célibataires », des « prêtres paroissiaux » et des « prêtres itinérants ». Il s’agit d’un nouveau modèle, à configurer selon les caractéristiques et les besoins des communautés. Ce ne sont pas des prêtres de seconde zone, mais des vocations différentes. […] »

Extraits du bulletin du Réseau Pavés de juin 2020, n° 63

A lire aussi : https://reli-infos.be/le-manque-de-pretres-une-chance-pour-leglise/ par Daniel Marguerat